Comment, désormais, le juge apprécie-t-il les « inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l’effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien » ?

Pour l’implantation d’un parc éolien, il est clair que le phénomène de saturation visuelle qu’est susceptible de générer un projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement.

Dans ce cadre, les juges du fond apprécient souverainement, sous réserve de dénaturation, l’existence d’un phénomène de saturation visuelle d’un projet, susceptible d’emporter des inconvénients pour la commodité du voisinage. Le contrôle du juge de cassation reste donc assez limité.

Source principale : CE, 1er mars 2023, n° 459716, aux tables.

L’encerclement d’un bourg par des éoliennes a, ainsi, été censuré par la CAA de Bordeaux, au terme d’un arrêt intéressant (31 mai 2023, n°20BX02053). Entre autres paramètres à prendre en compte (y compris littéraires si ceux-ci entrent dans le paysage : voir Conseil d’État, 4 octobre 2023, société Combray Energie, n° 464855, aux tables du recueil Lebon

Et en ce domaine, la loi ENR a un peu changé la donne. Voir :

Ce mode d’emploi en termes de saturation visuelle vient d’être précisé par le Conseil d’Etat. 

L’arrêt précité du 1er mars 2023 donnait lieu à un résumé, aux tables, ainsi rédigé :

« Le phénomène de saturation visuelle qu’est susceptible de générer un projet peut être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de l’article L. 511-1 du code de l’environnement. 
« Pour l’application de l’article L. 511-1 du code de l’environnement, les juges du fond apprécient souverainement, sous réserve de dénaturation, l’existence d’un phénomène de saturation visuelle d’un projet, susceptible d’emporter des inconvénients pour la commodité du voisinage.»

La formulation du Conseil d’Etat, sur ce point, évolue avec une nouvelle décision en date du 10 novembre 2023. Le résumé des futures tables devient :

« Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l’effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu’une telle argumentation est soulevée devant lui, de l’effet d’encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l’ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d’écrans visuels, l’incidence du projet sur les angles d’occupation et de respiration, ce dernier s’entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents. »

C’est donc à cette aune là que l’effet de saturation d’éoliennes sera apprécié par le juge. Avec une appréciation au cas par cas des angles de vue, des besoins de respiration… D’où une censure, en l’espèce, du raisonnement conduit par la CAA de Douai :

« 4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour écarter l’existence d’un effet de saturation visuelle susceptible de faire regarder le projet litigieux comme présentant des inconvénients excessifs pour la commodité du voisinage, la cour administrative d’appel, après avoir relevé que soixante-douze éoliennes avaient déjà été construites ou autorisées dans un rayon de dix kilomètres autour du village du Plessier-Rozainvilliers et seize dans un rayon de trois kilomètres, s’est fondée sur ce que si le projet avait pour effet de porter le cumul des angles occupés par des machines à un total de 167,5 degrés, il ne résultait pas de l’instruction que les éoliennes seraient toutes simultanément visibles depuis un même point. En statuant ainsi, alors, d’une part, que la circonstance que les éoliennes ne seraient pas toutes simultanément visibles depuis un même point n’était pas, par elle-même, de nature à permettre d’écarter l’existence d’un effet de saturation et sans tenir compte, d’autre part, de l’effet d’encerclement lié à la réduction de l’angle de respiration qu’invoquaient les parties, la cour a entaché son arrêt d’erreur de droit. »

… A charge pour la CAA de Douai de rejuger de cette affaire pour l’apprécier en fonction de ce nouveau mode d’emploi. 

Source : 

Conseil d’État, 10 novembre 2023, n° 459079, aux tables du recueil Lebon