Le Conseil constitutionnel valide la résurrection partielle du TMB. Clap de fin d’une saga juridique en forme de comédie parfois drolatique. Avec le TMB dans le rôle d’un mort-vivant. 

Le tri mécano-biologique (TMB) aura connu, non pas 4 mariages et 1 enterrement… mais, dans ses relations avec la légalité, 1 mariage 4 enterrements… ou tentatives d’enterrement. Car le dernier enterrement aura été un coup raté : le Conseil constitutionnel a en effet, à l’instant, reconnu la constitutionnalité de la semi-résurrection du TMB. Clap de fin d’une saga juridique en forme de comédie parfois drolatique. Avec le TMB en mort-vivant. 

I. Premier (semi-)enterrement, au Parlement, en 2015

La loi pour la transition énergétique et pour la croissance verte (LTECV), n° 2015-992 du 17 août 2015, dite « loi Royal », ne mettait pas à mort le TMB, lequel avait connu bien des déboires en France sur de nombreux sites, mais on s’en rapprochait.

Le I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de cette loi, définissait les objectifs de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets, en posant notamment par son 4°, que :

« (…) La généralisation du tri à la source des biodéchets, en orientant ces déchets vers des filières de valorisation matière de qualité, rend non pertinente la création de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères résiduelles n’ayant pas fait l’objet d’un tri à la source des biodéchets, qui doit donc être évitée et ne fait, en conséquence, plus l’objet d’aides des pouvoirs publics (…). »

Donc cette loi était claire sur l’interdiction des aides publiques en ce domaine, mais pas sur une réelle illégalité du recours à ce mode (lequel risquait vite en revanche d’être entaché d’une erreur manifeste d’appréciation, en dépit du caractère limité du contrôle du juge sur les choix techniques opérés).

II. Deuxième enterrement, à Pau

Le 30 décembre 2015, quand d’autres s’apprêtaient à enterrer l’année 2015, sonnait le premier glas du tri mécano biologique. Voir :

Le Tri mécano-biologique (TMB) est-il juridiquement condamné pour les installations nouvelles ?

Comme nous l’écrivions, en effet, alors, un jugement n°1402450-2 en date du 15 décembre 2015 du TA de Pau, avec un raisonnement et des formulations hardies, enfouissait quasiment ce mode de traitement des déchets ménagers et assimilés (i.e. déchets non dangereux), dans les poubelles de l’histoire… et ce au moins pour les installations nouvelles, notion que le juge avait, au passage, défini de manière extensive.

Le TA de Pau avait ainsi notamment posé que :

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Pour accéder au jugement intégral :

Ce jugement était hardi… au point de se fonder sur un moyen qui n’avait pas été vraiment soulevé par les parties et qui n’était pas d’ordre public.

Que le juge ne pouvait déterrer et recycler de son propre chef, donc. C’est que ça peut être joueur, un TA.

III. Troisième enterrement, à Bordeaux

L’appel ne fut guère plus favorable aux derniers défenseurs du tri mécano-biologique : faute de prévoir du recyclage, du tri, l’installation, jugée nouvelle, est également censurée à hauteur d’appel par un arrêt sévère :

« Il résulte de ces dispositions, éclairées par les débats parlementaires, que la préférence ainsi accordée à la généralisation du tri à la source doit, en principe, conduire l’autorité administrative à rejeter les demandes d’autorisations de nouvelles installations de tri mécano-biologique.

« 10. En l’espèce, l’unité de valorisation de déchets non dangereux par tri mécano biologique que le SMTD 65 a été autorisé à exploiter à Bordères-sur-l’Echez, a vocation à se substituer à l’installation de stockage située à Benac qui reçoit l’intégralité des ordures ménagères résiduelles du département des Hautes-Pyrénées sans qu’elles ne fassent l’objet d’aucune valorisation ou recyclage. Elle constitue une unité nouvelle au sens des dispositions précitées dès lors que le syndicat mixte ne peut se prévaloir d’aucune autorisation d’exploiter antérieure à celle du 3 octobre 2014 dont la légalité est contestée.»

Voici cet arrêt en version intégrale :

CAA Bordeaux, 14 novembre 2017, Société Vinci Environnement – Syndicat mixte de traitement des déchets des Hautes-Pyrénées, n° 16BX00688, 16BX00690, 16BX00699, 16BX00700

IV. Un remariage avec la légalité en plusieurs temps

 

IV. A. Remariage provisoire avec la légalité via le Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat a fini par censurer cet arrêt bordelais au motif que cette semi prohibition du TMB, qui en droit n’en est même pas une à vrai dire, ne saurait s’appliquer aux unités de TMB antérieures à la promulgation de la loi. Citons le résumé de Légifrance et d’Ariane qui d’ordinaire annonce celui du rec. :

« l résulte des termes du I de l’article L. 541-1 du code de l’environnement, dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-992 du 17 août 2015, éclairés par les travaux parlementaires ayant conduit à l’adoption de cette loi, que le législateur n’a entendu viser que la création, postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi, de nouvelles installations de tri mécano-biologique d’ordures ménagères. Il s’ensuit que les objectifs ainsi fixés par la loi ne sauraient, en tout état de cause, s’appliquer à des installations de tri ayant été autorisées avant le 19 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi du 17 août 2015.»

Les unités anciennes furent donc sauvées des eaux, pour celles qui ne se sont pas noyées dans les difficultés juridico-financières depuis leur construction…

Conseil d’État, 6ème et 5ème chambres réunies, 26/06/2019, 416924

 
IV.B. Retour en épousailles avec la loi AGEC puis avec ses textes d’application

La Secrétaire d’Etat d’alors, Mme Brune Poirson avait précisé au Congrès d’Amorce que le TMB pour les déchets résiduels après tri à la source des biodéchets serait autorisé :

« pour le résiduel du résiduel. […] si tous les leviers du tri à la source des biodéchets ont été activés, alors oui, il est préférable de valoriser les biodéchets résiduels que de les brûler ou de les enfouir. »

Ceci s’est donc retrouvé au sein de la loi 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (NOR : TREP1902395L), dite loi AGEC. Voir :

Avec cet article 90 de la loi :

A été ensuite publié le décret n° 2021-855 du 30 juin 2021 relatif à la justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets et aux installations de tri mécano-biologiques (NOR : TREP2100563D) :

Ce texte définit les modalités de justification de la généralisation du tri à la source des biodéchets en vue de l’autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologiques, de l’augmentation de capacités d’installations existantes ou de leur modification notable.

Ce décret, ainsi que son (futur) arrêté d’application, ne concernent que les installations de tri mécano-biologiques effectuant une valorisation (énergétique et/ou organique) de la fraction fermentescible des ordures ménagères, ces dernières pouvant constituer une contre-incitation au tri à la source des biodéchets.

Pour être autorisée à faire réceptionner ses déchets dans une installation de tri mécano-biologique telle que définie ci-dessus, la collectivité, l’EPCI ou, lorsque la compétence lui a été transférée en application de l’article L. 2224-13 du code général des collectivités territoriales, le groupement compétent en matière de collecte justifie auprès de l’exploitant ou du pétitionnaire du respect de l’un des trois critères (de moyen et/ou de performance) de généralisation du tri à la source des biodéchets.

Les modalités de calcul de certains des critères sont quant à elles fixées dans l’arrêté pris en application du R. 543-227-2 du code de l’environnement (voir ci-après « VI.»).

Les pièces justificatives ainsi fournies par la collectivité sont ensuite transmises par l’exploitant ou le pétitionnaire à l’autorité administrative compétente, dans le cadre, selon le cas, du dossier de demande d’autorisation environnementale ou du porter à connaissance. La justification du respect de ces critères doit être renouvelée selon les fréquences définies par le décret.

C’est ensuite au JO de ce 20 août 2021 qu’a été publié l’arrêté … du 7 juillet 2021 pris en application de l’article R. 543-227-2 du code de l’environnement (NOR : TREP2100571A) :

L’objectif de cet arrêté dans la foulée de la loi AGEC et du décret du 30 juin 2021 est de préciser les modalités de calcul de différents paramètres prévus au titre de l’article R. 543-227-2, notamment la part de la population INSEE desservie par une solution de tri à la source, les seuils de production d’ordures ménagères résiduels à respecter en fonction de la typologie de la collectivité et le seuil applicable à la quantité de biodéchets restants dans les ordures ménagères résiduelles.

Tri-mécano biologique (TMB) : schéma explicatif de l’ADEME

V. L’enterrement raté de la QPC, validant la résurrection relative du TMB. 

Voici que l’on a appris début février 2022 que des recours avaient été déposés par Amorce, par la FNCC et par Méthéor contre ce décret et contre cet arrêté, avec en sus dépôt d’une QPC contre l’article 90 de la loi AGEC.

Comme l’écrivait Déchets infos, ces organismes reprochaient :

« […] notamment à la loi AGEC de n’avoir pas précisé la portée de l’obligation de généralisation du tri à la source imposée aux collectivités qui créent, agrandissent ou modifient un TMB, ni les sanctions applicables en cas de manquement. »

Voir :

Le Conseil d’Etat accepta promptement de transmettre cette QPC au Conseil constitutionnel. Citons la Haute Assemblée qui estime que le nouveau régime  issu de l’article 90 de la loi du 10 février 2020 :

« ne se bornent pas, contrairement à ce que soutient la ministre de la transition écologique, à tirer les conséquences nécessaires de dispositions inconditionnelles et précises de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets aux termes desquelles  » Les États-membres veillent à ce qu’au plus tard le 31 décembre 2023 et sous réserve de l’article 10, paragraphes 2 et 3, les bio-déchets soient soit triés et recyclés à la source, soit collectés séparément et non mélangés avec d’autres types de déchets « . Le moyen tiré de ce que les dispositions contestées méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales garanti par l’article 72 de la Constitution présente un caractère sérieux. »

Source : CE, 24 février 2022, n° 456190.

Sauf que ce matin, le  Conseil constitutionnel a, par des formules aussi claires que sèches, rejeté la QPC :

« 11. Les dispositions contestées de cet alinéa conditionnent l’autorisation de nouvelles installations de tri mécano-biologique, de l’augmentation des capacités d’installations existantes ou de leur modification notable à la généralisation du tri à la source des biodéchets par les collectivités territoriales et les établissements publics de coopération intercommunale. Elles interdisent également aux personnes publiques d’apporter une aide à ces installations.

« 12. En premier lieu, en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu, pour mettre en œuvre les objectifs de réduction et de valorisation des déchets ménagers, privilégier le tri à la source des biodéchets plutôt que leur prise en charge par des installations de traitement mécano-biologique dont il a estimé que les performances en termes de valorisation étaient insuffisantes. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé.

« 13. En second lieu, d’une part, les dispositions contestées se bornent à soumettre la création d’installations de tri mécano-biologique ou l’extension des capacités d’installations existantes au respect de la condition, qui n’est pas imprécise, de généralisation du tri à la source des biodéchets. Elles n’interdisent pas aux collectivités territoriales de recourir à de telles installations et ne font pas davantage obstacle à la poursuite de l’exploitation des installations existantes.

« 14. D’autre part, par l’interdiction des aides publiques, les dispositions contestées visent uniquement à empêcher les personnes publiques de contribuer au développement des capacités de tri mécano-biologique par la création de nouvelles installations ou l’accroissement des capacités des installations existantes.

« 15. Il résulte de ce qui précède que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le principe de libre administration des collectivités territoriales.

« 16. Par ailleurs, ces dispositions n’instituent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les collectivités territoriales. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

« 17. Par conséquent, les dispositions contestées, qui ne sont pas entachées d’incompétence négative et qui ne méconnaissent ni les exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789, ni le droit de propriété, ni l’article 2 de la Charte de l’environnement non plus qu’aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution. »

Source : décision n° 2022-990 QPC du 22 avril 2022, Fédération nationale des collectivités de compostage et autres [Restrictions apportées au développement des installations de tri mécano-biologiques des déchets], Conformité

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel