Epandages agricoles, pollution atmosphérique et Covid-19 : pas de censure par le juge, mais au prix d’une vigilance renforcée

Une association Respire demandait, en référé liberté,  a demandé au Conseil d’État d’enjoindre au Gouvernement d’appliquer immédiatement et jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire, les mesures de restriction des épandages agricoles prévues en cas de pics de pollution, par l’arrêté du 7 avril 2016.

L’association requérante soutenait que la pollution de l’air par les particules PM10 et PM2,5 constituerait un facteur aggravant de la propagation du covid-19 ou, tout au moins, de ses conséquences notamment sur les personnes souffrant par ailleurs de certaines affections respiratoires. Elle réclamait en conséquence que le juge des référés enjoigne au Gouvernement de prendre en urgence des mesures limitant les épandages agricoles pour réduire les émissions de ces particules.
Le Conseil d’Etat, fidèle à sa jurisprudence de ces temps-ci consistant à ne pas censurer le Gouvernement mais à le corriger par petites touches, a préféré refuser de censurer l’administration tout en lui adressant mezzo voce des recommandations, des admonestations, qui sont autant de signaux d’une censure prochaine si lesdites recommandations ne sont pas suivies d’effet.

De fait, l’association requérante n’avait de toute manière pas un très bon dossier technique puisqu’il a été aisé au juge des référés de noter que, non, contrairement à 2019, aucun dépassement du seuil d’alerte de pollution n’avait été observé entre le 15 mars et le 14 avril 2020 (puisqu’au contraire le confinement conduit à une chute brutale de la pollution).

Certes l’association pouvait brandir quelques études, mais celles-ci n’étaient pas très difficiles à contrer.

Le juge des référés a ainsi estimé que les trois principales études sur lesquelles l’association requérante fondait sa requête et les éléments apportés lors de l’audience ne permettaient pas de conclure à la nécessité de prendre des mesures complémentaires. Citons le communiqué du Conseil d’Etat :

  • « l’étude chinoise, publiée en 2003 et portant sur le SRAS, portait sur la pollution de l’air en général, notamment au dioxyde de carbone, qui est actuellement fortement réduite en raison de la diminution des transports, et pas seulement sur la pollution aux particules PM10 et PM2,5. »
  • « l’étude américaine, datant d’avril 2020, porte bien sur l’exposition aux particules PM2,5, mais se fonde sur une exposition de long terme (plusieurs années minimum), ce qui ne permet pas d’apprécier les conséquences d’une exposition limitée à quelques semaines, délais correspondant aux mesures urgentes et provisoires que le juge des référés a le seul pouvoir d’ordonner. […] »
    Avis personnel : c’est sur ce point que le requérant
  • « l’étude italienne datant également d’avril 2020, qui s’intéresse à l’exposition aux particules PM10, porte sur des dépassements des seuils de pollution qui, lorsqu’ils surviennent en France, donnent lieu à des mesures de restriction des activités polluantes conformément à ce que prévoit l’arrêté du 7 avril 2016. »

Mais le juge des référés a toutefois rappelé qu’il incombe à l’administration de faire preuve d’une vigilance particulière dans le contexte actuel d’état d’urgence sanitaire, en veillant à prendre, au besoin de façon préventive, des mesures pour éviter la survenance de pic de pollution ou au minimum d’en limiter la durée.

Un peu comme les conformités sous réserve du Conseil constitutionnel , le Conseil d’Etat a donc refusé de censurer l’administration en référé liberté, mais sous la réserve que l’État assure strictement ses obligations, au besoin de manière préventive. Une mise en garde qui n’est pas lancée en l’air, dans l’intérêt de la lutte contre la pollution atmosphérique. 

Ce point est d’autant plus important que le Ministère de l’agriculture autorise, ces temps-ci, par simple communiqué, les exploitants à déroger aux règles en matière de distances d’épandages de pesticides, sans base ne serait-ce que défendable en droit. Voir :

A noter, dans le même temps, de très fortes restrictions sur les épandages de boues de stations d’épuration des eaux usées. Voir :

 

Voici l’ordonnance rendue hier par le Conseil d’Etat :

• CE, ord., 20 avril 2020, n°440005 (épandages agricoles et Covid-19)

440005 – Association Respire-