Une nouvelle illustration des clauses abusives dans les règlements de service des eaux au titre des responsabilités respectives sur la frontière entre parties publique et privée du branchement

Le Conseil d’Etat a posé, il y a bientôt 26 ans, que des pans entiers du droit privé s’imposent en droit public, y compris des éléments du droit de la concurrence (CE, 3 novembre 1997, Million et Marais, rec. p. 406).

Trois ans et demie ensuite, le juge est passé des entreprises aux consommateurs en étendant ce raisonnement au droit de la consommation, au moins pour les services publics industriels et commerciaux, tels que l’alimentation en eau potable ou l’assainissement (ou, mais c’est moins connu, tels que les OM en cas de financement par redevance). Cette nouvelle mini-révolution a été opérée par l’également célèbre arrêt du 11 juillet 2001 du Conseil d’Etat, Société des eaux du Nord (n° 221458, Rec. p. 348, conclusions Bergeal).

N.B. : en l’espèce et en simplifiant une affaire complexe, la Société des Eaux du Nord avait décidé dans le Règlement de service qu’elle était compétente pour les travaux sur l’intégralité du branchement d’eau en prenant en charge les frais du branchement dans la partie privée tout en faisant supporter la majorité de la responsabilité sur l’usager ! Logiquement, le juge avait considéré que cette clause était abusive et donc illicite. Un autre conséquence fut que, plus nettement encore qu’auparavant, le règlement devait avoir été de préférence porté à la connaissance des usagers pour qu’il puisse être être opposable (point sur lequel le législateur est intervenu ensuite pour préciser et assouplir divers points).

Il faut donc traquer les clauses abusives… avec tout ce que cela a de flou.

Or, qu’est-ce qu’une clause abusive dans les contrats liant l’usager à un concessionnaire de service public ? Le Conseil d’Etat a esquissé un mode d’emploi.

Sont ainsi qualifiées d’abusives par cet article “les clauses relatives au caractère déterminé ou déterminable du prix ainsi qu’à son versement, à la consistance de la chose ou à sa livraison, à la charge des risques, à l’étendue des responsabilités et garanties, aux conditions d’exécution, de résiliation, résolution ou reconduction des conventions, lorsque ces clauses apparaissent imposées aux non professionnels ou consommateurs par un abus de la puissance économique de l’autre partie et confèrent à cette dernière un caractère excessif”.

Plus concrètement, le juge administratif a estimé que le caractère abusif d’une clause s’apprécie à la fois :

  • au regard de la clause elle-même
  • mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service.

Dès 2001, donc, faisant application de ces critères, il a ensuite jugé que les dispositions contestées avaient le caractère d’une clause abusive. Il s’est fondé à cet égard sur trois de leurs caractéristiques :

  • elles pouvaient conduire à faire supporter par un usager les conséquences de dommages qui ne lui seraient pas imputables sans pour autant qu’il lui soit possible d’établir une faute de l’exploitant ;
  • elles s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion ;
  • elles sont pas, enfin, justifiées par les caractéristiques particulières de ce service public.

Avec l’obligation pour le juriste de droit public de se plonger dans les délices exotiques du droit de la consommation. Un art subtil auquel il a bien fallu, depuis 15 ans, s’initier.

Depuis, les exemples se succèdent en jurisprudence. Citons en quelques exemples :

  • Première illustration
    Les clauses du règlement de service (RS) posaient, comme tant d’autres RS,  que «l’abonné n’est jamais fondé à solliciter une réduction de consommation en raison de fuites dans ses installations intérieures car il a toujours la possibilité de contrôler lui-même la consommation indiquée par son compteur ».
    Après tout, à l’intérieur de chez soi, on est chez soi responsable de ce qui se passe chez soi ou à tout le moins on peut l’être… même si ce raisonnement a échappé au Tribunal administratif de Marseille au point que l’affaire a du, in fine, remonter au Conseil d’Etat.
    La Haute Assemblée a, dans cette affaire, rendu un jugement de Salomon :
    • Elle a d’abord rappelé son considérant de principe habituel, mais qu’il est utile de rappeler, selon lequel « le caractère abusif d’une clause au sens de ces dispositions s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service ; »
    • Puis elle a tranché en posant que :
      • d’un côté « ces dispositions présentent un caractère abusif en ce qu’elles ont pour effet d’exonérer de toute responsabilité le service des eaux dans le cas où une fuite dans les installations intérieures de l’abonné résulterait d’une faute commise par ce service » … ce qui est très logique. Le RS violait sur ce point le droit de la consommation et même au lendemain de l’arrêt SDEN de 2001 cela eût été flagrant.
      • Mais d’un autre côté « ces dispositions […]  n’ont en revanche ni pour objet ni pour effet d’exclure la possibilité, pour un abonné, de rechercher la responsabilité d’un tiers pour obtenir réparation des dommages qu’il a subis du fait d’une facturation excessive dont il estimerait qu’elle lui est imputable ; qu’ainsi c’est à tort que le tribunal administratif de Marseille s’est fondé, pour juger que ces dispositions constituent une clause abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, sur le motif tiré de ce qu’elles peuvent conduire à faire supporter par un usager les conséquences d’un dommage qui ne lui serait pas imputable, sans réserver le cas des dommages résultant des agissements des tiers ; »
    • Conclusion logique, le Conseil d’Etat a jugée illégale la clause considérée mais seulement à titre partiel, illustrant la souplesse du juge en ce domaine
      Source : CE, 30 décembre 2015, req. n° 387666 (pas encore disponible sur Légifrance).
  • Deuxième illustration 
    Le règlement d’un service (RS) de distribution d’eau potable autorisait ce service à solliciter le remboursement, par des abonnés, du coût de réparation de la partie du branchement qui est située dans leur propriété privée, « dès lors qu’aucune faute de service n’a été commise par le service de l’eau potable ».
    Selon le TA, une telle clause n’est pas abusive dès lors qu’elle n’a pour effet ni d’exonérer le service des eaux de sa responsabilité à raison de sa propre faute, ni d’exclure la possibilité, pour l’abonné, de rechercher la responsabilité d’un tiers à raison des dommages.
    Une question aurait pu être de savoir si ce RS ne posait pas non plus le service en position dominante pour intervenir sur une partie privative des installations. Mais la question ne semble pas s’être posée ainsi et en l’espèce il semble s’agit d’équipements nécessaires au fonctionnement du service.
    Un jugement rassurant, donc, pour les services des eaux : TA de Grenoble, 1ère chambre – N°1704706 – 22 mars 2018 – C+
  • Troisième illustration 
    M. A… B… avait attaqué des clauses du règlement de service des eaux de la communauté d’agglomération du pays voironnais, estimant que ces stipulations étaient des clauses abusives au sens, notamment, des articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du du code de la consommation.
    Ce requérant aurait pu dans le cadre d’un litige individuel contester devant le juge judiciaire l’application lui étant faite de ces clauses, quitte à ce que ledit juge judiciaire saisisse le juge administratif : mais il a préféré engager un recours devant le juge administratif tendant à l’annulation desdites clauses du règlement de service (RS), ce qui a été admis par le juge administratif, et ce fort logiquement. Mais avec, dès lors, un petit changement d’angle dans le contrôle juridictionnel ainsi exercé. La CAA rappelle ainsi que la voie de droit exercé au judiciaire  :
    « 8. […] ne fait pas obstacle à ce que l’usager saisisse le juge administratif d’un recours pour excès de pouvoir contre les clauses qui, comme les clauses litigieuses, ont une portée réglementaire, la conformité aux articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation conditionnant, non plus l’opposabilité contractuelle de ces clauses, mais leur légalité. M. B… ayant choisi d’exercer un recours pour excès de pouvoir dont la tardiveté ne ressort pas pièces du dossier, il y a lieu d’examiner ses conclusions sur ce fondement.»
    Or, n’est pas, pour la CAA de Lyon, une clause abusive la disposition du RS qui prévoit, en alimentation en eau potable, que faute de compteur individuel, « le point de fourniture se situe au terme du premier mètre linéaire de la canalisation du branchement située en domaine privé, la distance étant calculée à partir de la limite du domaine public.»
    Restait à examiner le fond, et c’est là que l’affaire ne manque pas d’intérêt.
    Le service des Eaux en cause était réputé, selon le RS, être « propriétaire des installations de distribution d’eau jusqu’au point de fourniture », lequel est « constitué par le compteur individuel pour les constructions individuelles, général ou de contrôle dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales.» Classique.
    Puis le RS prévoit qu’en « l’absence de compteur individuel, ou dans le cas de constructions collectives verticales ou horizontales non équipées de compteurs généraux ou de contrôle, le point de fourniture se situe au terme du premier mètre linéaire de la canalisation du branchement située en domaine privé, la distance étant calculée à partir de la limite du domaine public. » Là encore, rien de très surprenant.
    NB : voici une illustration faite par mon frère Yann Landot il y a des années pour illustrer les principaux cas de figure en la matière (en cas d’affermage) :
    Le contenu du reste du règlement de service est ainsi résumé par l’arrêt de la CAA de Lyon : « Aux termes de l’article 18 de ce même règlement :  » Au-delà du point de fourniture, l’installation appartient au propriétaire qui en assure la garde et l’entretien à ses frais « , et aux termes de l’article 21 du même règlement :  » Le service de l’Eau du pays voironnais est responsable des dommages pouvant résulter du fonctionnement des éléments des branchements dont il est propriétaire dans les cas suivants : – lorsque le dommage a été produit par la partie du branchement située dans le domaine public ; – lorsque le service de l’Eau du pays voironnais a été informé d’une fuite ou d’une autre anomalie de fonctionnement concernant la partie du branchement située dans les propriétés privées et qu’il n’est pas intervenu dans un délai raisonnable (…) « .»
    M. B…, abonné ne disposant pas d’un compteur, soutient que ne pouvaient être mis à sa charge les frais de réparation de la fuite d’eau constatée au-delà du premier mètre linéaire de branchement situé sur son fonds, les clauses du RS sur ce point qui lui ont été appliquées limitant abusivement, selon lui, la responsabilité du service en cas d’absence de compteur.
    Le juge note que les dispositions du RS quant à la frontière entre réseau public et branchement individuel, au moins pour ce qui est de la responsabilité de chacun, en l’absence de compteur individuel  « n’aménagent un régime de responsabilité limitée au premier mètre linéaire sur fonds privé que subsidiairement au principe de responsabilité jusqu’au compteur. Ce régime subsidiaire auquel tout abonné peut d’ailleurs se soustraire en demandant l’installation d’un compteur, loin de réduire la responsabilité du service, l’encadre en lui donnant un critère objectif tandis que l’absence de critère aurait pour effet de l’étendre arbitrairement. Il suit de là que lesdites clauses ne méconnaissent pas les articles L. 132-1, L. 212-1 et R. 212-1 du code de la consommation et que les conclusions à fin d’annulation de la requête doivent être rejetées. »
    Source : CAA de Lyon, 20 octobre 2022, n° 21LY02840
  • Quatrième illustration
    Une communauté d’agglomération a pris, en 2014, six délibérations autorisant son président à signer des avenants à des contrats d’affermage du service public de l’eau potable, puis en 2016 délibération approuvant le nouveau règlement de service d’eau potable.
    Par jugement en date du 7 décembre 2017, le Tribunal administratif de Rennes a jugé que les dispositions du règlement du service de l’eau potable de cette communauté d’agglomération permettant la suspension immédiate du service de l’eau lorsque l’usager n’a pas réglé sa facture-contrat dans le délai indiqué [article 4.1] et celles prévoyant la réduction ou la fermeture du service de l’eau jusqu’au paiement des factures dues [article 5.8] méconnaissaient l’article L. 115-3 du code de l’action sociale et des familles, cet article ne permettant aux distributeurs d’eau ni d’interrompre la distribution de l’eau toute l’année dans une résidence principale ni de réduire le débit d’eau.
    NB : la même disposition serait-elle légale pour une résidence secondaire ou un usager non domestique ? La question se pose… 
    En revanche, le tribunal a écarté l’ensemble des autres conclusions des requérants. En particulier, il a jugé que les clauses du règlement du service de l’eau potable prévoyant l’hypothèse de l’installation d’un réducteur de pression sur les installations privées de l’usager [article 2.1] et celles nécessitant le cas échéant la mise en place de tout équipement adapté à la pression de distribution afin d’assurer le bon fonctionnement des installations intérieures à la charge de l’usager [article 6.1] ne constituaient pas des clauses abusives au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.
    Pareillement, le tribunal a jugé que les dispositions du règlement du service de l’eau potable prévoyant que la fourniture et la pose des regards de comptage et des dispositifs de comptage par le distributeur d’eau étaient aux frais du maître d’ouvrage [article 6.4] n’étaient pas illégales dès lors que la pose d’un regard est un élément indissociable de l’installation d’un compteur d’eau enterré nécessaire à l’exécution du service.
  • Source : TA Rennes, 7 décembre 2017, ASSOCIATION EAU SECOURS 29 et autres, n° 1502392, 1603026.

A ces illustrations, bien d’autres jurisprudences pourraient s’ajouter. 

Notons-en une de plus, qui nous est venue du TA de Saint-Martin.

C’est ainsi que dans la lettre des TA de la Guadeloupe, de la Martinique, de Saint-Martin et de St Barthélémy, cette affaire est résumée :

« […] Les dispositions du règlement du service de l’eau de Saint-Martin […]  organisent une répartition des responsabilités sur le réseau entre le distributeur d’eau, qui prend en charge les frais et les dommages résultant de l’existence du branchement ainsi qu’une partie des frais relatifs au système de comptage, et les abonnés, qui prennent en charge les frais relatifs au branchement résultant de leur faute, l’autre partie des frais relatifs au système de comptage, ainsi que les dommages causés par l’existence ou le fonctionnement des installations privées ou par leur défaut d’entretien, de renouvellement ou de mise en conformité sans qu’il leur soit possible, dans ce cas, d’établir une faute du distributeur. »

Voir cette lettre : 

Or, ce faisant, pose ce tribunal au point 8. de son jugement :

« au regard de l’ensemble des stipulations du contrat et contrairement à ce que soutient la société générale des eaux Guadeloupe, ces dispositions exonèrent de toute responsabilité le distributeur d’eau dans le cas où une fuite dans les installations privées de l’abonné, dommage tenant donc à leur fonctionnement, résulterait d’une faute commise par le service en amont du réseau. Par suite, et sans que les caractéristiques particulières du service public de l’eau, que la société générale des eaux Guadeloupe évoque de manière vague, ne le justifient, ces dispositions, qui s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion, présentent un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation. »

Source :

Tribunal administratif de Saint-Martin, 2ème chambre, 30 novembre 2023, n° 2300108

Vu la procédure suivante :
Par un arrêt du 27 octobre 2022, enregistré le 5 juillet 2023, la cour d’appel de Basse-Terre a sursis à statuer et saisi le tribunal administratif de Saint-Martin de la question du caractère abusif des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation dans sa version applicable au litige.
Par un mémoire, enregistré le 18 août 2023, M. F D, Mme B D, M. E D, M. C D et Mme A D, représentés par Me Dufetel, demandent au tribunal de déclarer que les clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 ont un caractère abusif et à ce que soit mise à la charge de la société générale des eaux et à la société Sprimbarth Cap Caraïbes la somme de 10 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Ils soutiennent que :
— le règlement du 23 mars 2006 n’est pas applicable dès lors que le contrat d’abonnement qu’ils ont souscrit en date du 2 juin 2005 ; le tribunal doit enjoindre la société générale des eaux de produire le règlement de service applicable à la date de souscription du contrat ;
— la responsabilité délictuelle de la société générale des eaux Guadeloupe est engagée à l’égard du syndicat des copropriétaires et de l’ASL en vertu de l’article 1 241 du code civil ; la clause prévoyant que l’abonné est seul responsable des dommages, dont les fuites, pouvant résulter du fonctionnement de la partie du branchement située sous le domaine privé de l’usager est abusive au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation ;
— la responsabilité du syndicat des copropriétaires de la résidence les jardins de l’Indigo est engagée du fait de sa négligence fautive en vertu des articles 1103 du code civil et 18 de la loi du 10 juillet 1965 ;
— ils ont subi des préjudices matériels, évalués à 35 507 euros, et un préjudice moral et de jouissance, évalué à 29 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 octobre 2023, la société Générale des eaux Guadeloupe, représentée par Me Gouranton, demande au tribunal de déclarer que les clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 sont légales.
Elle soutient que :
— le règlement du 23 mars 2006 a pour objet de définir les relations entre l’exploitant du service public et les usagers de celui-ci et tient compte des caractéristiques particulières de ce service ;
— les articles 4 et 6 du règlement se bornent à répartir la charge de l’entretien et des réparations des différentes partie du réseau entre le délégataire et les usagers ; la circonstance que l’obligation d’entretien et de réparation mise à sa charge soit limitée à la partie du réseau situé jusqu’au compteur général se comprend, dans la mesure où la partie du réseau localisée après ce compteur et jusqu’aux différents compteurs individuels est la propriété des copropriétaires et ne fait pas partie du domaine public ; ces clauses ne l’exonèrent pas de toute responsabilité en cas de survenance d’un sinistre sur le réseau commun de la copropriété, et qu’elle demeure susceptible d’engager sa responsabilité dans l’hypothèse où, par sa faute, elle causerait un dommage affectant celui-ci ; cette limitation de responsabilité ne créée donc aucun déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties.
La société Sprimbarth Cap Caraïbes a produit un mémoire le 23 octobre 2023 qui n’a pas été communiqué.
Le 17 août 2023, les parties ont été informées, en application de l’article R. 611-11-1 du code de justice administrative, que l’affaire était susceptible d’être audiencée au mois de novembre 2023, et que l’instruction était susceptible d’être close à compter du 25 septembre 2023.
Par un courrier du 19 septembre 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l’article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d’être fondé sur un moyen relevé d’office tiré de l’irrecevabilité des moyens tirés de l’inapplicabilité du règlement du service de l’eau et de la responsabilité délictuelle de la société générale des eaux Guadeloupe et de la société Sprimbarth Cap Caraïbes dès lors qu’il n’appartient pas à la juridiction administrative, saisie sur renvoi préjudiciel ordonné par l’autorité judiciaire, de trancher des questions autres que celles qui ont été renvoyées par ladite autorité.
Des observations sur le moyen communiqué, enregistrées le 19 septembre 2023, ont été présentées pour la société générale des eaux Guadeloupe et communiquées à M. D et autres et à la société Sprimbarth Cap Caraïbes.
Des observations sur le moyen communiqué, enregistrées le 22 septembre 2023, ont été présentées pour M. D et autres et communiquées à la société générale des eaux Guadeloupe et à la société Sprimbarth Cap Caraïbes.
Par une ordonnance du 31 octobre 2023, la clôture de l’instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
— le code de la consommation ;
— le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique :
— le rapport de Mme Sollier,
— les conclusions du rapporteur public, M. Sabatier-Raffin,
— et les observations de Me Pradines, représentant la société Générale des eaux Guadeloupe.
Considérant ce qui suit :
1. Le 2 juin 2005, M. F et Mme B D ont souscrit un contrat d’abonnement en eau potable auprès de la société générale des eaux Guadeloupe, délégataire du service public de distribution d’eau potable à Saint-Martin. Ils ont acquis en 2009 le bien immobilier qu’ils louaient jusqu’alors et qui constituait le lot 3 de la copropriété Les Jardins de l’Indigo, à Saint-Martin. A la suite de désordres apparus en 2013 et causés par une fuite sur une canalisation du réseau commun enterré, situé sur le terrain de la copropriété, M. F D, Mme B D, M. E D, M. C D et Mme A D ont assigné la société générale des eaux Guadeloupe et le syndicat des copropriétaires de la résidence les jardins de l’Indigo et la société Sprimbarth Cap Caraïbes devant le tribunal de grande instance de Basse-Terre. Par un jugement du 22 juin 2016, le tribunal a condamné in solidum le délégataire et le syndic à payer aux consorts D la somme de 38 657 euros en réparation de leur préjudice matériel et de jouissance ainsi que la somme globale de 2 500 euros en réparation de leurs préjudices moraux. La société Générale des eaux Guadeloupe a interjeté appel de ce jugement. Par son arrêt du 27 octobre 2022, la cour d’appel de Basse-Terre a saisi le tribunal administratif de Saint-Martin de la question du caractère abusif des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation, et a sursis à statuer dans l’attente de la réponse du tribunal.
Sur la recevabilité des moyens soulevés :
2. En vertu des principes généraux relatifs à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, il n’appartient pas à la juridiction administrative, lorsqu’elle est saisie d’une question préjudicielle en appréciation de validité d’un acte administratif, de trancher d’autres questions que celle qui lui a été renvoyée par l’autorité judiciaire. Il suit de là que, lorsque la juridiction de l’ordre judiciaire a énoncé dans son jugement le ou les moyens invoqués devant elle qui lui paraissent justifier ce renvoi, la juridiction administrative doit limiter son examen à ce ou ces moyens et ne peut connaître d’aucun autre, fût-il d’ordre public, que les parties viendraient à présenter devant elle à l’encontre de cet acte. Ce n’est que dans le cas où, ni dans ses motifs ni dans son dispositif, la juridiction de l’ordre judiciaire n’a limité la portée de la question qu’elle entend soumettre à la juridiction administrative, que cette dernière doit examiner tous les moyens présentés devant elle, sans qu’il y ait lieu alors de rechercher si ces moyens avaient été invoqués dans l’instance judiciaire.
3. En l’espèce, par un arrêt du 27 octobre 2022, la cour d’appel de Basse-Terre a sursis à statuer jusqu’à ce que la juridiction administrative se prononce sur la question préjudicielle « du caractère abusif des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au sens du code de la consommation ». En mentionnant ce seul moyen, la Cour a défini et limité l’étendue de la question qu’elle entendait soumettre à la juridiction administrative. Dès lors, il n’appartient pas à la juridiction administrative de connaître d’autres questions que celle, définie ci-dessus, qui lui a été renvoyée.
4. Il résulte de ce qui précède que M. D et autres ne sont pas recevables à soumettre au tribunal le moyen tiré de l’inapplicabilité du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au litige ainsi que celui tiré de l’engagement de la responsabilité délictuelle de la société générale des eaux et de la société Sprimbarth Cap Caraïbes.
Sur la légalité des clauses du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 au regard de l’article L. 132-1 du code de la consommation :
5. Aux termes de l’article L. 132-1 du code de la consommation, dans sa version en vigueur du 3 juillet 2010 au 1er juillet 2016 : « Dans les contrats conclus entre professionnels et non-professionnels ou consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du non-professionnel ou du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat. () ».
6. Le caractère abusif d’une clause s’apprécie non seulement au regard de cette clause elle-même mais aussi compte tenu de l’ensemble des stipulations du contrat et, lorsque celui-ci a pour objet l’exécution d’un service public, des caractéristiques particulières de ce service.
7. Aux termes de l’article 4 du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 :  » 4.1- La description : / a) Le branchement fait partie du réseau public et comprend 3 éléments : 1 ) la prise d’eau sur la conduite de distribution publique, et le robinet de prise sous bouche à clef ; 2) la canalisation située tant en domaine public qu’en domaine privé ; 3 ) le dispositif d’arrêt (c’est à dire le robinet situé avant compteur) muni d’un système inviolable ; b) Le système de comptage comprend : 1 ) le compteur muni d’un dispositif de protection contre le démontage ; 2 ) le robinet après compteur ; 3) le clapet antiretour avec purge éventuelle ; / Votre réseau privé commence au-delà du joint situé après le système de comptage. Le robinet après compteur fait partie de vos installations privées. () Pour les immeubles collectifs, le compteur du branchement est le compteur général de l’immeuble. Qu’il y ait eu signature d’une convention d’individualisation des contrats de fourniture d’eau ou non, le branchement de l’immeuble s’arrête au joint de comptage général de l’immeuble » ; () 4.4- L’entretien Le distributeur d’eau prend à sa charge les frais d’entretien, de réparations et les dommages pouvant résulter de l’existence du branchement. / () Les frais résultant d’une faute de votre part reste à votre charge. () « Aux termes de l’article 5 du même règlement : » () 5-4 L’entretien et le renouvellement / L’entretien et le renouvellement du compteur sont assurés par le distributeur d’eau à ses frais. / Lors de la pose d’un nouveau compteur, le distributeur d’eau vous informe des précautions particulières à prendre pour assurer sa protection. Vous êtes tenu pour responsable de la détérioration du compteur, s’il est prouvé que vous n’avez pas respecté ces consignes de sécurité. Si votre compteur a subi une usure normale ou une détérioration dont vous n’êtes pas responsable, il est réparé ou remplacé aux fraie du distributeur d’eau. / En revanche, il est réparé ou remplacé à vos frais (en tenant compte de sa valeur amortie) dans les cas où : / – Son dispositif de protection a été enlevé, / – Il a été ouvert ou démonté, / – Il a subi une détérioration anormale (Incendie, Introduction de corps étrangers, défaut de protection contre les retours d’eau chaude, chocs extérieure, etc ). () « Et, aux termes de l’article 6 du même règlement : » On appelle « installations privées », les installations de distribution situées au-delà du système de comptage. () 6-2 L’entretien et le renouvellement. L’entretien, le renouvellement et la mise en conformité des installations privées n’incombent pas au distributeur d’eau. Il ne peut être tenu pour responsable des dommages causés par l’existence ou le fonctionnement des installations privées ou par leur défaut d’entretien, de renouvellement ou de mise en conformité « .
8. Les dispositions citées au point précédent organisent une répartition des responsabilités sur le réseau entre le distributeur d’eau, qui prend en charge les frais et les dommages résultant de l’existence du branchement ainsi qu’une partie des frais relatifs au système de comptage, dans les cas prévus par l’article 5 du règlement cité au point précédent, et les abonnés, qui prennent en charge les frais relatifs au branchement résultant de leur faute, l’autre partie des frais relatifs au système de comptage, ainsi que les dommages causés par l’existence ou le fonctionnement des installations privées ou par leur défaut d’entretien, de renouvellement ou de mise en conformité sans qu’il leur soit possible, dans ce cas, d’établir une faute du distributeur. Ce faisant, au regard de l’ensemble des stipulations du contrat et contrairement à ce que soutient la société générale des eaux Guadeloupe, ces dispositions exonèrent de toute responsabilité le distributeur d’eau dans le cas où une fuite dans les installations privées de l’abonné, dommage tenant donc à leur fonctionnement, résulterait d’une faute commise par le service en amont du réseau. Par suite, et sans que les caractéristiques particulières du service public de l’eau, que la société générale des eaux Guadeloupe évoque de manière vague, ne le justifient, ces dispositions, qui s’insèrent, pour un service assuré en monopole, dans un contrat d’adhésion, présentent un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.
9. Il résulte de ce qui précède que M. D et autres sont fondés à soutenir que l’article 6-2 du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 présente un caractère abusif au sens de l’article L. 132-1 du code de la consommation.
Sur les frais liés au litige :
10. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de la société Générale des eaux Guadeloupe une somme demandée par M. D et autres au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Il est déclaré que les dispositions de l’article 6-2 du règlement du service de l’eau du 23 mars 2006 de la commune de Saint-Martin sont illégales.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.