Faute d’anguille sous roche : suspension dans la poche ? ou est-ce la dernière anguille qu’on embroche ? [suite du feuilleton au 28/2/24]

En matière de pêche des civelles et des anguilles jaunes (qui en sont le stade ultérieur, mais non ultime, de développement), s’est joué une partie en trois matches. Avec, à la fin, l’échec des anguilles :

  • I. Les associations avaient gagné un match aller en avril 2023, au nom de statistiques fiables et inquiétantes sur la conservation de l’espèce (pour l’anguille jaune et dans une moindre mesure pour les civelles qui de toute manière ne pouvaient déjà plus être pêchées en pratique)
  • II. Puis elles ont perdu le match retour en juillet 2023 dans le cas particulier de la pêche récréative… 
  • III. Il a donc fallu jouer « la belle » avec de nouveau un échec, en novembre 2023, des associations contre l’Etat. 
  • IV… puis vint un autre échec de ces associations contre l’Etat en février 2024, au fond cette fois, contre un (vieil) arrêté de 2021. Mais cette décision s’avère notable en raison de quelques intéressants apports juridiques (sur la prise en compte — selon les cas — des principes de prévention ou de précaution)

I. Les associations avaient gagné le match aller en avril 2023, au nom de statistiques fiables et inquiétantes sur la conservation de l’espèce (pour l’anguille jaune et dans une moindre mesure pour les civelles qui de toute manière ne pouvaient déjà plus être pêchées en pratique)

En avril 2023, saisi par deux associations de défense de l’environnement, le juge des référés du Conseil d’Etat avait temporairement suspendu les dates de pêche en domaine maritime de l’anguille jaune et, dans certaines zones, de la civelle, car celles-ci avaient été jugées non conformes au droit européen (et un des textes attaqué était vicié par une signature manquante de ministre). En revanche les périodes de pêche de l’anguille argentée ne sont pas affectées.

La pêche de l’anguille est en effet encadrée par le règlement européen du 30 janvier 2023 établissant les possibilités de pêche pour 2023 et 2024, qui impose aux Etats membres de l’interdire pendant une durée minimale de six mois consécutifs ou non, en leur laissant une marge d’appréciation variable selon les zones concernées (Méditerranée ou façade atlantique) pour le choix de ces périodes, certaines périodes de fermeture étant imposées, et d’autres devant se situer dans des plages calendaires déterminées.

L’association française d’étude et de protection des poissons et l’association défense des milieux aquatiques avaient donc été victorieuses dans un premier temps, en demandant au Conseil d’Etat de suspendre les calendriers fixant jusqu’en 2024 les périodes d’ouverture et de fermeture de la pêche de l’anguille dans le domaine maritime, en fonction de ses différents stades de développement : civelle, anguille jaune et anguille argentée (c’est donc bien le même poisson, juste à trois stades différents de développement).

Dans une première ordonnance, le juge des référés, en avril 2023, relevait  que les calendriers d’autorisation de la pêche à la civelle et de la pêche à l’anguille jaune dans certaines unités de gestion de l’anguille (UGA) n’étaient pas conformes aux périodes imposées ou aux plages calendaires fixées par le règlement européen.

La pêche à l’anguille jaune était donc suspendue immédiatement.

NB : un mot d’explication sur ces UGA. Les unités de gestion de l’anguille (UGA) sont des zones définies par le plan de gestion de l’anguille présenté par la France, qui correspondent à l’habitat naturel de l’anguille dans les bassins hydrographiques, dans les estuaires et dans les aires maritimes de répartition de cette espèce.

La pêche à la civelle pour repeuplement avait été en revanche maintenue jusqu’au 25 mai 2023 puisqu’il n’y avait plus d’urgence… les quotas de pêche à la civelle pour la consommation prévus pour la campagne entre le 1er novembre 2022 et le 25 mai 2023, étant déjà épuisés à la date de l’ordonnance du  Conseil d’Etat.

En revanche, le quota de pêche destiné au repeuplement (transfert vers des habitats favorables) n’était pas encore atteint à cette date. Prenant en compte à la fois l’urgence liée la conservation de l’anguille européenne, espèce dont la population a diminué de 90 % en 50 ans, et l’impact d’une suspension immédiate sur l’activité des entreprises de pêche, le juge des référés a donc, en avril 2023, qu’il n’y avait pas d’urgence à suspendre les périodes de pêche pour repeuplement avant le 26 mai. En revanche il juge qu’à compter de cette date, l’urgence liée à la conservation de l’espèce l’emportait sur les atteintes éventuelles à l’équilibre des entreprises de pêche. Il suspendait donc, en conséquence, à partir du 26 mai les dispositions qui autorisent la pêche à la civelle dans les UGA concernées.

• Lire les décisions du juge des référés (en référé suspension classique) du CE en date du 7 avril 2023 : n° 472401 et 472213

Puis quelques jours après, venaient les arrêtés suivants

• Arrêté du 7 avril 2023 portant nouvelles dates de pêche de l’anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d’anguille jaune en domaine maritime
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047428652

• Arrêté du 7 avril 2023 portant nouvelles dates de pêche de l’anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d’anguille jaune en domaine maritime en Atlantique
https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000047428665

II. Mais elles perdent le match retour en juillet 2023 dans le cas particulier de la pêche récréative… l’absence de statistiques, en ce domaine, servant l’Etat en défense d’une manière qui interroge

Un grand merci à M. Raphaël Pertuiset qui a attiré mon attention sur cette décision :

CE, ord., 12 juillet 2023, 475177 – Association française d’étude et de protection des poissons

Il s’agissait du match retour. Avec, pour les requérants, moins de succès.

Réagissant aux arrêtés précités du 7 avril 2023, dès le 14 avril 2023, l’Association française d’étude et de protection des poissons demandait donc au ministre de la transition écologique et de la cohésion du territoire d’adopter, en application de l’article R. 436-8 du code de l’environnement, « un arrêté interdisant la pêche récréative de l’anguille d’Europe au stade de l’anguille jaune, dans toutes les eaux douces du territoire métropolitain, et pour une durée de cinq ans ou, à tout le moins, pour une durée de deux ans.»

La demande pouvait sembler prometteuse sur la base de l’ordonnance rendue, quelques jours auparavant, par le Conseil d’Etat.

Les trois premiers moyens n’ont pas vocation à retenir l’attention :

« 10. En premier lieu, l’Association française d’étude et de protection des poissons ne peut utilement invoquer la méconnaissance des dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement relatives à la participation du public à l’encontre du refus de prendre une mesure réglementaire.
« 11. En deuxième lieu, la requérante ne peut utilement se prévaloir à l’encontre du refus contesté de la méconnaissance du règlement (UE) n° 2023/194 du Conseil du 30 janvier 2023 établissant, pour 2023, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union, et établissant, pour 2023 et 2024 de telles possibilités de pêche pour certains stocks de poissons d’eau profonde, qui ne s’applique pas à la pêche en eau douce.
« 12. En troisième lieu, les dispositions de l’articles L. 436-11 du code de l’environnement n’imposent pas que les catégories de pêcheurs auquel il est interdit de pratiquer la pêche de l’anguille soient définies de manière uniforme pour la pêche en eau douce et pour la pêche maritime.»

Plus substantiel était le dernier moyen. Plus surprenant, aussi, est le rejet de celui-ci :

» 13. En quatrième lieu, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires n’a pas contesté ne pas disposer de données postérieures à celles déclarées en 2018 à la Commission européenne sur le nombre de pêcheurs pratiquant la pêche récréative des anguilles en eau douce, ni sur le volume d’anguilles jaunes pêchées, alors évalué à 700 tonnes par an, et ne procéder à aucune estimation de ces données entre les échéances des rapports à la Commission européenne que la France doit présenter en application de l’article 9 du règlement (CE) n° 1100/2007. Il ne résulte pas de l’instruction que l’association requérante aurait demandé aux autorités compétentes de se conformer à leurs obligations sur ce point, ou de lui fournir des informations fiables de l’évolution du volume d’anguilles jaunes pêchés en eau douce par les pêcheurs de loisir. Dans ces conditions, l’absence de suivi de cette pêche, pour regrettable qu’elle soit au regard des exigences résultant des dispositions citées au point 4 des article 9 et 11 de ce règlement, l’ampleur des volumes pêchés selon la dernière estimation disponible, l’absence de limitation des volumes et de la taille des anguilles capturées et les effets sur la santé de leur consommation invoqués par le requérant ne suffisent pas, en l’état de l’instruction, à créer un doute sérieux sur la légalité du refus opposé à la demande d’interdire la pêche récréative en eau douce au regard de l’exigence de gestion équilibrée des ressources piscicoles énoncée par l’article L. 430-1 du code de l’environnement.»

Certes, si l’association n’a pas attaqué une décision consistant à refuser de mettre à jour ses données et de se doter des moyens d’avoir des informations fiables, elle ne peut viace contentieux demander l’annulation  de décisions non prises sur ce point et qu’elle n’a pas suscitée. Donc l’association doit demander au Ministère de se doter de données; puis attaquer un éventuel refus explicite ou implicite. Certes. C’est basique.

Mais comment le Conseil d’Etat a-t-il pu en avril 2023 censurer l’Etat en raison de la diminution des anguilles jaunes en termes de niveau de conservation de l’espèce… et ensuite refuser de le censurer quelques mois après au motif qu’on manque de statistiques sur ce point ? Certes dans un cas nous avons une pêche globale et dans l’autre une pêche de loisirs. Mais tout de même, si la pêche professionnelle doit être interrompue en avril 2023 pour l’anguille jaune (et qu’il en aurait été sans doute de même pour les civelles si celles-ci avaient été encore susceptibles d’être pêchées à cette époque là)… il est étrange que la pêche de loisirs puisse prospérer sans limite bien identifiée et dans le flou statistique le plus complet.

Ajoutons que si c’est à la partie requérante de fournir des preuves de ses allégations en fait, il est usuel que le juge administratif accepte une inversion de la charge de la preuve quand l’administration joue la carte du flou. On connaît le mot fameux de M. M. WALINE « quand l’administration perd ses dossiers, elle perd ses procès »  (note sous CE, 11 mai 1973, Sanglier, RDP, 1973)… et on pourrait ajouter que si elle n’a pas de dossier, c’est encore pire.

Et il « appartient au juge administratif, dans l’exercice de ses pouvoirs généraux de direction de la procédure, d’ordonner toutes les mesures d’instruction qu’il estime nécessaires à la solution du litige [afin] de vérifier les allégations des requérants et d’établir sa conviction » (CE, Sect., 1er octobre 2014, Erden, n° 349560, Rec., p. 288 ; cité au sein de l’article de M. Pascal Caille « L’apport des parties à la qualité de l’instruction » in Civitas Europa 2019/1 (N° 42), pages 49 à 62).

Certes, nous sommes en référé suspension et non au fond. Donc le juge souvent fait l’économie de telles mesures d’instruction. Mais bon comme avocat de personnes publiques en référé, il m’est de multiples fois arrivé que le juge des référés me demande de produire telle ou telle information, à défaut de quoi il allait prendre pour argent comptant les allégations de la partie requérante…

Bref, la pêche récréative à l’anguille se heurte au roc des absences de statistiques. Et, bientôt, sous nos roches, il n’y aura plus d’anguille.

Quelques jours après, était publié au JO le nouvel arrêté de pêche de l’anguille européenne (Anguilla anguilla) au stade d’anguille jaune en domaine maritime en Atlantique (arrêté NOR : PRMM2315101A du 19 juin 2023, publié au JO du 20/7) :

III. Il a donc fallu jouer « la belle » avec de nouveau un échec, en novembre 2023, des associations contre l’Etat.

Le match a ensuite été rejoué, mais pour la pêche professionnelle cette fois. Avec de nouveau un échec des associations. Las comme nous sommes en référés, nous sommes nécessairement perdus en conjectures sur les raisonnements puissants qui n’ont pas manqué de sous-tendre ces rejets, dont le laconisme usuel peut conduire à plusieurs interprétations.

Dans l’affaire n° 489108, était demandée la suspension d’un arrêté ministériel du 24 octobre 2023 définissant la gestion du quota d’anguilles européenne de moins de 12 cm pour la campagne de pêche 2023-2024.

Le Secrétaire d’Etat à la mer pouvait-il sembler réglementer dans un domaine relevant au moins pour partie d’un autre membre du Gouvernement ? Réponse oui car la partie de son arrêté n’était que recognitive d’un autre texte du même jour dudit autre membre du Gouvernement :

Ce qui est souple, mais une souplesse usuelle. Ne dit-on pas, comme nous le rappelle ici Le Robert, « souple comme une anguille » ?

Plus surprenante, mais difficile à appréhender vu le laconisme usuel d’une décision du juge administratif surtout en référé, est l’absence de moyen sérieux sur ces volumes de pêche :

Source :

CE, ord., 13 novembre 2023, Association française d’étude et de protection des poissons, n° 489108

Même chose avec l’autre ordonnance… Le droit européen prévoit par principe (mais non sans quelques marges de manœuvre) une période de deux mois d’interdiction des captures. Le droit français semble outrepasser les marges de manoeuvre du droit européen en prévoyant alors des captures pendant ces deux mois, mais avec un des deux mois à fins de repeuplement (reste l’autre mois… combiné avec les difficultés réelles dudit repeuplement semble-t-il) mais bon tout ceci n’est pas un moyen sérieux sans que le lecteur soit trop mis en mesure de voir pourquoi (le laconisme a ses élégances pour le lecteur, mais surtout ses commodités pour le juge) :

Source :

CE, ord., 13 novembre 2023, Association française d’étude et de protection des poissons, n° 489107

Circulez, y’a rien à voir.
Même que bientôt, y’aura plus du tout d’anguilles à voir. 

Photo de Natalia Gusakova (Unsplash) – Marseille

IV… puis vint un autre échec de ces associations contre l’Etat en février 2024, au fond cette fois, contre un (vieil) arrêté de 2021. Mais cette décision s’avère notable en raison de quelques intéressants apports juridiques (sur la prise en compte — selon les cas — des principes de prévention ou de précaution)

Les décisions précédentes étaient en référé.

Voici maintenant que le Conseil d’Etat vient de rendre une décision au fond, concernant donc la légalité de textes plus anciens, en l’espèce des arrêtés des 20 et 21 octobre 2021. 

Pour les anguilles comme pour les pêcheurs, ce débat n’a donc plus d’utilité immédiate.

En droit, il est en revanche intéressant d’avoir cette nouvelle décision du Conseil d’Etat dont je vous donne le futur résumé des tables qui donc rappelle que le pouvoir réglementaire national dispose bien d’une marge de manoeuvre au regard du droit européen et qui cadre l’usage de ladite marge :

« 1) Il résulte de l’article 2 du règlement (UE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013, des articles 2, 5 et 7 du règlement (CE) n° 1100/2007 du Conseil du 18 septembre 2007 ainsi que des articles R. 436-65-3 du code de l’environnement et R. 922-48 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) qu’il appartient aux ministres compétents, lorsqu’ils usent du pouvoir d’autoriser par dérogation la pêche de l’anguille européenne de moins de 12 centimètres également appelée civelle, de retenir chaque année un quota de captures autorisées qui soit de nature, compte tenu de l’ensemble des mesures concourant à la protection de l’espèce et à la reconstitution de son stock et en mettant en oeuvre le plan de gestion de l’anguille établi par les autorités françaises, à permettre d’atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par-là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche. Il appartient également aux ministres, dans la mise en oeuvre de cette compétence, qui n’implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais suppose l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, de veiller au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l’environnement.
« 2) Requérantes demandant l’annulation pour excès de pouvoir des arrêtés ayant fixé le quota d’anguille européenne de moins de 12 centimètres pouvant être prélevé pour la campagne de pêche 2021-2022. D’une part, si l’anguille européenne est classée comme espèce en danger critique d’extinction, le recrutement au stade de la civelle reste faible mais stable. Par suite et faute d’élément établissant l’impossibilité d’atteindre les objectifs prescrits par les règlements européens des 11 décembre 2013 et 18 septembre 2007, les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que les quotas de captures fixés par les arrêtés attaqués, combinés aux autres mesures de protection mises en oeuvre, assureraient une prévention insuffisante des atteintes à l’environnement, en méconnaissance des exigences résultant de l’article 3 de la Charte de l’environnement. D’autre part, en l’absence d’éléments circonstanciés accréditant l’hypothèse d’un risque autre que celui, identifié et évalué, que la règlementation ici en cause vise à prévenir, les requérantes ne sont pas davantage fondées à soutenir que, pour parer à la réalisation d’un dommage grave et irréversible à l’environnement, les exigences résultant de l’article 5 de la Charte imposeraient l’adoption de mesures supplémentaires.»

Donc en l’espèce, pour les anguilles, le pouvoir réglementaire national doit donc exercer son «  pouvoir d’appréciation » en :

  • visant certes à mettre « en oeuvre le plan de gestion de l’anguille établi par les autorités françaises, à permettre d’atteindre les objectifs que le règlement du 18 septembre 2007 prescrit de respecter à terme et, par là, à respecter les objectifs généraux de la politique commune de la pêche. »
  •  mais aussi en veillant au respect des principes de prévention et de précaution respectivement garantis par les articles 3 et 5 de la Charte de l’environnement….

Et pour ce qui est de ce principe on applique le mode d’emploi donné fin 2023 par le Conseil d’Etat dans un autre domaine (CE, 1er décembre 2023, Association Meuse Nature Environnement et autres, n°s 467331 467370, , à mentionner aux Tables sur d’autres points). Citons un extrait de ladite décision :

«  Il appartient dès lors à l’autorité compétente de l’Etat, saisie d’une demande tendant à ce qu’un projet soit déclaré d’utilité publique, de rechercher s’il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé, qui justifierait, en dépit des incertitudes subsistant quant à sa réalité et à sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution. Si cette condition est remplie, il lui incombe de veiller à ce que des procédures d’évaluation du risque identifié soient mises en œuvre par les autorités publiques ou sous leur contrôle et de vérifier que, eu égard, d’une part, à la plausibilité et à la gravité du risque, d’autre part, à l’intérêt de l’opération, les mesures de précaution dont l’opération est assortie afin d’éviter la réalisation du dommage ne sont ni insuffisantes, ni excessives. Il appartient au juge, saisi de conclusions dirigées contre l’acte déclaratif d’utilité publique et au vu de l’argumentation dont il est saisi, de vérifier que l’application du principe de précaution est justifiée, puis de s’assurer de la réalité des procédures d’évaluation du risque mises en œuvre et de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation dans le choix des mesures de précaution.»

N.B. : rappelons que très schématiquement le principe de précaution s’applique en l’état de connaissances scientifiques fort incertaines (en cas de risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement ou d’atteinte à l’environnement susceptible de nuire de manière grave à la santé), sinon s’applique le principe de prévention. 

Ce qui dans le cas de nos poissons, conduit à l’application, en l’espèce, que voici et qui confirme l’analyse de l’Etat (ce qui bien sûr ne manquera pas de faire débat) :

« 7. Il ressort des pièces du dossier que pour déterminer le quota de captures autorisées pour la campagne de pêche 2021-2022, les ministres ont recueilli l’avis d’un comité scientifique et d’un comité socio-économique, dont la mise en place est prévue dans le plan de gestion de l’anguille établi par les autorités françaises. Le comité scientifique a procédé, conformément à la demande dont il était saisi, à une estimation du niveau de prélèvement de civelles dans le milieu naturel permettant de respecter l’objectif  » de gestion « , mentionné plus haut, pour les années 2015 et suivantes, de réduire de 60 % la mortalité par pêche des civelles par rapport à la moyenne des années 2003 à 2008, en se fondant pour cela sur l’hypothèse que le niveau de capture est égal au niveau de mortalité, donc sans tenir compte de la contribution à la reconstitution du stock des captures destinées au repeuplement, dont il estimait la quantification incertaine. Le comité est ainsi parvenu à plusieurs estimations de plafonds totaux de captures, chacune associée à une plus ou moins grande probabilité de respecter l’objectif, qui diffèrent selon le modèle utilisé pour prévoir le niveau de recrutement de civelles, c’est-à-dire la quantité de civelles arrivant chaque année sur les côtes pour migrer vers les eaux douces, ainsi que selon l’incidence retenue, sur le niveau effectif des captures, de la diminution du nombre de pêcheurs.
« 
8. L’administration fait valoir que, pour tenir compte à la fois de l’existence d’une contribution des actions de repeuplement à la survie de l’espèce et de l’incertitude sur l’ampleur de cette contribution, les ministres ont retenu un quota total de captures autorisées (65 tonnes) tel que sa part affectée à la consommation, égale à 40 % de ce total, corresponde au plus exigeant des plafonds proposés par le comité scientifique avec l’hypothèse d’une incidence de la baisse du nombre de pêcheurs (soit 26 tonnes).»

Source :

Conseil d’État, 26 février 2024, n° 458219, aux tables du recueil Lebon

Voir aussi dans le même sens à quelques détails près s’agissant des arrêtés des 16 et 22 octobre 2020 :

Conseil d’Etat, 26 février 2024, n° 451798