Peu emballé par le décret de 2021, le Conseil d’Etat rhabille les fruits, les légumes… et le Gouvernement.

Le législateur a voulu mettre fin à la mise à nu sous blister de nombreux fruits et légumes. Le Gouvernement a ensuite adopté un décret d’application pour lequel il va devoir se rhabiller. En effet, le Conseil d’Etat a censuré ce texte, ouvrant les vannes à un grand déballage. 

Aux termes du 16e alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement modifié par la loi AGEC (2020-105 du 10 février 2020 ; voir ici et ) :

« A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n’est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu’aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. »

Ce texte imposait donc au Gouvernement d’établir une liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration s’ils étaient vendus en vrac, afin de les exempter définitivement de cette interdiction d’emballage plastique.

Ledit décret a ensuite été adopté (n° 2021-1318 du 8 octobre 2021 ; NOR : TREP2106919D) :

Ce texte d’application a été attaqué devant le Conseil d’Etat, avec une QPC vite rejetée par une décision amusante puisqu’utiliser la charte de l’environnement (ou même la liberté d’entreprendre) elle-même contre cette mesure était d’une audace créative à saluer.

Voir notre article écrit alors, où je rappelais au passage les règles de responsabilité sans faute du fait d’une nouvelle législation ou réglementation :

Puis l’affaire vint au fond devant le Conseil d’Etat et la censure du décret fut sévère.

Le Conseil d’État observe en effet que la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire – comme d’ailleurs les débats parlementaires ayant précédé son adoption – est claire : elle a confié au Gouvernement la tâche de limiter cette liste aux seuls fruits et légumes présentant un risque de détérioration s’ils étaient vendus en vrac, afin de les exempter de l’interdiction d’emballage plastique de façon définitive.

Or, la Haute Assemblée a estimé que le Gouvernement a inclus dans sa liste des fruits et légumes ne présentant pas nécessairement de risque de détérioration, et a fixé, pour chacun de ces fruits et légumes, la période durant laquelle ils pourraient continuer à être vendus sous emballage plastique après le 1er janvier 2022 :

« 4. Il résulte de la lettre même des dispositions législatives citées au point 2, comme d’ailleurs des débats parlementaires ayant précédé leur adoption, que le législateur a confié au pouvoir réglementaire le soin de fixer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac afin de les exempter, à titre permanent, de l’interdiction qu’elles prévoient.

« 5. Or , il ressort des écritures du ministre et des termes mêmes des dispositions attaquées que la liste prévue au II de l’article D. 541-334 du code de l’environnement cité ci-dessus, a été établie, d’une part, en y incluant les fruits et légumes qui, bien que ne présentant pas nécessairement un risque de détérioration lors de leur vente en vrac, ne bénéficiaient pas encore d’alternative au conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique à la date du 1er janvier 2022, et d’autre part, en fixant un terme aux exemptions prévues. 

« 6. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 ci-dessus qu’en étendant ainsi le champ de l’exemption et en lui conférant un caractère temporaire, le pouvoir réglementaire a méconnu le 16e alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement. Par ailleurs le champ d’application des règles transitoires fixées au III de l’article D. 541-334 du code de l’environnement est défini comme portant sur les fruits et légumes ne figurant pas dans la liste prévue au II de cet article. Enfin les définitions fixées au I ne peuvent recevoir d’application autonome. Par suite les dispositions de cet article sont indissociables.»

… d’où la censure sans différé du décret, à charge pour le Gouvernement de redéfinir une liste par décret pour répondre à la mission que lui a confiée la loi.

A court terme, cette annulation a entraîné quelques polémiques.

Le Ministre C. Béchu a réagi vivement :

Avec des réponses toutes aussi vives:

Avant ce communiqué officiel :

Mais les effets de cette censure s’avèrent tout à fait contradictoires pour les requérants.

En effet les requérants, notamment ceux de la filière de la plasturgie, ont obtenu la censure de ce texte. Ils vont pouvoir reprendre leurs activités sous un plus large spectre, sur fond de polémiques.

Mais le Gouvernement va vite devoir prendre un texte plus protecteur, plus anti-plastique, que celui qui vient d’être censuré.

Ce qui ne va pas dans l’intérêt des requérants.

A court terme, la victoire des requérants conduit donc à leur échec à moyen terme…

Voici cette décision :

CE, 9 décembre 2022, Syndicat Alliance Plasturgie & Composites du futur (Plastalliance), n°458440, 459332, 459387, 459398


Voir aussi :

https://blog.landot-avocats.net/2022/01/06/plastiques-a-usage-unique-et-marches-publics-de-letat-des-derogations-tres-limitees/embed/#?secret=rFi27RI4iF#?secret=OGioVaJAcf

https://blog.landot-avocats.net/2022/01/17/plastique-le-droit-moins-souple-courte-video-avec-weka-3/embed/#?secret=cvaMlzsGk8#?secret=r9yss501Gp

https://blog.landot-avocats.net/2021/04/30/plastiques-a-usage-unique-objectifs-de-reemploi-au-jo-de-ce-matin/embed/#?secret=VV5o6MM7OY#?secret=qvcepTeMWaetc.