La France devra mettre ses SDAGE à la page

SDAGE : la CJUE censure l’interprétation française (celle du décret 2018-847 du 4 octobre 2018). 

Le décret de 2018 SDAGE / SAGE devra donc être mis à la page (sauf non application du droit européen, puisque celle-ci est évoquée de part et d’autre ouvertement désormais), sur son volet « prévention de la détérioration de la qualité des eaux ».

Est en effet censuré le dernier alinéa de l’article R. 212-13 du code de l’environnement, introduit par ce décret de 2018. Les impacts temporaires « de courte durée et sans conséquences de long terme » sur la qualité des eaux de surface doivent être pris en compte, lors de l’autorisation d’un projet ou d’un programme, dès lors que celui-ci est de nature à entraîner une détérioration de l’état de la masse d’eau concernée. Il s’agit donc moins d’un problème sur les SDAGE que sur certaines autorisations en aval. 

Sur tout ceci nous avons voulu vous donner accès à cet arrêt avec un bref commentaire (I) mais surtout interviewer M. Benjamin HOGOMMAT
Chargé de mission juridique de FNE Pays de la Loire (II).

I. Arrêt et bref commentaire 

Les SDAGE (schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux) de l’article L. 212-1 du code de l’environnement sont des documents importants, désormais dotés de vrais effets juridiques, voir :

La plupart des nouvelles générations de SDAGE ont été approuvés très récemment :

Et ce au terme d’une procédure qui a connu quelques mues significatives au fil du temps :

Une étape importante pour ces procédures avait été la promulgation du décret 2018-847 du 4 octobre 2018 relatif aux schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux et schémas d’aménagement et de gestion des eaux (NOR : TREL1700192D). 

Ceci dit, les textes n’ont pas été figés alors (voir notamment l’arrêté du 2 avril 2020 modifiant l’arrêté du 17 mars 2006 relatif au contenu des schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux (NOR: TREL1934662A).

Ce décret du 4 octobre 2018, France Nature Environnement (FNE) l’avait attaqué devant le Conseil d’Etat, lequel avait posé une question préjudicielle à ce sujet à la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).

L’article L. 212-1, IV, du Code de l’environnement (modifié depuis) prévoit que les objectifs de qualité et de quantité des eaux que fixent les SDAGE correspondent :

  • 1° Pour les eaux de surface, à l’exception des masses d’eau artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon état écologique et chimique ;
  • 2° Pour les masses d’eau de surface artificielles ou fortement modifiées par les activités humaines, à un bon potentiel écologique et à un bon état chimique ;
  • 3° Pour les masses d’eau souterraines, à un bon état chimique et à un équilibre entre les prélèvements et la capacité de renouvellement de chacune d’entre elles ;
  • 4° A la prévention de la détérioration de la qualité des eaux ;

Ce dernier point est évidemment essentiel et sur ce point l’article R. 212-13 du code de l’environnement, tel que modifié par ce décret 2018-847, dispose que :

« Pour apprécier la compatibilité des programmes et décisions administratives mentionnées au XI de l’article L. 212-1 avec l’objectif de prévention de la détérioration de la qualité des eaux mentionné au 4° du IV du même article, il est tenu compte des mesures d’évitement et de réduction et il n’est pas tenu compte des impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme. »

Cet dernier alinéa était visé par l’association FNE, requérante, car cette non pris en compte des « impacts temporaires de courte durée et sans conséquences de long terme » n’était pas, selon elle, conforme à la directive 2000/60, notamment à son article 4, paragraphe 1.

Or, voici que la CJUE a donné raison à FNE, l’association requérante. 

La juridiction européenne confirme que les impacts temporaires « de courte durée et sans conséquences de long terme » sur la qualité des eaux de surface doivent être pris en compte, lors de l’autorisation d’un projet ou d’un programme, dès lors que celui-ci est de nature à entraîner une détérioration de l’état de la masse d’eau concernée

Voici cette décision avec l’aimable transmission faite par les soins de FNE que je remercie :

CJUE, 5 mai 2022, FNE Détérioration masse d’eau impacts temporaires, C-525:20

II. Interview de M. Benjamin HOGOMMAT (BH)
Chargé de mission juridique de FNE Pays de la Loire 

Eric Landot (EL) : Quelles leçons le Conseil d’Etat devra-t-il en tirer ?

M. Benjamin HOGOMMAT (BH) : Cette interprétation de la directive-cadre sur l’eau devrait logiquement conduire à la censure par le Conseil d’Etat du décret du 4 octobre 2018 qui introduisait cette dérogation à l’obligation de tenir compte de l’ensemble des impacts d’un projet ou programme pour apprécier la détérioration de l’état d’une masse d’eau.

EL: Va-t-on vers des effets très nets au quotidien en matière d’autorisations en matière d’eaux ?

BH : En pratique, cet arrêt ne devrait pas avoir énormément d’effets visibles, du moins dans l’immédiat. En effet, les autorités administratives françaises n’ont que très rarement recours à la procédure d’autorisation prévue par la directive-cadre sur l’eau pour autoriser certains projets ou programmes qui détériorent une masse d’eau, pour la simple et bonne raison que les procédures d’autorisation n’obligent pas les maîtres d’ouvrage à se poser la question d’une telle détérioration selon les critères de la directive. Cette carence est généralisée et concerne notamment les projets et programmes envisagés au sein des – nombreuses – masses d’eau en mauvais état, pour lesquelles toute pression significative supplémentaire sur les milieux aquatiques constitue une détérioration interdite par la directive.

EL: Pourtant vous vous réjouissez de cette victoire. Pourquoi ?

BH : Surtout, l’arrêt de la CJUE permet de braquer les projecteurs sur la disposition de la DCE qui interdit la détérioration de l’état des masses d’eau, disposition souvent moins bien connue que celle – complémentaire – visant à l’amélioration de l’état des masses d’eau (selon un échéancier bientôt entièrement dépassé).
Cet arrêt rappelle en particulier la force de cette interdiction qui s’impose y compris aux projets et programmes qui ne génèrent que des « impacts temporaires et sans conséquences de long terme ». Le gouvernement français pensait via ce décret pouvoir officialiser pour ce type de projets et programmes sa pratique généralisée d’absence de recours à la procédure d’autorisation spéciale de la directive-cadre sur l’eau, la justice européenne vient le rappeler à ses obligations.