A partir de quels seuils les ouvrages de production d’énergie sont-ils réputés répondre à des « raisons impératives d’intérêt public majeur », au regard des règles propres aux espèces protégées ?

En matière d’espèces protégées, le principe est celui de l’interdiction de toute destruction desdites espèces ou de leur habitat, sous réserve des dérogations à ce principe avec des critères cumulatifs et un critère alternatif… dont le fameux cas des « raisons impératives d’intérêt public majeur ». 

Celles-ci, depuis des lois de 2023, seront parfois réputées être constituées pour certains équipements de production énergétique (biogaz, hydroélectricité, éolien, photovoltaïque…)… selon des seuils qui viennent d’être fixés, pour la France métropolitaine continentale, par un important décret.  


I. Rappel des régimes propres aux espèces protégées, aux « raisons impératives d’intérêt public majeur »… et aux nouveautés de la loi de mars 2023 en  matière d’EnR (ainsi que de celle de juin 2023 sur le nucléaire)

La directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite directive Habitats, et la directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages imposent aux États membres de mettre en place un régime général de protection stricte des espèces animales, des habitats et des oiseaux. Ce régime figure aux articles L. 411-1 et suivants du code de l’environnement.

En matière d’espèces protégées, le principe est ainsi celui de l’interdiction de toute destruction desdites espèces ou de leur habitat (art. L.411-1 du code de l’environnement), sous réserve des dérogations à ce principe (art. L. 411-2 de ce même code), le tout assurant la transposition de la directive Habitats 92/43/CEE du 21 mai 1992.

Schématiquement, une telle dérogation suppose que soient réunies trois conditions (cumulatives, donc) :

  1. il n’y a pas de solution alternative satisfaisante
  2. il n’en résulte pas une nuisance au « maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle »
  3. le projet conduisant à cette destruction sert lui-même un des motifs limitativement énumérés par la loi, à savoir (conditions alternatives, cette fois) :
    • protéger la faune et de la flore sauvages et la conservation des habitats naturels ;
    • prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l’élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d’autres formes de propriété ;
    • s’inscrire dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ;
    • agir à des fins de recherche et d’éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ;
    • permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d’une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d’un nombre limité et spécifié de certains spécimens.

Ces conditions sont cumulatives et, souvent, c’est sur la notion de « raisons impératives d’intérêt public majeur » que sont fondées les dérogations.

Oui mais développer des énergies renouvelables est-il constitutif d’un tel intérêt public majeur ? Et l’exigence d’un tel intérêt public majeur s’impose-t-il même quand une espèce n’est pas ou plus menacée ? Et faut-il lancer la procédure si l’atteinte aux animaux apparaît non pas en amont de l’exploitation, mais au fil de celle-ci ?

Face à ces questions, une jurisprudence touffue s’est développée.

Voir nos nombreux articles et vidéos à ce sujet… 

Puis le législateur est intervenu, avec la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (NOR : ENER2223572L). 

… Etant rappelé que ce texte doit être lu aussi à la lumière d’un tout nouveau, transitoire et puissant, règlement européen :

Comme cela a été fait également (mais en d’autres termes : attention en cas de contentieux) à l’échelle européenne (voir ci-avant en introduction), le nouveau régime prévoit une présomption de raison d’intérêt public majeur pour nombre de situations (art. 19 de la loi) :

I. – Après l’article L. 211-2 du code de l’énergie, il est inséré un article L. 211-2-1 ainsi rédigé : 
« Art. L. 211-2-1. – Les projets d’installations de production d’énergies renouvelables au sens de l’article L. 211-2 du présent code ou de stockage d’énergie dans le système électrique, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4o du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. 

« Ces conditions sont fixées en tenant compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés aux 1o et 2o du présent article : 

« 1o Pour le territoire métropolitain, la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-2, en particulier les mesures et les dispositions du volet relatif à la sécurité d’approvisionnement et les objectifs quantitatifs du volet relatif au développement de l’exploitation des énergies renouvelables, mentionnés aux 1o et 3o du même article L. 141-2 ; 

« 2o Pour le territoire de chacune des collectivités mentionnées à l’article L. 141-5, la programmation pluriannuelle de l’énergie qui lui est propre, en particulier les volets relatifs à la sécurité d’approvisionnement en électricité, au soutien des énergies renouvelables et de récupération et au développement équilibré des énergies renouvelables et leurs objectifs mentionnés aux 2o, 4o et 5o du II du même article L. 141-5 et après avis de l’organe délibérant de la collectivité. 

« L’existence d’une zone d’accélération définie à l’article L. 141-5-3 du présent code ne constitue pas en tant que telle une autre solution satisfaisante au sens du 4o du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement. » 

II. – Après l’article L. 411-2 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 411-2-1 ainsi rédigé : 

« Art. L. 411-2-1. – Sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4o du I de l’article L. 411-2 du présent code, les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie dans le système électrique satisfaisant aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie. » 

Un régime un peu équivalent a été prévu pour le nucléaire (article 12 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes).

II. Le nouveau décret 

Dans ce cadre, a été publié le 

Ce texte fixe donc les seuils de puissance au-delà desquels les projets de production d’énergies renouvelables et électronucléaires sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, et ce énergie par énergie, pour la France métropolitaine continentale seulement.

  • L’article 1er est ainsi rédigé sans surprise :« Art. R. 411-6-1. – Sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 :
    « 1° Les projets d’installations de production d’énergies renouvelables ou de stockage d’énergie dans le système électrique, y compris leurs ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie, au sens de l’article L. 211-2-1 du code de l’énergie, lorsqu’ils satisfont aux conditions prévues par les articles R. 211-1 à R. 211-6 du code de l’énergie ;
    « 2° Les projets de réalisation d’un réacteur électronucléaire ou d’installation d’entreposage de combustibles nucléaires lorsqu’ils satisfont aux conditions prévues par l’article 3 du décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023. »

Pour le photovoltaïque, le régime a ses complexités mais avec un chiffre à retenir : 2,5 mégawatts crête :

  • « Art. R. 211-1. – Un projet d’installation produisant de l’électricité d’origine photovoltaïque sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La puissance prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 mégawatts crête ;
    « 2° La puissance totale du parc de production photovoltaïque raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc de production photovoltaïque sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.

Et 9 mégawatts pour l’éolien :

  • « Art. R. 211-2. – Un projet d’installation située à terre produisant de l’électricité à partir de l’énergie mécanique du vent sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La puissance prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 9 mégawatts ;
    « 2° La puissance totale du parc éolien terrestre raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc éolien terrestre sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.

Pour le biogaz, retenons le seuil ainsi fixé « La production annuelle prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 12 gigawatts-heures de pouvoir calorifique supérieur par an » :

  • « Art. R. 211-3. – Un projet d’installation produisant du biogaz sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La production annuelle prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 12 gigawatts-heures de pouvoir calorifique supérieur par an ;
    « 2° La production annuelle totale du parc d’installations de production de biogaz présent sur ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, est inférieure à l’objectif maximal de production annuelle prévisionnelle totale du parc d’installation de production de biogaz sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.

Pour le solaire thermique, le pivot est fixé à une « puissance prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 mégawatts » :

  • « Art. R. 211-4. – Un projet d’installation produisant de l’énergie solaire thermique sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La puissance prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 2,5 mégawatts ;
    « 2° La puissance totale du parc de production solaire thermique raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc de production solaire thermique sur ce territoire défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie définie à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.

Et pour l’hydroélectricité, le seuil est fixé à une « puissance maximale brute prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 1 mégawatt » :

  • « Art. R. 211-5. – Un projet d’installation de production hydroélectrique gravitaire située sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La puissance maximale brute prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 1 mégawatt ;
    « 2° La puissance totale du parc hydroélectrique gravitaire raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc hydroélectrique gravitaire sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1du code de l’énergie.
    « Ces dispositions ne s’appliquent pas aux installations sises sur des cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 1° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. 

Voici la suite du décret pour le transfert d’énergie par pompage :

  • « Art. R. 211-6. – Un projet de station de transfert d’énergie par pompage située sur le territoire métropolitain continental satisfait aux conditions prévues à l’article L. 211-2-1 si :
    « 1° La puissance prévisionnelle totale de la station est supérieure ou égale à 1 mégawatt ;
    « 2° La puissance totale du parc des stations de transfert d’énergie par pompage raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l’article L. 411-1 du code de l’environnement, est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc de stations de transfert d’énergie par pompage sur ce territoire, défini par le décret relatif à la programmation pluriannuelle de l’énergie mentionnée à l’article L. 141-1 du code de l’énergie.
    « Ce seuil n’est pas applicable aux installations sises sur des cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 1° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement. »

Et voici pour le nucléaire :

  • « I. – La réalisation d’un réacteur électronucléaire, au sens du I de l’article 7 de la loi n° 2023-491 du 22 juin 2023 relative à l’accélération des procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires à proximité de sites nucléaires existants et au fonctionnement des installations existantes, est constitutive d’une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, si elle satisfait aux conditions prévues au II de l’article 7 de cette loi ainsi qu’à au moins l’une des conditions suivantes :
    1° La puissance thermique prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 750 mégawatts, quel que soit le type de technologie utilisé ;
    2° La puissance thermique prévisionnelle de l’installation est supérieure ou égale à 30 mégawatts et l’installation présente l’une des caractéristiques suivantes :
    a) Sa conception bénéficie d’un soutien public en tant que réacteur nucléaire innovant, au titre d’un appel à projets figurant sur une liste fixée par un arrêté conjoint des ministres chargés de la protection de la nature et de l’énergie, au regard notamment de sa contribution à l’amélioration de la compétitivité, de la sûreté nucléaire et de la gestion des déchets radioactifs ;
    b) Sa réalisation est qualifiée de projet d’intérêt général en application du I de l’article 8 de la loi mentionnée au premier alinéa.
    La puissance thermique prévisionnelle mentionnée au 1° et au 2° correspond au cumul de la puissance de l’ensemble des réacteurs connexes de même conception d’un même projet.
    II. – La réalisation d’un projet d’installation d’entreposage de combustibles nucléaires mentionnée au 2° de l’article L. 593-2 du code de l’environnement répond à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411-2 du code de l’environnement, lorsque :
    1° En application du III de l’article 7 de la loi mentionnée au I du présent article, un arrêté du ministre chargé de la sûreté nucléaire soumet ce projet à la disposition prévue à l’article 12 de la même loi ;
    2° La capacité d’entreposage d’éléments combustibles de l’installation est supérieure à 500 tonnes d’uranium et de plutonium contenus dans ces éléments avant irradiation. »
Source : centrale nucléaire de Doel, près d’Anvers (B) – crédits photographiques Nicolas HIPPERT (sur Unsplash)