GEMAPI et digues de l’Etat : passage en force même en cas d’absence d’accord (pour l’échéance 2024)

Après la grande transition qui fut la création de la compétence GEMAPI et l’intercommunalisation de celle-ci, est venu le temps de la mise en oeuvre et des ajustements, dont certains législatifs (comme la loi n° 2017-1838, dite Fesneau-Ferrand, du 30 décembre 2017 puis le décret no 2019-119 du 21 février 2019 ou, bien sûr, le « décret digues » n° 2015-526 du 12 mai 2015).

Avec à chaque fois (y compris dans le décret 2019-119) une prise en compte de l’échéance spécifique de transfert des digues de l’Etat en 2024 (au lieu de 2020)… même si en réalité, à présent, la gestion de ces digues par l’Etat est supposée être faite au nom des acteurs de la Gemapi (article 59 de la loi MAPTAM n° 2014-58 du 27 janvier 2014, modifiée).

L’échéance de la loi MAPTAM est… le 29 janvier 2024. Soit demain. 

Les acteurs gemapiens de terrain en général se plaignent de l’état des investissements sur les digues de l’Etat depuis 10, 20 ou 30 ans, sur l’absence dans les textes de réel ajustements financier, sur le piège qui a consisté à dire que l’Etat gérait pour leur compte en termes de responsabilité et de neutralisation financière. 

Tout ceci doit, ou devait, passer par des conventions. 

Mais à défaut ? A défaut, on passe en force. Au JO de ce matin, en effet, ont été adoptés deux textes. 

Le premier est le décret n° 2023-1074 du 21 novembre 2023 relatif au transfert de la gestion des digues domaniales aux communes et groupements de collectivités territoriales compétents en matière de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (NOR : TREP2319484D) :

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Ce texte :

  • précise les modalités selon lesquelles la commune ou un groupement de collectivités territoriales (établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ou groupement de type syndicat mixte, EPAGE ou EPTB ou ni l’un ni l’autre…) qui exerce la compétence de gestion des milieux aquatiques et de prévention des inondations (le « gémapien ») est substitué à l’Etat ou à un établissement public de l’Etat pour la gestion des digues domaniales. Cette substitution intervient à l’issue de la période transitoire prévue par le IV de l’article 59 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (c’est-à-dire au plus tard à compter du 29 janvier 2024) pendant laquelle l’Etat ou l’établissement public de l’Etat, en tant que gestionnaire historique de la digue, est tenu de poursuivre cette gestion pour le compte du gémapien.
  • définit l’ensemble des droits et obligations liés à ces ouvrages que le gémapien reprend à son compte, en tant que gestionnaire des ouvrages, quand la période de transition cesse.
  • permet que l’Etat ou l’établissement public de l’Etat achève l’exécution de marchés publics de travaux ou de service conclus par lui pour les besoins de sa gestion pendant la période transitoire qui seront toujours en cours quand cette période transitoire sera terminée.
  • introduit également une adaptation à une disposition du décret n° 2018-514 du 25 juin 2018 relatif aux subventions de l’Etat pour des projets d’investissement quand une demande de subvention du gémapien porte sur des travaux qui font l’objet d’un marché en cours conclu initialement par l’Etat ou un établissement public de l’Etat.
  • facilite la procédure de désaffectation d’une digue domaniale qui vient d’être transférée dans le cas où elle n’a plus d’utilité pour la prévention des inondations (article 5 du décret).
  • clarifie le fait que la GEMAPI s’applique dans les conditions de droit commun en Moselle et en Alsace (art. 6 du décret).

Sur le transfert lui-même, au plus tard le 29 janvier 2024,  le régime prévu est donc celui d’une convention à conclure et, à défaut d’accord, d’un arrêté constatant ce transfert… avec transfert de toute manière de l’ensemble des biens, droits et obligations au « profit » de l’autorité gemapienne  :

« I. – Les conventions de mise à disposition prévues au I de l’article L. 566-12-1 du code de l’environnement prennent effet au plus tard à compter du premier jour suivant la fin de la période transitoire de dix ans prévue par le IV de l’article 59 de la loi du 27 janvier 2014 susvisée.
« En l’absence de convention, le représentant de l’Etat dans le département prend un arrêté constatant la mise à disposition des digues à compter du 29 janvier 2024. Est annexé à cet arrêté un procès-verbal, établi après échange contradictoire avec les représentants de la commune ou du groupement de collectivités territoriales bénéficiaire du transfert des digues, comportant les indications figurant aux 1° à 6° de l’article 4.
« 
II. – Un arrêté du ministre chargé de la prévention des risques naturels établit la liste des digues domaniales mises à disposition et des communes ou groupements de collectivités territoriales respectivement concernés. Cette liste est publiée au Bulletin officiel du ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
« 
III. – A compter de la prise d’effet de la convention, ou au plus tard le 29 janvier 2024, la commune ou le groupement de collectivités territoriales bénéficiaire de la mise à disposition de la digue domaniale assume l’ensemble des obligations du propriétaire.
« 
Il possède tous pouvoirs de gestion sur cet ouvrage, en assure le renouvellement, peut autoriser son occupation temporaire, peut en percevoir les fruits et produits et agit en justice en lieu et place du propriétaire.
« 
La commune ou le groupement de collectivités territoriales concerné est substitué à l’Etat ou à l’établissement public de l’Etat dans l’accomplissement de toutes les formalités nécessaires à l’obtention des autorisations administratives requises pour les ouvrages mis à disposition. Il instruit, le cas échéant, les demandes de conventions de superposition d’affectation et soumet celles-ci à l’autorité compétente mentionnée à l’article R. 2123-15 du code général de la propriété des personnes publiques.
« 
IV. – Les dispositions du présent article s’appliquent sans préjudice des compétences dévolues au représentant de l’Etat dans le département en application des articles L. 774-2 du code de justice administrative et L. 2124-18 du code général de la propriété des personnes publiques

Cette substitution s’applique y compris en matière de commande publique :

  • « A compter de la prise d’effet de la convention mentionnée à l’article 1er, ou au plus tard le 29 janvier 2024, la commune ou le groupement de collectivités territoriales bénéficiaire de la mise à disposition de la digue domaniale est substitué à l’Etat ou à l’établissement public de l’Etat dans l’ensemble de ses droits et obligations nés des contrats et marchés publics conclus pour les besoins de la gestion de la digue domaniale pendant la période transitoire mentionnée au I de l’article 1er.
    Les contrats et marchés publics sont exécutés dans les conditions antérieures jusqu’à leur échéance, sauf accord contraire de la commune ou du groupement de collectivités territoriales compétent pour la défense contre les inondations concerné et du cocontractant.
    La substitution n’entraîne aucun droit à résiliation ou à indemnisation pour le cocontractant. L’Etat ou l’établissement public de l’Etat informe les cocontractants de cette substitution.
    Lorsque la commune ou le groupement de collectivités territoriales concerné demande à l’Etat une subvention pour des travaux faisant l’objet d’un tel marché public, le commencement d’exécution mentionné à l’article 5 du décret du 25 juin 2018 susvisé est réputé constitué par le premier acte juridique afférent à ce marché pris par leur autorité compétente. »

Mais quelques ajustements sont fixés à ce principe à l’article 3 de ce décret. 

Le contenu des conventions est fixé par l’article 4 de ce décret (le transfert de plein droit par arrêté devant sans doute reprendre ces éléments, peut-on supposer même si le texte n’est sur ce point pas d’une clarté absolue) : 

  • « Article 4« La convention mentionnée à l’article 1er fixe les modalités de mise à disposition des digues et ouvrages accessoires concernés et les obligations respectives des parties.
    « Elle précise notamment :
    1° La localisation et les principales caractéristiques des digues et de leurs éventuels dispositifs de régulation des écoulements hydrauliques accessoires tels que vannes et stations de pompage ;
    2° Leur situation juridique, en particulier au regard du cadastre et des autorisations requises au titre de la police de l’eau ;
    3° La documentation administrative et technique afférentes aux digues dont dispose l’Etat ou l’établissement public de l’Etat en tant que gestionnaire des ouvrages ;
    4° Le cas échéant, les modalités de la superposition d’affectation des digues ;
    5° Les actes, contrats, marchés publics et procédures administratives en cours, en distinguant entre ceux pour lesquels le gestionnaire est substitué à l’Etat ou à l’établissement public de l’Etat et ceux auxquels il n’est pas substitué en application du présent décret ;
    6° Le cas échéant, les modalités de fixation des financements de l’Etat, tels qu’évalués à la date du 29 janvier 2024, au titre de la mise en conformité des digues transférées à la commune ou au groupement de collectivités territoriales concerné. La convention précise notamment, à ce titre, les travaux susceptibles d’être éligibles à un dispositif de subvention d’investissement à taux bonifié de l’Etat. » 

Au JO de ce matin, se trouve un autre décret à ce propos, relatif quant à lui à l’aspect « fonds Barnier » de ce régime. 

Il s’agit du décret n° 2023-1075 du 21 novembre 2023 relatif au soutien du fonds de prévention des risques naturels majeurs aux travaux de mise en conformité des digues domaniales transférées (NOR : TREP2303959D), que voici :

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Ce décret permet la prise en charge, par le fonds de prévention des risques naturels majeurs, de la compensation prévue au IV de l’article 59 de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 précitée, et prolonge jusqu’en 2035 la contribution du fonds au financement des études et travaux de mise en conformité des digues dont la gestion a été transférée de l’Etat à une collectivité territoriale après le 1er janvier 2018… avec quelques modalités en cas de versement de la soulte. 

La solution d’utiliser le fonds Barnier à ce propos n’est pas nécessairement consensuelle.