Requins : comment ne pas, en, droit, s’y casser les dents ? [état du droit au 8/1/2024]

Mise à jour en raison de quelques nouveautés 

La jurisprudence en matière de « risque requin » (que l’on traite de sa capture ou destruction préventive, ou encore de la police des baignades) commence, pour nos tribunaux administratifs des océans Indien et Pacifique, d’être très riche. Avec quelques décisions du Conseil d’Etat, deux ou trois étrangetés et pas mal d’incertitudes persistantes.

Voyons ceci point par point, car la sécurisation, en droit, de tels arrêtés passe par une proportionnalité des mesures adoptées qui, face au risque requin, s’avère très délicate à mettre en oeuvre, d’une part, et à équilibrer avec les règles de responsabilité pénale, d’autre part :

  • I. D’une manière générale, un droit abondant et parfois confus s’agissant des requins (qu’il s’agisse d’arrêtés de police sur les baignades ou les sports nautiques, des décisions de prélèvement ou encore des aides aux diverses l’espèce), parfois compliqué par des règles de répartition des compétences entre acteurs publics. Avec, même, une récente étrangeté néo-calédonienne…  
  • II. S’agissant plus particulièrement des arrêtés de police en matière de baignade et/ou de sports nautiques, rappelons les règles de base sur la proportionnalité à respecter entre risque et interdictions ou limitations des libertés…
  • III. Encore faut-il avoir, aussi, en tête les risques au pénal, lesquels s’avèrent bien plus menaçants que les sanctions inhérentes à l’annulation d’un arrêté de police… Les risques en responsabilité administratives s’avèrent, quant à eux, moins menaçants. 
  • IV. Survol de quelques jurisprudences en matière de baignades et/ ou d’activités nautiques, face au « risque requin »
  • IV.A. Une proportionnalité très délicate à fonder en ce domaine 
    • IV.B. Une interdiction intégrale sauf plage surveillée, moyennant information précise, est possible au pire des crises
    • IV.C. Mais une telle interdiction intégrale reste difficile à sécuriser en droit, comme une décision du TA de Nouvelle-Calédonie vient de le démontrer. Les dérogations géographiques (lagons s’il y en a et s’ils sont réellement protégés) et les autorisations en cas de filet ou de surveillance manuelle ou électronique restent à envisager pour sécuriser de tels arrêtés, mais à la condition d’avoir bien à l’esprit les limites techniques de ces solutions alternatives. 
  • V. La pêche préventive, elle, aura du mal à être sécurisée en droit, surtout si elle est portée par les acteurs locaux 
  • VI. Voici, à ce sujet, une vidéo (à jour en droit à fin octobre 2023 et, depuis, le droit n’a guère évolué)

I. D’une manière générale, un droit abondant et parfois confus s’agissant des requins (qu’il s’agisse d’arrêtés de police sur les baignades ou les sports nautiques, des décisions de prélèvement ou encore des aides aux diverses l’espèce), parfois compliqué par des règles de répartition des compétences entre acteurs publics. Avec, même, une récente étrangeté néo-calédonienne…

Rien qu’à la Réunion, le cadre juridique relatif aux pêches et/ou destructions de requins peut s’enorgueillir d’une pêche miraculeuse aux jurisprudences, dans un triste cadre où certains squales, notamment de l’espèce du requin-bouledogue,  ont entraîné la mort de nombreux humains (30 attaques ont ainsi été enregistrées sur le littoral de La Réunion, dont 10 mortelles et 7 entraînant des blessures graves, entre 2011 et juillet 2019 ; je n’ai pas de chiffre plus à jour) :

Un bon nombre de ces décisions portent aussi sur la question des prélèvements de requins, dont je ne traiterai pas ici (sauf ci-après en V brièvement), pour me concentrer sur le régime de la police des baignades et des activités nautiques face au risque causé par les requins. 

Pour une application intéressante en droit, mais terrible humainement, voir Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 22/11/2019, 422655. Voir notre article : Police des baignades et des sports nautiques : responsabilité et information suffisante 

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Crédit photographique : coll. personnelle. Depuis lors, l’arrêté est devenu préfectoral et les panneaux sont devenus très explicites (ici, exemple saint-paulois). 

Pour rester à la Réunion, le 14 avril 2023, le Préfet reconduisait son arrêté. Voici un extrait de son communiqué de presse, résumant ces mesures — drastiques mais adaptées à la situation dramatique — en matière de baignades et de sports nautiques :

Crédits photo : Eric Hoarau (https://unsplash.com/@hoarau) ; Saint-Philippe, La Réunion

Et même dans le droit de l’hexagone et des DOM, qui est plus standardisé, ces questions font intervenir un grand nombre d’acteurs :

  • le lien avec la pêche entraîne des compétences étatiques et régionales spécifiques, voire départementales, en sus de l’intervention des acteurs du secteur et de leur chambre consulaire
  • les universités et autres centres de recherche sont mobilisés
  • les arrêtés de police relèvent du maire et du préfet selon les règles usuelles
  • certaines compétences sont, ou peuvent être, intercommunalisées (tourisme, parfois certaines activités sportives, aménagement des plages… à l’exclusion des pouvoirs de police en matière de baignade bien sûr mais même pour cela, des actions sont prises parfois par les EPCI via des conventions de prestations de services des articles L. 5214-16-1 ou L. 5216-7-1 du CGCT ou des mécanismes de mutualisation — en matière de filets anti-requins par exemple). Les EPCI peuvent aussi agir au titre de l’aide au développement économique (financement de dispositifs sur les bateaux et les planches à voiles dans certains cas etc.).
  • à ceci s’ajoutent naturellement les associations de familles de victimes
  • … et les acteurs de la protection de la nature (associations ou fondations) ainsi que, sur un autre plan, les établissements publics en charge des parcs (parc marin à La Réunion par exemple)
  • acteurs du tourisme, des sports nautiques..
  • etc.

Un GIP Requin (Centre Sécurité Requin  ; CSR) a d’ailleurs, à La Réunion, été créé.

En Nouvelle-Calédonie, le droit est un peu plus complexe, déjà sur le point de savoir qui peut prendre quelle décision. Comme souvent dans cette partie du Pacifique…

NB : pour la compétence en ce domaine au prisme du droit néo-calédonien, voir : Conseil d’État, 18 juillet 2022, n° 462434, à mentionner aux tables du recueil Lebon. Voir notre article : Elimination de requins : large compétence pour les provinces néocalédoniennes (et obligation pour la CAA de saisir le CE en cas de litige sur les compétences de chacun sur le caillou) … ce qui confirme qu’avoir la compétence pour définir une règle, c’est aussi (sauf texte spécial) celle permettant d’en fixer les dérogations (voir déjà en ce sens (CE, 27 février 2019, n° 408118 ;  voir Le pouvoir d’interdire, c’est aussi (sauf texte spécial) le pouvoir de déroger aux interdictions ). Voir aussi une décision où se posait la question de savoir si le président de la province Sud avait pu légalement prendre des mesures autorisant la capture et l’euthanasie de requins bouledogue et de requins tigre et sur l’office du juge en ce domaine notamment en termes de saisie du Conseil d’Etat : CAA Paris, 17 mars 2022, Association ensemble pour la Planète, 21PA03192

Cette complexité néo-calédonienne glisse même vers un niveau important de créativité juridique lorsqu’on aborde les rivages des Iles Loyauté, puisque « Requins et […] tortues marines [y] sont des entités naturelles sujets de droit »… ce qui juridiquement à tout le moins peut être discuté au regard des quelques normes de droit national à respecter en ces collectivités ultramarines. J’évoque tout ceci avec beaucoup plus de détails ici :

Crédits : coll. personnelle (EL – MU 2023)

II. S’agissant plus particulièrement des arrêtés de police en matière de baignade et/ou de sports nautiques, rappelons les règles de base sur la proportionnalité à respecter entre risque et interdictions ou limitations des libertés… 

les principes, en matière de pouvoirs de police restent ceux posés par le commissaire du Gouvernement Corneille (sur CE, 10 août 1917, n° 59855) : « La liberté est la règle et la restriction de police l’exception».
Il en résulte un contrôle constant et vigilant, voire sourcilleux, du juge administratif dans le dosage des pouvoirs de police en termes :

  • de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
  • d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
  • de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Autrement posé, l’arrêté est-il mesuré en termes : de durée, de zonages et d’ampleur, en raison des troubles à l’Ordre public, à la sécurité ou la salubrité publiques, supposés ou réels qu’il s’agit d’obvier.

NB : pour des cas d’application aux dissolutions de groupements de fait, cf. notre articleDissolutions d’associations ou de groupements de faits : le Conseil d’Etat affine sa partition juridique classique, sur fond de bruits médiatiques (CE, ord., 9 novembre 2023, LES SOULEVEMENTS DE LA TERRE, EUROPE ECOLOGIE LES VERTS et autres, n° 476384 et suivants ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. D… et autres (GALE antifas de Lyon), n°464412 ; CE, ord., 9 novembre 2023, M. A. (groupement de fait « l’Alvarium »), n°460457 ; CE, ord., 9 novembre 2023, ASSOCIATION COORDINATION CONTRE LE RACISME ET L’ISLAMOPHOBIE, n° 459704, 459737)

Ajoutons qu’en des temps troublés covidiens où les textes finissaient parfois par être si complexes qu’il était heureux que nous fussions confinés afin d’avoir le temps de les décortiquer… il a plu au juge d’ajouter une possibilité de modulation des découpages opérés en termes de pouvoirs de police en fonction d’un autre critère : celui de l’intelligibilité ( fin du point 6 de CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002 ; voir aussi CE, ord., 11 janvier 2022, n°460002). Nul doute par exemple qu’un arrêté trop simple en termes de risque requin serait considéré comme non proportionné… et qu’un arrêté trop complexe au point qu’il serait difficile à comprendre serait risqué à cette aune de l’intelligibilité. Bon courage… 

III. Encore faut-il avoir, aussi, en tête les risques au pénal, lesquels s’avèrent bien plus menaçants que les sanctions inhérentes à l’annulation d’un arrêté de police… Les risques en responsabilité administratives s’avèrent, quant à eux, moins menaçants. 

En matière de responsabilité, il faut distinguer :

• qui « indemnise » une victime (responsabilité dite « civile » ou administrative) : la commune doit réparer ce dommage (sauf cas très exceptionnels).

• qui « paie sa dette envers la société » pour avoir commis  une infraction : il y a alors mise en œuvre de la responsabilitépénale qui a pour objet premier de sanctionner la personne mise en cause et non pas de réparer.
La responsabilité de la personne physique (élu et/ou agent…) et/ou parfois celle de la commune pourra être alors recherchée.

… à ceci, s’ajoutent la responsabilité financière et, pour les agents, la responsabilité disciplinaire.

Une autre distinction s’impose, entre les infractions dites « involontaires » (commises par imprudence ou négligence) et les infractions dites — parfois à tort — « volontaires ».

Sur ces infractions involontaires, une grille sert à calibrer la prudence : celle de la loi Fauchon du 10 juillet 2000 (article 121-3 du Code pénal) :

Deux situations doivent alors être distinguées par le juge  pénal en cas d’infraction de négligence ou d’imprudence :

  • soit le comportement du prévenu a causé directement le dommage : la simple imprudence, négligence, maladresse, suffisent alors à constituer le délit
  • soit la cause est indirecte. La personne poursuivie n’a « que » créé ou contribué àcréer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’a pas pris les mesures permettant de l’éviter. Dans ce cas, elle ne sera condamnée que :
    • SOIT si elle a violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement (entraînant un risque pour autrui, pour schématiser),
    • SOIT si elle a commis une faute caractérisée qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité et qu’elle ne pouvait ignorer.D’où des grilles d’analyses des risques au quotidien basées sur des modèles tels que celui-ci :
  • Voir :

En matière de risque requin, et la personne publique n’étant évidemment pas la cause directe du préjudice, nous voici dans la case en bas à droite du tableau ci-avant… plus précisément dans la partie jaune, en haut, de cette base en bas à droite (« risques […] graves »).

DONC dans l’arbitrage, déjà délicat, des arrêtés de police, mieux vaut, au pénal, en faire un peu trop que pas assez, un risque d’illégalité d’un arrêté de police restant, somme toute, fort peu de choses au regard des risques combinés d’une mise en danger personnelle au pénal et d’un sentiment de culpabilité affreux consécutif à un décès causé par un requin dans une zone que l’on a hésité à réglementer…

NB : s’y ajoute aussi un risque en responsabilité administrative  (cas intéressant d’une absence de responsabilité pour faute d’information sur le fait que l’interdiction de baignade à St Paul [974] était bien motivée par le « risque requin » : même sans cette mention, l’information était suffisante — même si sur le terrain les informations suivantes ont précisé ce point : voir Conseil d’État, 5ème – 6ème chambres réunies, 22/11/2019, 422655).

IV. Survol de quelques jurisprudences en matière de baignades et/ ou d’activités nautiques, face au « risque requin »

IV.A. Une proportionnalité très délicate à fonder en ce domaine

Abordons quelques uns de ces arrêtés de police pris pour éviter des attaques de requin, limitant ou réglementant les baignades et/ou les activités nautiques… pour mesurer que comme à l’accoutumée l’approche du juge s’apprécie au cas par cas, et que les risques varient d’une période à l’autre, d’un territoire à l’autre… mais que les auteurs de ces arrêtés peuvent, souvent, en améliorer la rédaction et la sécurité juridique .

On l’a vu ci-avant : toute la sécurisation, en droit, d’un arrêté de police repose sur la proportion, sur la mesure. Or, on ne sait pas où ni quand le requin peut attaquer ?

Par exemple, à La Réunion, les attaques de requin bouledogue ont plutôt eu lieu dans les eaux troubles où les eaux douces se mêlent à la mer (en raison des lieux de prédilection de ces prédateurs et/ou de la faible visibilité de ces animaux dans l’eau, notamment dans ces eaux). Mais pourrait-on limiter les interdictions de baignade à ces espaces là ? Certes non, car les attaques sont loin de s’être limitées dans ces portions du territoire… et il y a eu des attaques d’autres sous-espèces également.

On pourrait autoriser la baignade dans les lagons derrière les barrières de corail quand il y en a (à savoir surtout dans les autres territoires que La Réunion, à une exception saint-pauloise près) mais il y a eu au moins un cas inquiétant dans un lagon… etc .

Donc le droit public nous dit qu’il faut faire un arrêté de police qui ne soit pas trop général en termes de géographie et de temporalité… alors que tout découpage est complexe, voire peu efficace… et ne repose pas sur grand chose… et que le droit pénal conduit lui à préférer un arrêté fragile en droit administratif mais protecteur au regard des risque d’accidents et, donc, d’homicides et de blessures involontaires (HBI).

Bref, la mission s’avère impossible.

Voyons quelques jurisprudences qui témoignent de ces difficultés.

IV.B. Une interdiction intégrale sauf plage surveillée, moyennant information précise, est possible au pire des crises

Le Conseil d’Etat a admis (Ord. CE  13 août 2013, M. Int. c. St Leu_ n 370902) que face à des mesures insuffisantes :

« 6. Considérant qu’il résulte de l’instruction que onze attaques de requins, dont cinq mortelles, ont eu lieu entre juin 2011 et juillet 2013 à l’ouest de l’île de La Réunion ; que si les victimes étaient pour la plupart des pratiquants de sports de glisse, la dernière, le 15 juillet 2013, était une adolescente qui se baignait à proximité du rivage ; que l’existence d’un tel risque mortel, notamment pour une activité ordinaire de baignade proche du rivage, révèle un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes, qui excède ceux qui peuvent être normalement encourus lors de la pratique d’une activité sportive ou de loisirs par une personne avertie du risque pris ;
7. Considérant, il est vrai, qu’à la suite de la recrudescence
des attaques de requins à La Réunion, des maires des communes concernées ont pris des arrêtés limitant l’accès aux plans d’eau des plages communales dans certaines circonstances ; que l’Etat a engagé un programme d’études sur le comportement des deux espèces de requins côtiers en cause, afin notamment d’étudier leur éventuelle sédentarisation ; que le préfet a pris des mesures d’interdiction de certaines activités nautiques, notamment par un arrêté du 19 décembre 2011 ; qu’il résulte cependant de l’instruction que ces mesures étaient insuffisantes pour remédier à la situation résultant de la multiplication des attaques de requins, notamment de celles qui se sont produites à proximité du rivage ; qu’une situation aussi exceptionnelle, qui impose aux autorités publiques de déterminer d’urgence les mesures de leur compétence de nature à réduire ce danger, constitue, en l’espèce, une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit au respect de la vie ; que, dans ces conditions, la condition d’urgence est également satisfaite ;»

… il pouvait être enjoint par voie de référé, au Préfet, de prendre des mesures plus fortes. Ces mesures étaient celles listées au point 11 de la décision du Conseil d’Etat que voici :

« 11. Considérant que, dès lors, dans l’attente des effets
éventuels des autres mesures annoncées ou envisagées, il est urgent de mettre en place une signalisation adaptée des interdictions ou des limitations de baignade et d’activités nautiques, en précisant clairement la nature des risques, ainsi que d’assurer une information sur ces interdictions et risques non seulement de la population permanente mais aussi des personnes ne résidant pas habituellement dans l’île et qui sont donc moins sensibilisées à ces risques ; qu’ainsi, il y a lieu d’enjoindre à l’autorité préfectorale, dans le délai de dix jours à compter de la notification de la présente ordonnance, en tant qu’elle a pris la mesure d’interdiction de baignade et de certaines activités nautiques dans un ressort excédant le territoire d’une commune, de s’assurer qu’une information suffisante est assurée sur les interdictions de baignade et de certaines activités nautiques édictées, jusqu’au 1er octobre 2013, et les risques encourus par le non-respect de ces interdictions, cette information devant être faite, d’une part, sur les lieux où ces interdictions s’appliquent et, d’autre part, par les voies de communication les plus appropriées, à destination de l’ensemble des populations concernées dans le département; que cette injonction se substitue aux prescriptions de l’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Saint-Denis ; que l’ordonnance attaquée doit être réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente ordonnance ; »

On notera que la décision du juge des référés du Conseil d’Etat était précise sur l’information… et floue sur les interdictions de baignade ou de pratique de sports nautiques. MAIS notons la grille d’analyse intéressante du Conseil d’Etat dans un autre point de cette même ordonnance :

« qu’il résulte de l’instruction, notamment des études comparatives internationales, que les risques d’atteinte à la vie ou à l’intégrité corporelle des baigneurs ou des pratiquants de sports nautiques à la suite d’attaques de requins peuvent être réduits, par tout ou partie des mesures suivantes : interdiction ou limitation de toutes les activités de loisirs nautiques ou de certaines d’entre elles dans les zones à risques ; signalisation de ces zones très visible et explicite sur les risques exceptionnels encourus en cas de non-respect de la réglementation et information générale des publics concernés susceptibles d’accéder à ces zones ; mise en place de dispositifs de surveillance des requins et d’alerte des personnes dans les zones où se pratiquent ces activités, lorsqu’elles ne sont pas interdites ; installation d’équipements faisant obstacle à l’entrée des requins dans des espaces ainsi sécurisés ou assurant leur pêche sélective ; enfin, prélèvement de requins des espèces dangereuses et non protégées, soit, à La Réunion, des requins-bouledogues et des requins-tigres, cette dernière mesure, controversée, semblant ne pouvoir être efficace que si les requins sont sédentarisés ; que ces différentes mesures relèvent, à La Réunion, soit de la compétence des autorités municipales, soit de celle du représentant de l’Etat dans le département »

On a là une grille d’analyse opérationnelle.

De plus, le juge considère vite que les interdictions pures et simples peuvent s’imposer :

« à court terme, seules les mesures d’interdiction de baignade et d’activités nautiques, dans des zones où un dispositif efficace de surveillance et d’alerte n’a pas été mis en place, sont susceptibles de supprimer le risque d’attaques, à la condition que ces interdictions soient respectées, ce qui implique qu’elles soient convenablement signalées et que la population soit largement informée de ces mesures d’interdiction et des risques encourus en ne les respectant pas ; »

DONC DES INTERDICTIONS PURES ET SIMPLES combinées avec des autorisations en cas de surveillance (complexe à assurer d’ailleurs, tant la surveillance humaine que les filets trouvant leurs limites) SONT POSSIBLES EN CAS D’ACME DE LA CRISE sous réserve d’être combinée bien sûr à de l’information et de la surveillance.

Sources : Ord. CE  13 août 2013, M. Int. c. St Leu_ n 370902 ; voir aussi Ord. TA SD, 19 juillet 2013, Cne d e St-Leu c. préfet, n°1300885

Citons les termes clairs, en ce sens, d’une autre ordonnance :

« par arrêté n° 2011 / 825 / AM, portant réglementation provisoire de
la baignade et des activités nautiques sur le plan d’eau de la plage des Roches Noires, « toute activité nautique avec engins de plage et engins non immatriculés est interdite sur le plan d’eau de la plage de Boucan Canot jusqu’à nouvel ordre » ; que M. B., pratiquant le surf au titre de ses loisirs, demande l’annulation de l’article 7 de l’arrêté du 19 décembre 2011, dans lequel la maire de la commune de Saint-Paul a inscrit cette interdiction ; […]
« 5. Considérant que M. B. soutient que l’interdiction contestée n’est pas proportionnée à l’objectif qu’elle vise ; que, toutefois, la seule circonstance que d’autres mesures auraient pu être adoptées, dans l’attente d’une mesure pérenne, dont au demeurant il n’est pas établi qu’elles n’auraient pas été plus coûteuses ou plus difficiles à mettre en œuvre, n’est pas de nature à caractériser l’absence de proportionnalité reprochée, par rapport à l’objectif de sécurité publique poursuivi, rendu nécessaire par la multiplication inexpliquée d’attaques de requins sur une courte période ; que le moyen doit être écarté ; »
Source : TA Saint-Denis, ord.,  28 mai 2012 _ M. Beaumon_ n°120016

IV.C. Mais une telle interdiction intégrale reste difficile à sécuriser en droit, comme une décision du TA de Nouvelle-Calédonie l’a démontré. Les dérogations géographiques (lagons s’il y en a et s’ils sont réellement protégés) et les autorisations en cas de filet ou de surveillance manuelle ou électronique restent à envisager pour sécuriser de tels arrêtés, mais à la condition d’avoir bien à l’esprit les limites techniques de ces solutions alternatives.

Par un jugement du 17 mai 2023, sur requête d’un habitant de Nouméa, le Tribunal Administratif de Nouvelle-Calédonie a annulé l’arrêté du 16 mars 2023 du maire de Nouméa interdisant toute baignade du 20 mars au 31 décembre 2023 dans la bande littorale des 300 mètres de Nouméa ainsi que sur les ilots Maitre, Canards, Sainte-Marie, Uere.

Le juge administratif a ainsi jugé que cette interdiction, au caractère général et absolu serait disproportionnée eu égard d’une part aux objectifs de protection de des populations, tant dans sa durée que dans son étendue géographique et d’autre part, aux libertés publiques, malgré la présence avérée depuis plusieurs années de nombreux requins.

Il a également estimé que la commune n’établit pas que l’objectif poursuivi ne pouvait être atteint par des mesures de police moins contraignantes et moins attentatoires aux libertés (filets ? surveillance humaine ? surveillance électronique ? Aucun de ces outils n’a pour l’instant donné vraiment satisfaction mais il faut dans les mesures de police sans doute en prévoir de temps à autres pour montrer qu’on a évité les interdictions pures et simples hors lagon — et encore — et hors maxima de crises).

Citons ce TA du Pacifique :

« 4. Le maire tient de ses pouvoirs de police administrative la possibilité de réglementer l’accès aux plages et la pratique des activités nautiques sur le territoire de sa commune, dans l’intérêt de la sécurité, de la tranquillité et de la salubrité publiques. Il résulte de ces dispositions que s’il incombe au maire d’une commune sur le territoire de laquelle sont situés des lieux de baignade, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, les interdictions édictées à ce titre doivent être strictement proportionnées à leur nécessité. En l’espèce, l’arrêté du 16 mars 2023 du maire de la commune de Nouméa en litige interdit toute baignade du 20 mars au 31 décembre 2023 dans la bande littorale des 300 mètres de Nouméa ainsi que sur les ilots Maitre, Canards, Sainte- Marie, Uere. Cette interdiction, au caractère général et absolu est disproportionnée eu égard d’une part aux objectifs de protection des populations, tant dans sa durée que dans son étendue géographique et d’autre part, aux libertés publiques, malgré la présence avérée depuis plusieurs années de nombreux requins. La commune n’établit pas que l’objectif ainsi poursuivi ne pourrait être atteint par des mesures de police moins contraignantes, par des mesures de signalisation adaptées et suffisamment visibles qui d’ailleurs existent déjà, ou bien par des moyens de surveillance du littoral moins attentatoires aux libertés. Dans ces conditions, la maire de la commune de Nouméa a entaché sa décision d’un excès de pouvoir. Il en résulte que M. C… est fondé à demander l’annulation de l’arrêté de la maire de Nouméa en date du 16 mars 2023, sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de sa requête.».

Si la commune a pris un arrêté à la fois moins restrictif et plus complet le 3 mai dernier, l’arrêté annulé du 16 mars, qui n’a pas été retiré par la commune mais simplement abrogé, a néanmoins produit des effets pendant deux mois et devait donc être annulé rétroactivement. Le nouvel arrêté du 3 mai continue quant à lui de produire ses effets et n’a , à ce jour , fait l’objet d’aucun recours.

Source :

TA Nouvelle-Calédonie, 17 mai 2023, n° 2300167 (cliquer ici pour y accéder sur le site dudit TA)

V. La pêche préventive, elle, aura du mal à être sécurisée en droit, surtout si elle est portée par les acteurs locaux 

NB : ce qui suit reprend le communiqué du TA, lequel nous semble ne pas devoir être complété ni amputé, puisqu’il est clair.

Par une ordonnance du 14 septembre 2023, le tribunal administratif de Nouvelle-Calédonie a suspendu l’arrêté de la présidente de la province Sud n° 1469-2023/ARR/DDDT du 17 avril 2023 portant autorisation pour la commune de Nouméa d’exercer une activité de pêche de requins au sein des aires de gestion durable des ressources de l’îlot Maître, de l’îlot Canard et de la Pointe du Kuendu, à titre dérogatoire.

Le juge des référés a tout d’abord estimé que l’urgence était constituée, dès lors que neuf campagnes de prélèvement étaient prévues d’ici la fin de l’année 2023, dont une débutant quelques jours après l’audience du 14 septembre 2023.

Il a ensuite retenu l’absence d’études scientifiques portant sur les conséquences d’une telle opération, tant pour les populations de requins que pour l’environnement, et a enfin considéré que l’argument selon lequel ces campagnes ne discriminaient pas selon la taille des individus et entre espèces prélevées était de nature à faire naitre un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté attaqué.

Source :

Ces positions ont été confirmées ensuite, au fond cette fois et non plus en référé, par le TA de Nouvelle-Calédonie.

Par deux jugements du 28 décembre 2023, ce tribunal a en effet annulé la décision de la commune de Nouméa de procéder à des campagnes de pêche de requin jusqu’à la fin de l’année 2023 ainsi que la décision par laquelle la présidente de l’assemblée de la province Sud a autorisé une activité de pêche au sein des aires de gestion durable des ressources de l’îlot Maître, de l’îlot Canard et de la Pointe Kuendu. 

Lire les jugements sur le site dudit TA  :

Source : vente d’ailerons de requins à consommer ; magasin en gare de Tokyo ; coll. pers. 2019

VI. Voici, à ce sujet, une vidéo (à jour en droit à fin octobre 2023 et, depuis, le droit n’a guère évolué)

Voici enfin une vidéo de 15 mn 24, faite fin octobre 2023 et, puis, le droit n’a guère évolué donc celle-ci peut être considérée comme à jour :