La nudité des fruits et des légumes… n’est pas inconstitutionnelle

L’obligation décrétale de ne pas emballer de plastique les fruits et légumes non transformés… n’est (évidemment) pas inconstitutionnelle !

Ayons un moment de compassion pour les confrères qui ont du tenter de défendre que le Conseil d’Etat se devait de transmettre au Conseil constitutionnel des QPC contre l’obligation (née du décret n° 2021-1318 du 8 octobre 2021) de ne pas emballer de plastique les fruits et légumes non transformés…

Aux termes du 16e alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement : « A compter du 1er janvier 2022, tout commerce de détail exposant à la vente des fruits et légumes frais non transformés est tenu de les exposer sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique. Cette obligation n’est pas applicable aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus ainsi qu’aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. »

Les requérants ont tenté d’user de la charte de l’environnement elle-même contre cette mesure, ce qui était d’une audace créative à saluer, mais cela n’a guère convaincu la Haute Assemblée :

En premier lieu, aux termes de l’article 1er de la Charte de l’environnement :  » Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé « . Aux termes de l’article 2 de la même charte :  » Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement « . La requérante fait valoir que le dispositif attaqué ne contribuera pas à la diminution des emballages qui pourront toujours entourer les produits jusqu’à leur livraison aux commerces de détail et, de surcroît, qu’il augmentera le gaspillage alimentaire puisque le plastique augmente la durée de vie des produits emballés. Toutefois, en adoptant les dispositions du 16e alinéa du III de l’article L. 541-15-10 du code de l’environnement, le législateur a entendu favoriser la réduction des déchets plastiques, dans un but de protection de l’environnement, d’une part, en considérant que les commerces de détail pourront ainsi choisir soit de passer des commandes livrées dans des contenants en bois, soit d’opter pour un déconditionnement des fruits et légumes dans le commerce, dans le respect des obligations de tri des déchets en plastique prévues par la loi, et d’autre part, en prenant en compte, au regard de l’état des connaissances, les conséquences susceptibles de résulter pour l’environnement de l’utilisation des produits plastiques. Par suite, le grief tiré de la méconnaissance des articles 1er et 2 de la Charte de l’environnement ne présente pas de caractère sérieux.

Plus classique et peut être un peu moins fragile était l’argument fondé sur la liberté d’entreprendre (mais bon les contrôles juridictionnels antérieurs de l’équilibre entre cette liberté et la protection de l’environnement ne pouvaient conduire à l’optimisme pour les requérants) :

En deuxième lieu, s’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre, qui découle de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, c’est à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. En imposant à tout commerce de détail d’exposer les fruits et légumes frais non transformés sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le législateur a entendu favoriser la réduction des déchets plastiques et a ainsi porté à la liberté d’entreprendre une atteinte qui est en lien avec les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de la santé et de l’environnement poursuivis. Par ailleurs, cette obligation n’est applicable ni aux fruits et légumes conditionnés par lots de 1,5 kilogramme ou plus, ni aux fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac dont la liste est fixée par décret. En sus, ces dispositions, qui ont été introduites par l’article 77 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et l’économie circulaire, ont laissé plus de vingt-deux mois aux professionnels du secteur pour adapter leurs usages. Il suit de là qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a assuré une conciliation qui n’est pas, compte tenu du champ de cette obligation, manifestement déséquilibrée, entre la liberté d’entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé. Le grief tiré de la méconnaissance de cette liberté doit donc être écarté.

Idem pour l’incompétence négative (puisque le critère était précis et que l’on est sans doute dans le champ de toute manière de l’article 37 de la Constitution) :

Enfin, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de déterminer la liste des fruits et légumes présentant un risque de détérioration lors de leur vente en vrac auxquels ne s’applique pas l’obligation de présentation à la vente sans conditionnement composé pour tout ou partie de matière plastique, le législateur, qui a retenu un critère suffisamment précis, n’a, en tout état de cause, pas reporté sur des autorités administratives ou juridictionnelles la fixation de règles que la Constitution place dans le domaine de la loi.

Source : Conseil d’État, 28 février 2022, n°459387

Voir aussi : Conseil d’État, 28 février 2022, n°458440 (avec des moyens proches) : http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CE/decision/2022-02-28/458440

A noter : dans certains cas, la voie indemnitaire pour responsabilité sans faute du fait d’une nouvelle législation ou réglementation peut être explorée mais avec en général de maigres compensations (l’arrêt canonique étant CE, Ass., 14 janvier 1938, Société la Fleurette, 51704 ; voir aussi entre autres CE, 2 novembre 2005, Société coopérative agricole Ax’ion, n° 266564 ; CE, 30 juillet 2003, Association pour le développement de l’aquaculture en région Centre, n° 215957 ; CE, Assemblée 22 octobre 2010, Mme Bleitrach, n° 301572 ; CE, Assemblée, 30 mars 1966, Compagnie générale d’énergie radioélectrique, n°50515… plus récemment pour une loi inconstitutionnelle voir CE, Ass., 24 décembre 2019, n° 425981, 425983 et 428162 [3 espèces différentes] : https://blog.landot-avocats.net/2019/12/24/letat-peut-etre-responsable-fait-dune-loi-inconstitutionnelle/ ).

Voir aussi :

etc.