Peut-on encore construire, dans les territoires ultramarins non raccordables au réseau national, une centrale électrique au fioul domestique ?

Dans l’hexagone, nul doute qu’il serait illégal de tenter de construire une nouvelle centrale électrique fonctionnant au fioul domestique.

N.B. : rappelons que a France a, d’ailleurs, déjà une électricité très décarbonée (nucléaire + énergies naturelles renouvelables).

Mais outre-mer ? Dans un territoire tel que la Guyane, non raccordé au réseau national et doté d’une population somme toute peu nombreuse ?

La réponse du TA de La Guyane a fusé : et c’est NON.

L’intérêt de cette décision réside notamment dans le caractère très charpentée de l’ordonnance ainsi rendue, et ce sur les recours de France nature environnement  (FNE) et de Guyane nature environnement (GNE), 

De fait, tant sur des questions environnementales que d’urbanisme, le juge des référés de ce TA a censuré le projet, estimant qu’en l’état il y avait, en sus de la condition d’urgence, un double doute sérieux sur la légalité du projet.

I. Sur l’aspect environnemental

Le juge des référés de ce TA a donc suspendu une décision  en ce sens, même s’il s’agissait de remplacer une installation assez catastrophique en termes de coût carbone et même si son évolution vers une installation bas carbone était annoncée (en raison du caractère très incertain de cette évolution… ce qui devrait donner des idées de plan B pour les porteurs du projet…).

Voici les points de l’ordonnance à ce sujet :

6.  […] d’une part, l’Etat et l’opérateur font valoir le besoin qu’il y a de construire sans délai la nouvelle centrale pour assurer la suite de celle en service à Dégrad des Cannes, obsolète et fortement émettrice de gaz à effet de serre, qui sera arrêtée le 31 décembre 2023. Sur ce point, si le projet de la nouvelle centrale a été entériné en 2017 par la programmation prévisionnelle en électricité (PPE), il y a lieu cependant de relever que la vétusté de la centrale de Dégrad des Cannes connue de l’autorité et de l’énergéticien, aurait dû conduire à une anticipation plus en amont. D’autre part, le litige ne peut être examiné sans que soit évoquée l’urgence climatique globale dont la France a pris la mesure en fixant, par l’article L. 100-4 du code de l’énergie, des objectifs de réduction des émissions de gaz à effets de serre à – 40% en 2030 par rapport à l’année 1990 et de neutralité carbone en 2050. C’est ainsi que par une décision du 1er juillet 2021, Commune de Grande Synthe, le Conseil d’Etat a annulé le refus implicite du pouvoir réglementaire de prendre toutes mesures utiles permettant d’infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national afin d’assurer sa compatibilité avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés à l’article L. 100-4 du code de l’énergie ainsi qu’à l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018.

7. En l’espèce, l’arrêté litigieux prévoit par son article 3.2.2 que le combustible utilisé par la nouvelle centrale électrique sera du fioul domestique tandis que par son article 3.5.1 il délivre une autorisation d’émissions de gaz à effet de serre. S’il est soutenu que les émissions de CO2 passeront d’un taux d’émission moyen de 0,89 tCO2/MWh pour la centrale de Dégrad-des-Cannes à un taux d’émission de 0,66 tCO2/MWh en hypothèse majorante et diminueront ainsi de 30% par MWh par rapport à celles produites par la centrale actuellement en service, les émissions des gaz à effet de serre étant dans ces conditions, selon l’Etat et l’opérateur, réduites de façon significative, le projet tel qu’autorisé par l’autorisation environnementale en cause ne peut toutefois, en l’état et compte tenu du taux d’émission annoncé, être regardé comme participant de manière suffisante à la trajectoire de réduction de ces émissions fixée par le décret susvisé du 21 avril 2020 relatif aux budgets carbone nationaux et à la stratégie nationale bas carbone (SNBC) pour atteindre les objectifs de réduction fixés par l’article L. 100-4 du code de l’énergie de – 40 % en 2030 par rapport à leur niveau 1990 et de – 37 % en 2030 par rapport à leur niveau de 2005, fixé par l’annexe I du règlement (UE) 2018/842 du 30 mai 2018. Alors que des mesures supplémentaires sont nécessaires pour infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national en sorte de parvenir à l’objectif de réduction de 40% en 2030 par rapport à 1990, le projet de centrale alimentée par du combustible fossile porté par l’arrêté en cause, facteur de l’émission de 294 000 t.CO2/an ne peut être regardé comme s’inscrivant suffisamment dans cette démarche. Enfin, si l’Etat et EDF- PEI font valoir que la centrale fonctionnera dès le courant de l’année 2024 à la bio-masse liquide et non pas au fioul domestique, avec cette conséquence que la centrale bénéficierait alors d’un bilan-carbone neutre, cette assertion, non formalisée à ce jour, présente un caractère hypothétique, l’Etat se bornant à produire un document de travail non daté de l’assemblée territoriale de Guyane relatif à la modification des articles 7 et 10 de la programmation pluriannuelle de l’énergie. En outre, il y a lieu de relever que si la ministre de la transition écologique a annoncé le 19 octobre 2020 « le remplacement du projet d’installation d’une centrale fonctionnant au fioul léger à Larivot, par une centrale alimentée à 100% en biomasse liquide », l’arrêté litigieux, se référant ainsi qu’il a déjà été dit à l’utilisation de fioul domestique et délivrant une autorisation d’émissions de gaz à effet de serre, a cependant été pris à la suite, le 22 octobre 2020. Ainsi, l’évolution fioul – bio-masse liquide dont se prévalent les défendeurs ne peut en l’état être tenue pour certaine. Par suite, le moyen selon lequel le projet est incompatible avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre fixés par la loi paraît propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. »

Voir, dans le même sens :

II. Sur l’aspect urbanistique / littoral

Le juge des référés du TA n’est pas plus tendre (mais ce n’est pas sa fonction que de l’être) sur les questions d’urbanisme, de loi littoral, de schéma d’aménagement régional (propre au monde ultramarin) :

« 8. En deuxième lieu, l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme, applicable aux communes littorales en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à La Réunion, prévoit que : « Dans les espaces proches du rivage, sont autorisées : 1° L’extension de l’urbanisation dans les secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse ; 2° Les opérations d’aménagement préalablement prévues par le chapitre particulier valant schéma de mise en valeur de la mer du schéma d’aménagement régional prévu par l’article L. 4433-7 du code général des collectivités territoriales ». L’article L. 121-40 du code de l’urbanisme contient ainsi des dispositions qui aménagent les contraintes de la loi Littoral, l’extension de l’urbanisation étant possible dans des secteurs déjà occupés par une urbanisation diffuse ou pour des opérations d’aménagement prévues par le chapitre particulier du SAR valant SMVM.

« 9. En l’espèce, le site en cause qui constitue un espace proche du rivage situé sur le territoire de la commune de Matoury, relève de ces dispositions. D’une part, s’il est soutenu que le schéma d’aménagement régional de la Guyane prévoit que le site du Larivot constituerait un espace dédié aux activités économiques futures, il ne ressort cependant pas de la lecture de ce document que l’opération d’aménagement en cause aurait été prévue par le schéma de mise en valeur de la mer attachée au SAR, les documents cartographiques ne permettant pas en outre de déterminer que le site du Larivot aurait la destination alléguée. Par ailleurs, il ressort du document que s’agissant du périmètre terrestre constitué par le secteur rive droite de la rivière de Cayenne, le SMVM prévoit : « Dans la logique de la 1ère avenue proche du rivage, le périmètre rejoint le Canal Leblond qu’il longe jusqu’à la route RN1, incluant la zone d’activités de La Madeleine. Il entoure les zones humides et inondables de la rive droite de la rivière de Cayenne sur le secteur du Marais Leblond, il inclut la station d’épuration sur ce secteur. Il inclut la zone portuaire du Larivot» et précise que «Les enjeux principaux sur ce secteur sont : le développement des activités commerciales et touristiques liées aux aménagements portuaires, mais également la protection contre les risques majeurs et la préservation des milieux naturels. », aucune activité industrielle n’étant ainsi prévue. D’autre part, eu égard aux éléments photographiques produits, le site ne peut être regardé comme constituant un secteur déjà occupé par une urbanisation diffuse, les différents hameaux dont se prévalent les défendeurs étant situés entre 500 mètres et un kilomètre du site. Dans ces conditions, et alors même que le SAR n’a pas classé la zone en cause comme espace naturel remarquable du littoral (ENRL) ainsi que cela ressort de son annexe 3, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme paraît également propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée. »

Dans l’hexagone, Le Conseil d’Etat a posé qu’il résulte des articles L. 121-8, L. 121-10, L. 121-11 et du premier alinéa de l’article L. 121-12 du code de l’urbanisme que le législateur a entendu ne permettre l’extension de l’urbanisation dans les communes littorales qu’en continuité avec les agglomérations et villages existants et a limitativement énuméré les constructions, travaux, installations ou ouvrages pouvant néanmoins y être implantés sans respecter cette règle de continuité.

Le juge a déjà fait prévaloir une vision large de ces régimes (s’agissant d’une éolienne, pour l’application de la loi Montagne, CE, 16 juin 2010, , n° 311840, rec. T. p. 1010 ; pour l’application de la loi Littoral, CE, 14 novembre 2012, Société Neo Plouvien, n° 347778, rec. T. p. 1017 ; pour les antennes relais voir CE, 11 juin 2021, n°449840, à mentionner aux tables du rec. puis TA Nantes, ord., 18 juin 2021, n° 2105724).

MAIS dans les départements français des Amériques (DFA) comme dans les deux de l’Océan Indien, ce sont d’autres dispositions qui s’appliquent, notamment l’article L. 121-40 du code de l’urbanisme. 

Cependant, ces dispositions ne sont guère beaucoup plus souples (voir pour une application récente stricte sur le fond, mais souple quant à la possibilité de régulariser un permis, comme à l’accoutumée désormais, voir CAA Bordeaux, 11 juin 2020, 18BX03224).

III. Voici cette décision

 

TA Guyane, ord., 27 julilet 2021, FNE GNE, n° 2100957