L’Etat, responsable pour préjudice écologique, faute d’avoir respecté ses propres objectifs en matière de pesticides

Pesticides : la voie, désormais ouverte, de l’indemnisation non pas à des victimes identifiées, mais plus floue, et plus générale, de victimes non identifiées (sauf les associations pour leur préjudice moral), et ce pour préjudice écologique. Environnementalement, c’est sans doute intéressant. En pur droit, c’est un peu novateur, mais logique au regard des formulations des articles 1246 à 1248 du code civil et des termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement.

Préjudice écologique lié à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques : le TA de Paris est, décidément, très en verve pour condamner (symboliquement) l’Etat à réparer des préjudices ces temps-ci.

Il y a quelques jours, il était le premier à franchir le pas d’une indemnisation réelle (quoique faible) pour préjudice lié à l’inaction de l’Etat en matière de pollution atmosphérique. Une étape qui avait dans son principe été déjà franchie auparavant, mais sans concrétisation réelle :

Or, voici maintenant que, par un jugement n° 2200534/4-1 du 29 juin 2023, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique résultant de la contamination généralisée, diffuse, chronique et durable des eaux et des sols par les substances actives de produits phytopharmaceutiques, du déclin de la biodiversité et de la biomasse et de l’atteinte aux bénéfices tirés par l’homme de l’environnement. Il enjoint à l’État de le réparer d’ici le 30 juin 2024.

Il ne s’agit pas d’indemniser une victime identifiée (cela existe déjà) mais d’indemniser pour méconnaissance des objectifs, que l’Etat s’était imposé à lui-même, pour réduire l’usage de ces pesticides.

Plu précisément, le tribunal retient que l’Etat a commis deux fautes, en méconnaissant d’une part, les objectifs qu’il s’était fixés en matière de réduction de l’usage de produits phytopharmaceutiques et, d’autre part, l’obligation de protection des eaux souterraines et juge que le préjudice écologique présente un lien direct et certain avec ces fautes.

En revanche, en ce qui concerne les procédures d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques, si le tribunal reconnaît des carences fautives de l’Etat au regard du principe de précaution, il a néanmoins considéré que le lien de causalité entre ces insuffisances et le préjudice écologique reconnu n’était pas certain.

En outre, le tribunal  considère que les fautes alléguées par les associations requérantes ne sont pas établies s’agissant des procédures de suivi et de surveillance des effets des produits phytopharmaceutiques autorisés, du défaut d’indépendance des missions d’évaluation et d’autorisation reproché à l’ANSES, de la violation de l’interdiction de mise sur le marché de produits présentant un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement, de l’obligation de protection des eaux de surface et du non-respect des objectifs européens d’amélioration de la qualité chimique des eaux.

OUI mais avec quelles victimes hormis le préjudice moral des associations requérantes (1 € par association) ?

En droit usuel de la responsabilité indemnitaire, cette question serait dirimante. Mais pas en droit de l’environnement en raison des formulations des articles 1246 à 1248 du code civil et des termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement, ainsi rappelés par le TA :

« 4. Aux termes de l’article 1246 du code civil : « Toute personne responsable d’un préjudice écologique est tenue de le réparer. ». En vertu de l’article 1247 du même code, le préjudice écologique consiste en une atteinte non négligeable aux éléments ou aux fonctions des écosystèmes ou aux bénéfices collectifs tirés par l’homme de l’environnement. L’article1248 de ce code dispose que : « L’action en réparation du préjudice écologique est ouverte à toute personne ayant qualité et intérêt à agir, telle que l’Etat, l’Office français de la biodiversité, les collectivités territoriales et leurs groupements dont le territoire est concerné, ainsi que les établissements publics et les associations agréées ou créées depuis au moins cinq ans à la date d’introduction de l’instance qui ont pour objet la protection de la nature et la défense de l’environnement. ». Enfin, aux termes de l’article L. 142-1 du code de l’environnement: «Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l’environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. (…) ».

D’où le mode d’emploi consistant à adopter le dispositif suivant :

« Article 2 : Il est enjoint à la Première ministre et aux ministres compétents de prendre toutes les mesures utiles de nature à réparer le préjudice écologique et prévenir l’aggravation des dommages en rétablissant la cohérence du rythme de diminution de l’utilisation des produits phytosanitaires avec la trajectoire prévue par les plans Ecophyto et en prenant toutes mesures utiles en vue de restaurer et protéger les eaux souterraines contre les incidences des produits phytopharmaceutiques et en particulier contre les risques de pollution. La réparation du préjudice devra être effective au 30 juin 2024, au plus tard.»

Voici cette décision :

TA Paris, 29 juin 2023, n°2200534/4-1