On peut saucissonner bien des choses. Mais pas l’eau (ni ses procédures IOTA)

Effacer un plan d’eau ne peut donner lieu à une série de mini procédures (absence de déclaration ou simple déclaration selon les étapes, en l’espèce) juste pour contourner les contraintes des procédures « loi sur l’eau » (IOTA). 

D’où un nouvel axiome juridique : qui, l’eau, découpe en tranche, finira éclaboussé et passera pour une tanche.


Une fédération de pêche propriétaire d’un étang avait prévu une vidange de ce plan d’eau, afin ensuite d’effacer celui-ci.

L’Etat a estimé que la vidange n’était pas soumise, en l’état du droit alors, à une procédure administrative de déclaration ou d’autorisation au titre de la législation sur l’eau (IOTA ; art. L. 431-7 du code de l’environnement).

Puis des travaux urgents ont été à accomplir, qui normalement eussent du donner lieu à déclaration, mais pas en l’espèce au nom de l’urgence (art. R. 214-44 du code de l’environnement).

Puis vint la fin de l’étang et la destruction de sa digue, avec une non opposition à déclaration de la part de l’Etat.

L’association Hydrauxois, qui défend les moulins et la micro-hydroélectricité, et qui y voyait la possibilité que se donnait l’Etat de saucissonner les étapes de l’effacement d’étangs et de retenues d’eau pour éviter les rigueurs des procédures IOTA, a attaqué.

Après des échecs en 1e instance et à hauteur d’appel, cette association a gagné son recours devant le Conseil d’Etat.

La Cour d’appel avait rejeté ce recours en posant :

  • d’une part, que « les dispositions invoquées n’étaient pas applicables à l’étang de Bussières qui avait été qualifié à bon droit par le préfet de pisciculture et dont la vidange n’était dès lors soumise ni à déclaration, ni à autorisation»
    (article L. 431-7 du code de l’environnement à l’époque, et rubrique 3.2.4.0 de la nomenclature figurant au tableau annexé à l’article R. 214-1 de ce même code)
    NB sur le fait que le droit a changé depuis sur ce point, voir Plein de droit pour les plans d’eau 
  • d’autre part, que « la fédération propriétaire de l’étang n’avait pas eu la volonté de procéder à un découpage visant à soustraire le projet aux exigences inhérentes à la police de l’eau, et que les dispositions de l’article R. 214-42 du code de l’environnement ne lui étaient pas applicables

Ce raisonnement de la CAA, qui déplaisait tant à l’association requérante, a été censuré par le Conseil d’Etat pour mauvaise qualification des faits de l’espèce :

« En statuant ainsi, alors qu’il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis, et notamment de la demande adressée le 5 octobre 2017 par la fédération départementale de pêche au directeur départemental des territoires, que la vidange de l’étang était d’emblée envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière La Romanée de s’écouler sans retenue, la cour administrative d’appel a inexactement qualifié les faits de l’espèce.»

Oui mais cela répond au second point de la CAA (qui refusait d’y voir un horrible saucissonne) mais pas au premier point (régime particulier des étangs piscicoles) me direz-vous ? Et bien non: cela répond aux deux. Car le régime propre à la rubrique 3.2.4.0 relative aux vidanges de plans d’eau, qui dispensait de toute formalité les vidanges des piscicultures mentionnées à l’article L. 431-6 du code l’environnement… ne portait justement que sur les vidanges (et rapellons que cette dérogation a été supprimée ; par un décret du 30 juin 2020).

D’où le résumé aux futures tables que voici :

« L’article R. 214-42 du code de l’environnement implique que le pétitionnaire saisisse l’administration d’une demande unique pour les projets qui forment ensemble une même opération lorsque cette dernière, prise dans son ensemble, dépasse le seuil fixé par la nomenclature des opérations ou activités soumises à autorisation ou à déclaration et dès lors que ces projets dépendent de la même personne, exploitation ou établissement et concernent le même milieu aquatique, y compris lorsqu’il est prévu de les réaliser successivement. 1) Pour apprécier si des projets successifs doivent faire l’objet d’une demande unique, puis déterminer, en fonction des seuils applicables à ces opérations ou activités, s’ils doivent être soumis à déclaration ou autorisation au regard de la nomenclature définie à l’article R. 214-1 du même code, l’administration doit se fonder sur l’ensemble des caractéristiques des projets, en particulier la finalité des opérations envisagées et le calendrier prévu pour leur réalisation. 2) Demandeur ayant d’abord informé les services de l’Etat de son intention de réaliser la vidange complète d’un étang situé sur le passage d’une rivière. Demandeur ayant ensuite formulé une demande en vue de réaliser des travaux urgents sur la rivière. Demandeur ayant enfin déposé une déclaration aux fins de détruire la digue de l’étang. Demandeur ayant indiqué, dès sa première demande, que la vidange de l’étang était envisagée en vue de l’effacement du plan d’eau et que les travaux de vidange et de curage des sédiments et la destruction de la digue avaient pour finalité la suppression définitive de cet étang, afin de permettre à la rivière de s’écouler sans retenue. Ces différents travaux et interventions constituent une seule et même opération dépendant d’une seule personne et concernant le même milieu aquatique dont l’instruction aurait dû être réalisée sous la forme d’une procédure unique conformément à l’article R. 214-42 du code de l’environnement.»

Bref, saucissonnez avec les liquides que vous voulez. Mais pas avec l’eau. Ce qui me semble en effet de bon goût.

Fin de ma séquence rire et chansons.

Source :

Conseil d’État, 8 mars 2024, association hydrauxois, n° 460964, aux tables du recueil Lebon