Quoique marinière, la moule n’aime pas les vagues juridiques

C’est l’histoire d’une moule… ou plutôt de tonnes de moules. Qui sont trop petites pour être consommées. Alors on les jette un peu de ci, de là. Faute d’être avalées par les humains, ce sont les oiseaux qui s’y collent, ce qui semble limiter les déprédations qu’ailleurs les volatiles eussent pu commettre. 

Légende : paysage breton

C’est là qu’intervient un autre personnage de notre histoire. Un préfet.

Il a une belle casquette et des idées généreuses : il veut que les épandages de moules, qui pour l’instant se faisaient hors de tout cadre juridique, et le droit, s’aiment enfin d’amour tendre. Mal lui en en pris. Il s’y est noyé dans un océan de règles de droit aux courants contraires. 

Depuis, le pauvre préfet multiplie les tentatives en droit, et à chaque fois le juge lui expose qu’il a tout fait de travers. 

Voici d’ailleurs le résumé qu’en a fait le juge :

« Les contraintes de calibrage des moules de Bouchot conditionnant l’appellation d’origine protégée dont bénéficie leur commercialisation, ont rapidement posé la question du sort des moules d’élevage trop petites pour y satisfaire (les moules « sous-taille » représentant 10 à 20% de la production globale). La pratique consistant, pour les conchyliculteurs à procéder à leur épandage dans certains secteurs du littoral, (comme dans la baie du Mont-Saint-Michel) a pu être présentée comme ayant l’avantage de canaliser la prédation par les oiseaux marins mais elle n’avait jusqu’en 2021 jamais été encadrée par l’autorité administrative jusqu’à ce qu’un arrêté du 8 juillet 2021 du préfet d’Ille-et-Vilaine ne vienne en définir strictement les modalités en autorisant, dans cette baie emblématique, leur dépôt et leur dispersion par véhicules épandeurs identifiés, dans des zones définies sur les chemins d’accès à certaines concessions d’élevage.

« Pour louable qu’ait été cette démarche, elle s’est heurtée à l’opposition catégorique des associations de défense de l’environnement et des milieux naturels qui ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Rennes la suspension de l’exécution de cet arrêté, par une ordonnance du 17 décembre 2021, au motif que ces moules sous-tailles constituaient des sous-produits animaux visés dans la nomenclature définie pour l’application du régime des installations classées pour la protection de l’environnement, dont, compte tenu des volumes concernés, le dépôt était soumis non à simple déclaration mais à une autorisation prise après évaluation environnementale. L’incidence pratique de cette suspension a été faible, la saison étant alors quasiment achevée.

« L’année suivante, le préfet d’Ille-et-Vilaine qui avait effectivement engagé le processus d’évaluation environnementale, a cependant cru pouvoir parallèlement prendre, le 8 juillet 2022, un nouvel arrêté dans le cadre tout à faire différent d’un règlement européen du 21 octobre 2009 (adopté pour tirer les conséquences, quelques années après, de la crise de la « vache folle ») pour autorisé l’épandage des moules sous-taille, au titre des différentes modalités de traitement des sous-produits animaux définies par cette réglementation sanitaire.

« Après avoir été à nouveau suspendu par ordonnance de référé du 21 septembre 2022, cet arrêté a été annulé au fond, par jugement du 10 février 2023 qui a, dans un premier temps, constaté que le dispositif d’épandage ainsi autorisé, qui déroge à un traitement de ces sous-produits animaux relevant normalement de l’incinération ou de l’enfouissement, n’avait pas été pris après avis de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, comme prévu par le règlement ni que les bénéficiaires de l’autorisation étaient titulaires de l’agrément sanitaire également requis en pareil cas alors en outre que se posait également un sérieux problème de compétence, une telle autorisation ne pouvant être accordée qu’au niveau ministériel.

« En outre, le tribunal a rappelé que le fait de s’inscrire dans le cadre de la réglementation sanitaire européenne ne dispensait pas, pour autant, l’autorité administrative de respecter les règles relatives à la protection de l’environnement, et accessoirement, celles qui gouvernent l’utilisation du domaine public maritime. S’agissant de l’aspect environnemental, la législation relative aux installations classées impliquait ainsi toujours la réalisation de l’évaluation environnementale dont l’absence était patente à la date de l’arrêté litigieux, sans omettre celle d’une enquête publique ni la consultation de l’autorité environnementale et des collectivités intéressées. De même, avait été également omise la consultation de la commission des cultures marines qui veille au respect par les bénéficiaires de concessions de culture sur le domaine public maritime, des obligations issues tant du code de la propriété des personnes publiques que du schéma régional des structures et exploitations de cultures marines.

« Pointant ainsi les différentes illégalités affectant l’arrêté litigieux, l’annulation de ce dernier était certaine mais ce jugement a désormais le mérite de définir un cadre plus clair et plus rigoureux permettant aux autorités compétentes de mieux tenir compte des nombreuses problématiques à l’œuvre en la matière afin d’en respecter les différentes contraintes procédurales. »

Bref, après une indigestion, le préfet aura enfin la recette d’une mytiliculture juridiquement conforme. 
Et le lecteur, dégouté, aura compris à quel point la pêche aux règles de droit complexes reste miraculeuse sous nos parages. 

Source :

TA Rennes, 10 février 2023, n°2204173