ICPE : reprendre une exploitation avec autorisation d’émission de GES… c’est reprendre le passif de quotas d’émission antérieur, même quand une liquidation judiciaire est intervenue avec non reprise de ce passif

Reprendre une exploitation avec des autorisations d’émission de gaz à effet de serre (GES)… impose le rachat de quotas dus par l’ancien exploitant, même si celui-ci a fait l’objet d’une liquidation judiciaire, et — surtout — même si dans son offre de rachat, le repreneur avait précisé ne PAS reprendre cette dette, selon le TA d’Orléans. 

Or, l’affaire est d’importance. Environnementalement, vu les enjeux. Financièrement, vu les montants. Juridiquement, vu les discordances entre, sur ce point, d’une part le droit des procédures collectives applicables aux sociétés (on indique le passif que l’on reprend ou non et ce qui est alors arbitré a valeur de décision de Justice) et, d’autre part le droit de l’environnement (reprise des obligations en cas de succession d’exploitant en ICPE, avec en sus sur ce point des dispositions précises propres aux GES).


Le Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre mis en place au niveau de l’Union (SEQE-UE) est un système de plafonnement et d’échange d’émissions (« cap-and-trade »).

L’exploitant d’une installation soumise à ce régime doit :

  • disposer d’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre, de manière couplée avec le régime ICPE
  • ouvrir un compte de suivi de ce régime à la Caisse des dépôts et consignations
  • surveiller, déclarer et de faire vérifier annuellement ses émissions et ses niveaux d’activité ;
  • restituer les quotas correspondants aux émissions vérifiées ;
  • communiquer annuellement diverses informations.

Il y a donc une logique de marché et de neutralisation, proche d’une logique d’actif et de passif.

Aussi, par un jugement du 14 mars 2024, le tribunal administratif (TA) d’Orléans a-t-il considéré que le repreneur d’une exploitation bénéficiant d’autorisations d’émission de gaz à effet de serre (GES) est redevable des rachats de quotas dus par l’ancien exploitant, même si celui-ci a fait l’objet d’une liquidation judiciaire. Sauf que le repreneur avait précisé ne pas reprendre cette dette. Mais peu importe, selon ce TA.

En l’espèce, la société New Duralex International (NDI) a repris l’activité de la société Duralex, exploitée à La Chapelle-Saint-Mesmin, lors de la liquidation judiciaire de cette dernière en 2020.

Au titre de l’année 2020, dernière année d’exploitation par la société Duralex, celle-ci a émis plus de GES que les quotas qui lui avaient été alloués. Elle devait donc racheter des droits sur le marché pour solder son compte (soit environ 840 120 euros selon le cours du marché), sous peine d’une amende de plus de 2 millions d’euros.

La reprise des actifs par la société NDI, incluant l’autorisation d’exploitation du site (lequel constitue une installation classée pour la protection de l’environnement) et l’autorisation d’émission des GES, est intervenue sans que cette dette ne soit soldée.

Là où l’affaire devient intéressante, c’est que dans son offre de reprise validée par le tribunal de commerce, la société repreneuse avait soigneusement précisé qu’elle ne reprenait pas ce passif.

La société NDI a alors demandé au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la Caisse des dépôts et consignations  que le passif correspondant à l’activité antérieure à sa reprise soit isolé dans un sous-compte (dont seraient redevables éventuellement les organes de liquidation de la société Duralex) et que l’activité postérieure soit comptabilisée dans un autre sous-compte dont elle serait responsable.

Bref, que le passif indiqué comme non repris ne le soit pas et que deux sous-comptes à part actent de cette coupure (l’un géré via la liquidation et l’autre repartant à 0 pour la suite de l’activité).

Le ministre et la Caisse ont rejeté cette demande et la société NDI a saisi le Tribunal.

Citons le communiqué du TA car celui-ci montre bien le raisonnement alors conduit par les magistrats administratifs, selon lequel ce tribunal :

« a dû arbitrer entre les dispositions relatives aux procédures collectives, sur le fondement desquelles la société NDI présentait sa requête, et celles du code de l’environnement qui régissent les attributions de quotas d’émission de GES et les obligations de rachat. Il a fait prévaloir le III de l’article R. 229-17 de ce code, dont la rédaction est particulièrement explicite et dispose que, « en cas de changement d’exploitant, les obligations de déclaration des émissions et des niveaux d’activité et de restitution incombent, pour la totalité des années précédentes, au nouvel exploitant dès l’intervention du changement d’exploitant ». Il a ainsi jugé que les dispositions spécifiques du code de commerce ne sauraient faire obstacle à l’application de ces dispositions du code de l’environnement, issues de la transposition de la directive 2003-87-CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003.
« Il en a déduit que la société NDI n’était pas fondée à contester le refus qui lui a été opposé d’isoler le passif de quotas d’émission de GES dans un sous-compte distinct de celui retraçant l’activité lui incombant. Il a donc rejeté sa requête. »

Ajoutons que la valeur juridique des décisions de Justice au stade de la liquidation, d’un côté, et le fait que la reprise des GES peut reposer aussi sur des principes de niveau législatif, de l’autre, complexifient encore un brin plus cet arbitrage juridique.

Voici cette décision :

TA Orléans, 14 mars 2204, SOCIÉTÉ NEW DURALEX INTERNATIONAL, n° 2101497