Un déchet reste un déchet… même s’il peut être vendu, économiquement réutilisé, et même s’il a été conçu comme pouvant l’être dès sa production

Par une décision rendue hier, le Conseil d’Etat pose qu’un déchet reste un déchet : 1/ nonobstant sa possible réutilisation économique ; 2/ que ce bien ait, ou non, été recherché comme tel au stade de sa production. 

En 2001, il était très légitime d’écrire que « la qualification de déchet rest[ait] l’un des points les plus controversés du droit de l’environnement » (P. Steichen, Être ou ne pas être un déchet… : Dr. envir. 2001, n° 91, p. 213).

Vingt ans après, il n’est pas certain que le droit soit infiniment plus clair, mais un arrêt du Conseil d’Etat vient, en droit interne, de nous faire franchir un pas vers la clarté.

I. Rappels très sommaires sur la notion de déchet

Qu’est-ce qu’un déchet ? Au sens de l’article L. 541-1-1 du Code de l’environnement, c’est « toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire ». 

Et l’article suivant de ce même code précise, entre autres obligations, que le « producteur ou détenteur de déchets est responsable de la gestion de ces déchets jusqu’à leur élimination ou valorisation finale, même lorsque le déchet est transféré à des fins de traitement à un tiers. »

Avec quelques conséquences et modalités renouvelées de sortie de ce statut de déchet  (par transposition de la directive 2018/851 et en application de l’article 115 de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 (loi AGEC) relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire) :

 Il n’y a plus de débat sur le fait que ne relèvent pas de cette catégorie : les sols non excavés ; les sédiments déplacés au sein des eaux de surface ; les effluents gazeux émis dans l’atmosphère ; le dioxyde de carbone capté et transporté en vue de son stockage géologique et effectivement stocké dans une formation géologique ; la paille et les autres matières naturelles non dangereuses issues de l’agriculture ou de la sylviculture et qui sont utilisées dans le cadre de l’exploitation agricole ou sylvicole ; les matières radioactives ; les sous-produits animaux ou les produit dérivés ; et quelques autres produits. En effet, l’article L. 541-4-1 du code de l’environnement exclut désormais de manière très claire ces produits ou matériaux (qui ont leurs propres régimes juridiques) de la liste des déchets (avec cependant de petits débats entre droit européen et français, notamment sur la notion de déchet radioactif).  Reste que les notions de déchet, par opposition aux notions de produit et de sous-produits, continuent de donner lieu à moult débats. Une substance produite pour être réutilisée ensuite est-elle un produit, ou un déchet au moins dans certains cas ? Sur ces points, nous avions déjà évidemment quelques réponses jurisprudentielles européennes (CJCE, n° C-457/02, Conclusions de l’avocat général de la Cour, Procédure pénale contre Antonio Niselli, 10 juin 2004 ; CJCE, n° C-457/02, Arrêt de la Cour, Procédure pénale contre Antonio Niselli, 11 novembre 2004 ; CJCE, n° C-188/07, Arrêt de la Cour, Commune de Mesquer contre Total France SA et Total International Ltd, 24 juin 2008 ; CJCE, n° C-283/07, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République italienne, 22 décembre 2008 ; CJCE, n° C-195/05, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République italienne, 18 décembre 2007…). Le Conseil d’Etat lui aussi avait donné ses modes d’emploi (CE, 26 juillet 2011, Société Lanvin S.A., n° 324728, rec. T. p. 1034), et dont voici le résumé aux tables du rec., à l’époque :« Pour l’application de la législation relative aux installations classées, doit être regardée comme déchet toute substance qui n’a pas été recherchée comme telle dans le processus de production dont elle est issue, à moins que son utilisation ultérieure, sans transformation préalable, soit certaine.»  Notamment, n’est pas un déchet (car n’est pas un résidu de production) un produit dont la production est un choix technique en soi (pour le coke de pétrole produit afin d’être utilisé comme combustible de cogénération : CJCE, n° C-235/02, Ordonnance de la Cour, Procédure pénale contre Marco Antonio Saetti et Andrea Frediani, 15 janvier 2004). Mais tout ceci était avant l’évolution du droit européen (notamment la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008) et du droit français (ordonnance n° 2010-1579 du 17 décembre 2010)…  

II. Apport de l’arrêt lu hier : un déchet reste un déchet : 1/ nonobstant sa possible réutilisation économique ; 2/ que ce bien ait, ou non, été recherché comme tel au stade de sa production.

 Or, par un arrêt rendu hier, et voué à être valorisé aux tables du rec., le Conseil d’Etat  vient de poser :

  • qu’un déchet au sens de l’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de la directive n° 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008, est un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire (reprise du texte de la loi issu du droit européen, donc)
  • et ce (là commencent les nouveautés — toutes relative d’ailleurs — issues de cette décision ) :
    • sans qu’il soit besoin de déterminer si ce bien a été recherché comme tel dans le processus de production dont il est issu. 
    • et ce sans qu’il faille tenir compte du point de savoir si, oui ou non, les biens en cause auraient une valeur commerciale et soient susceptibles de donner lieu à une réutilisation économique (ce qui évite les argumentaires visant à faire sortir de la notion de déchet un produit juste au motif qu’il pourrait être revendu. Mais en l’espèce ce n’était pas le point à trancher dans le litige en question).

Cet arrêt est donc un coup d’arrêt aux espoirs de nombreux acteurs de voir leurs sous produits ou produits sortir de la notion de déchet juste au motif qu’ils peuvent être recyclés ou tout simplement vendus. 

Il est aussi en nette évolution quant à la notion de déchet par rapport, entre autres, à l’arrêt C-235/02 de la CJCE précité, ou par rapport à l’arrêt n° 324728, du CE, également mentionné ci-avant… 

III. Intéressante application en l’espèce en matière de pneumatiques

En l’espèce, les services de l’inspection des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) avaient trouvé un stock en gros de pneus neufs et d’occasion (avec une activité de revente et d’export) sans qu’ait été déclarée cette installation.

L’Etat a donc demandé à l’exploitant de cette ICPE de procéder à sa déclaration avec interdiction, à titre transitoire, de réceptionner et d’exporter des déchets de pneumatiques. Logique.

Le TA a donné raison à l’Etat mais pas la CAA de Lyon, qui n’y a pas vu des déchets. Cour administrative d’appel dont le raisonnement est sérieusement tâclé par la Haute Assemblée  :

« 2. Aux termes de l’article 3 de la directive n° 2008/98/CE du 19 novembre 2008 relative aux déchets,  » on entend par : 1)  » déchets  » : toute substance ou tout objet dont le détenteur se défait ou a l’intention ou l’obligation de se défaire « . L’article L. 541-1-1 du code de l’environnement, pris pour la transposition de cette directive, prévoit que constitue un déchet  » toute substance ou tout objet, ou plus généralement tout bien meuble, dont le détenteur se défait ou dont il a l’intention ou l’obligation de se défaire « .

« 3. En estimant, pour annuler l’arrêté litigieux, que des pneumatiques ne pouvaient pas être regardés comme des déchets s’ils n’avaient pas été recherchés comme tels dans le processus de production dont ils sont issus, alors que l’article L.541-1-1 précité du code de l’environnement se borne à définir le déchet comme un bien dont son détenteur se défait ou dont il a l’intention de se défaire, la cour a entaché sa décision d’une erreur de droit. »

Et l’affaire est ensuite réglée au fond, confirmant que :

« 7. En premier lieu, il résulte de l’instruction que la société Ahouandjinou acquiert les pneus usagés qu’elle revend auprès de centres de véhicules usagés et de garages, qui s’en défont auprès d’elle. Ces pneus acquièrent ainsi, en application des dispositions de l’article L 541-1-1 du code de l’environnement citées au point 2, la qualité de déchets, la circonstance qu’ils aient une valeur commerciale et soient susceptibles de donner lieu à une réutilisation économique étant à cet égard inopérante. »

Et qu’en sus les pneus doivent donner lieu à toute une série de règles, dont une certification prévue à l’article R. 543-164 du code de l’environnement, d’une procédure d’agrément… Dès lors, la société requérante n’était pas fondée à soutenir que les pneus usagés qu’elle stocke seraient dans un état assurant de façon certaine leur réutilisation dans l’usage initial, sans transformation ou réhabilitation préalable, et qu’ils auraient ainsi perdu la qualité de déchets.

NB : si les pneus ainsi stockés avaient tous été soit neufs, soit déjà rechappés, il est possible qu’une solution différente eût été trouvée en droit au moins pour l’insertion de ces produits en tant que déchets.

Vu les volumes (excédant le seuil de 100 m3 fixé par la rubrique n° 2714 de la nomenclature ICPE, les demandes de l’Etat étaient donc légales.

Voici cet arrêt :

Source : CE, 24 novembre 2021, n° 437105, à mentionner aux tables du recueil Lebon