Pas d’eau, pas de permis ? [VIDEO et article]

Nouvelle diffusion 

Diverses communes refusent des permis de construire, faute d’eau potable en volume suffisant. Comment, en droit, fonder de tels refus ? Aucune réponse vraiment sécurisée ne peut être apportée à cette question qui soit applicable à tous les cas. 

Voyons ceci au fil d’une vidéo et d’un bref article. 

I. VIDEO 

Voici tout d’abord ce sujet traité en 5 mn 25 par votre serviteur (Eric Landot) et mon associé Nicolas Polubocsko :

Il s’agit d’un extrait de notre chronique vidéo hebdomadaire, « les 10′ juridiques », réalisation faite en partenariat entre Weka et le cabinet Landot & associés : http://www.weka.fr

II. ARTICLE 

Avant, on décortiquait selon que l’on avait une extension de réseau ou un raccordement, qu’il y avait ou non auto-alimentation (voir ci-après 2/)…

Voir par exemple : CE, 30 octobre 1996, n° 126150 ; CE, 30 mai 1962, Parmentier, rec. T. p. 912 ; CE 4 mars 2009, Mme Matari, n° 303867, rec. T 989 ; CE, 11 juin 2014, n° 361074 ; CE, 24 mai 1991, n° 89675 et 89676 ; CAA Toulouse, 21 février 2023, n°20TL03185 ; CE, 30 mars 2011, n°324552 ; CAA Lyon, 10 mars 2020, n°18LY04704 ; CAA Lyon, 16 juin 2020, n°18LY04662.

Attention : Le refus de raccorder une construction irrégulière aux réseaux n’est possible que si une décision a été clairement prise en ce sens (Cass., 3ème, 15 juin 2017, Société Panaco, Pourvoi n° 16-16838).

Ces solutions demeurent légales. On peut refuser un PC si cela entraîne une extension du réseau public sauf auto-alimentation, pour schématiser à outrance un droit un peu plus subtil que cela.

Mais quid si ce n’est pas le cas ? S’il s’agit de refuser tout nouveau PC même dans les zones où cela entraîne, certes de nouveaux branchements, mais pas d’extension de réseau ?

Les communes se fondent alors sur 3 bases juridiques.

1/

La première est celle de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

Faute d’eau, il y a un risque de salubrité et de sécurité publiques au sens de cet article. 

Le juge a pu dans le passé valider des refus de permis faute d’eau potable. Voir par exemple : Cour administrative d’appel de Marseille, 20 juin 2019, n° 18MA03745. C’était en vertu de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme précité, mais aussi sur le fondement de l’article L. 111-4 de ce même code qui le permettaient nettement.

Mais une jurisprudence du Conseil d’Etat conduit à une grande prudence.

« En vertu de ces dispositions, lorsqu’un projet de construction est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique, le permis de construire ne peut être refusé que si l’autorité compétente estime, sous le contrôle du juge, qu’il n’est pas légalement possible, au vu du dossier et de l’instruction de la demande de permis, d’accorder le permis en l’assortissant de prescriptions spéciales qui, sans apporter au projet de modification substantielle nécessitant la présentation d’une nouvelle demande, permettraient d’assurer la conformité de la construction aux dispositions législatives et réglementaires dont l’administration est chargée d’assurer le respect. »
CE, 26 juin 2019, n° 412429.

Dans ce cadre :

  • on peut délivrer le permis avec quelques « prescriptions spéciales »
  • et ce n’est qu’à défaut que le permis de construire peut alors être refusé.

Autant dire que le refus de PC doit d’abord être fondé par l’impossibilité de le délivrer avec prescriptions.

Source : CE, 26 juin 2019, n° 412429. Voir aussi CE, 22 juillet 2020, Société Altarea Cogedim IDF, req., n° 426139 ; CE, 1er mars 2023, Société Energie Ménétréols, req., n°455629 ; CAA Paris 6 octobre 2022 SCCV Mille Arbres, req. n° 21PA04912 ; CAA Paris 6 octobre 2022 SNC Paris Ternes Villiers, req. n° 21PA04905 ; etc.

2/

Deuxième base juridique : l’article L. 111-11 du Code de l’urbanisme :

« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés.
« Lorsqu’un projet fait l’objet d’une déclaration préalable, l’autorité compétente doit s’opposer à sa réalisation lorsque les conditions mentionnées au premier alinéa ne sont pas réunies.
« 
Les deux premiers alinéas s’appliquent aux demandes d’autorisation concernant les terrains aménagés pour permettre l’installation de résidences démontables constituant l’habitat permanent de leurs utilisateurs.
« 
Un décret en Conseil d’Etat définit pour ces projets les conditions dans lesquelles le demandeur s’engage, dans le dossier de demande d’autorisation, sur le respect des conditions d’hygiène et de sécurité ainsi que les conditions de satisfaction des besoins en eau, assainissement et électricité des habitants, le cas échéant, fixées par le plan local d’urbanisme.
« Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l’aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d’eau, d’assainissement ou de distribution d’électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d’aménager ne peut être accordé si l’autorité compétente n’est pas en mesure d’indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés.

Là encore, la jurisprudence incite à la prudence, aux études au cas par cas, à l’absence de décision radicale et définitive…

3/

Une troisième base juridique, fragile, consiste à s’appuyer aussi sur les compétences communales au titre du service public de défense extérieure contre l’incendie (DECI) au titre de l’article L. 2225-2 du CGCT… non sans fragilités. 


Au total, des solutions au cas par cas s’imposent. Avec des suspensions provisoires par période, annoncées le temps de trouver des solutions opérationnelles… avec des différences selon que le projet est, ou n’est pas, consommateur d’eau, et de nombreux autres moyens de sécuriser juridiquement ces questions au cas par cas. 


Les services de l’Etat ont pu aider les communes à fonder des refus.

En Ardèche, pour la région de Vallon Pont d’Arc en zone RNU, en mars 2023, c’est carrément le Préfet qui suspend son accord des permis de construire dans 22 communes.

Dans le Var, les services de l’Etat ont ainsi, aussi, bâti un argumentaire juridique en ce sens. 

Une proposition de loi (du député Christophe NAEGELEN) vise aussi à permettre de tels refus (mais pour les communes au RNU).

Mais en attendant de tels refus devront reposer sur une appréciation au cas par cas, avec beaucoup de prudence. En distinguant selon les projets, en limitant dans le temps les refus…

Et en pensant à un éventuel volet indemnitaire en aval de refus, même légaux.