Le Havre : la paix et la guerre en contentieux administratif

Le droit du gaz sent décidément la poudre en ces temps explosifs, et en contentieux administratif, il n’est pas certain que le Havre soit toujours synonyme de paix.

L’étincelle est partie d’un texte anodin paru vendredi dernier. Et depuis, j’ai été sollicité un assez grand nombre de fois sur le point de savoir si réellement un tel texte pouvait s’ancrer ainsi au JO.

Ce texte, c’est le décret n° 2022-1275 du 29 septembre 2022 relatif au régime juridique applicable au contentieux des décisions afférentes au projet de terminal méthanier flottant dans la circonscription du grand port fluvio-maritime de l’axe Seine (site du Havre ; NOR : ENEK2223967D) :

Ce texte est annoncé par la notice officielle que voici :

« Notice : le décret crée un régime contentieux spécifique applicable aux décisions relatives à l’installation, la mise en service et l’exploitation du projet de terminal méthanier flottant au Havre, mentionné à l’article 30 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d’urgence pour la protection du pouvoir d’achat. Il donne compétence, à partir du 1er octobre 2022, au tribunal administratif de Rouen pour statuer en premier et dernier ressort sur l’ensemble de ces décisions, à l’exception de celles relevant du Conseil d’Etat. Le tribunal doit statuer dans un délai de dix mois. Le décret prévoit également que le délai de recours contentieux contre les décisions prises à compter du 1er octobre 2022 est d’un mois et n’est pas prorogé par l’exercice d’un recours administratif. Il prévoit enfin que les tribunaux administratifs qui auraient été précédemment saisis, avant le 1er octobre 2022, de recours contre de telles décisions, y statuent en premier et dernier ressort. »

Qu’une compétence territoriale soit fixée par un texte législatif ou réglementaire, soit : nous l’avons connu en d’autres temps et cela a toujours été validé. Citons :

Le décret pose que le tribunal doit statuer dans un délai de dix mois : là encore, je ne doute pas que cela sera contesté en opportunité, vu la complexité des débats technico-juridiques en ces domaines. Mais des délais spécifiques propres à telle ou telle matière ne sont pas rares (en électoral par exemple… voir ici et ). Idem pour le fait que le juge statue en premier et dernier ressort en ce domaine (avec recours en cassation).

Mais ce texte d’application immédiate avec des délais courts est-il conforme au principe de sécurité juridique ?

Sources : Conseil d’État, 4 février 2022, n° 457051 457052, à mentionner aux tables du recueil Lebon. Et voir aussi l’arrêt du Conseil rendu le même jour; n° 448017, également aux tables) ; Conseil d’État, 22 septembre 2022, n° 436939, à mentionner aux tables du recueil Lebon ; Conseil d’État, 18 juin 2018, 411583, à publier aux tables du rec. CE, 30 décembre 2021, n°434004 et autres, à mentionner aux tables du recueil Lebon… Pour les principes, voir CE, Assemblée, 24 mars 2006, Société KPMG et autres, n° 288460, rec. p. 154 et CE, Section, 13 décembre 2006, Mme , n° 287845, rec. p. 540.

Surtout, l’absence de recours administratif peut-il être validé alors que les informations concrètes sont parfois acquises à ce stade par les auteurs des recours ?

Tout ceci est-il conforme aux articles 6, §1, et 13 de la CEDH (sur des délais de procédure administrative pré-contentieuse trop brefs à l’aune des exigences de l’article 13 CEDH, et donc par analogie, voir CEDH, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n°30696/09) ? Voire tout simplement au regard du droit à un recours effectif au sens de l’article 16 de la Constitution (C. Const., 96-373 DC, 9 avril 1996, cons. 83 ; décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020) ? 

Ceci dit n’exagérons pas les exigences des juridictions en ce domaine (voir par exemple C. const. 2011-129 QPC, 13 mai 2011, cons. 4 , 2011-138 QPC, 17 juin 2011, cons. 4 ; 2014-455 QPC, 6 mars 2015).

Sur tous ces points, bien des choses pourraient être dites. Mais nous avons diverses raisons professionnelles de cesser d’épuiser ainsi la patience du lecteur… Bientôt, sans doute, dans les prétoires, ce débat aura-t-il à se poursuivre…