Une action contre un exploitant ICPE n’est pas prescrite dès lors qu’il n’a pas déclaré la cessation d’activité

En droit des installations classées (ICPE), l’exploitant a diverses obligations vis à vis de l’autorité de police environnementale. A ce titre il doit signaler des évènements majeurs de la vie de l’activité tels les incidents ou la cessation d’activité totale ou partielle. Cette dernière est organisée ainsi par le code de l’environnement de manière très précise aux articles L.512-6-1 notamment et R.512-75-1 du code de l’environnement (issus antérieurement du décret n°77-1133).

Au delà du formalisme et du risque pour l’exploitant d’engager sa responsabilité en raison de manquements à ces obligations, ces événements dans la vie industrielle d’un site peuvent constituer le point de départ de prescriptions en terme de recours. L’absence de déclaration peut aussi avoir pour incidence au contraire de ne pas faire courir ces délais, c’est en substance ce que vient d’apprendre à ses dépens la société Alcatel Lucent devant le TA de Poitiers.

Ainsi la société a récupéré les actifs d’une société en Charente qui exploitait jusqu’en 1984 un site industriel de piles. Une étude en 2011 à l’initiative de l’Etat a révélé une pollution des sols par un solvant utilisé dans cette production industrielle.

Le tribunal rejette la requête de l’ancien exploitant, devenu Alcatel Lucent participations, contre l’arrêté de la préfète de la Charente le mettant en demeure de remettre en état l’ancien site de production des piles « Leclanché » à Saint-Cybard (TA de Poitiers, 1ère chambre, jugement n°2002052 du 6 décembre 2022).

Par un arrêté du 12 mars 2020 pris sur le fondement de l’article L. 512-19 du code de l’environnement, la préfète de la Charente avait mis en demeure de formaliser la mise à l’arrêt définitive du site à la société Alcatel venue aux droits de l’ancien industriel. de lui notifier les mesures prises pour assurer la mise en sécurité de ce site, en particulier l’évacuation des produits dangereux, les interdictions ou limitations d’accès au site, la suppression des risques d’incendie et d’explosion et la surveillance des effets de l’installation sur l’environnement.

La société estimait ne pas être concernée par cette obligation qui ne lui était pas opposable dans la mesure où la cessation d’activité datait depuis plus de 30 ans et était prescrite et a donc exercé un recours contre ledit arrêté.

Sauf que pour le juge l’exploitant n’ayant jamais déclaré la cessation d’activité, le délai de prescription ne pouvait avoir couru en application des textes alors en vigueur (l’article 34 du décret n° 77-1133 du 21 décembre 1977 pris pour l’application de la loi du 19 juillet 1976, depuis codifiés).

Cette décision s’inscrit dans la lignée de décisions constantes du Conseil d’Etat (CE, 8 juillet 2005, Société Alusuisse-Lonza-France, n° 247976 et CE 13 novembre 2019, Commune de Marennes, n° 416860). Elle nous semble toutefois en l’espèce en constituer une extension dans la mesure où les précédentes décisions.

Ainsi dans la première décision, le site n’était plus exploité depuis 1968 mais l’arrêté litigieux datait de 1994 donc le délai de 30 ans n’était pas prescrit. De même dans l’affaire de 2019 la prescription avait été reconnue au profit de la société pour attester que l’Etat n’avait pu au moment des faits prendre un arrêté imposant des prescritpions liées à la remise en état dans la mesure où la cessation n’était pas cachée. C’est néanmoins bien une décision qui s’inscrit en continuité de ces décisions car même si les faits et décisions diffèrent, de manière constante le Conseil d’Etat (extrait de la décision de 2019) rappelle que le délai de prescription court à compter d’une cessation officielle d’une part et si des faits n’ont pas été occultés (réalité d’une pollution, etc.) :

6. L’obligation visée au point précédent se prescrit par trente ans à compter de la date à laquelle la cessation d’activité a été portée à la connaissance de l’administration, sauf dans le cas où les dangers ou inconvénients présentés par le site auraient été dissimulés. […]

Comme évoqué enfin dans le communiqué de la juridiction : « Le tribunal confirme également l’existence d’un lien de causalité entre la pollution et les activités de l’usine SAFT, l’épicentre de la pollution correspondant précisément à l’endroit où, selon les témoignages recueillis, le trichloroéthylène usagé était déversé par l’entreprise à même le sol. Le tribunal estime enfin que les mesures prescrites n’ont aucun caractère disproportionné dès lors qu’elles n’excèdent pas celles prévues par l’article R. 512-66-1 du code de l’environnement, auxquelles la société Alcatel Lucent participations, en tant qu’ayant-droit de l’ancienne SAFT, devait, de toute façon, légalement se conformer ».

Source ; TA de Poitiers