Hostiles à un parc éolien en mer, des pêcheurs peuvent-ils jeter leurs filets contentieux jusqu’aux juridictions européennes ?

Un parc éolien dans l’espace maritime français se trouve co-financé par l’obligation d’achat d’électricité, ce que le droit européen assimile à une aide d’Etat… elle-même relevant donc du droit européen.
Des pêcheurs, hostile à ce projet, peuvent-ils jeter leurs filets contentieux jusqu’aux rives qui bordent, au Luxembourg, la Cour de justice de l’UE (CJUE) et le Tribunal de l’UE (TUE) ?

NON répond, ce jour, ledit TUE, dont voici le communiqué détaillé puis la décision. Le Tribunal précise à cette occasion l’étendue de la notion de « partie intéressée » et considère que les requérants n’ont pas démontré le risque d’une incidence concrète des aides litigieuses sur leur situation

En 2011 et en 2013, la France a lancé des appels d’offres pour la réalisation des premiers parcs éoliens en mer exploités en France. L’emprise de ces six projets, dont la durée d’exploitation prévisionnelle est de 25 ans, se situe à l’intérieur de zones maritimes exploitées pour la pêche.

Les projets de construction et d’exploitation des parcs éoliens sont subventionnés sous la forme d’une obligation d’achat d’électricité à un tarif supérieur au prix du marché, le surcoût étant intégralement compensé par l’État.

Par une décision du 26 juillet 2019 1 (ci-après la « décision attaquée »), la Commission européenne a considéré que ces subventions constituaient des aides d’État qui sont compatibles avec le marché intérieur 2 (ci-après les « aides litigieuses »). Pour ce motif, elle a décidé de ne pas soulever d’objections.

La Coopérative des artisans pêcheurs associés (CAPA), une société dont la clientèle est constituée de pêcheurs, et dix entreprises de pêche ou patrons pêcheurs (ci-après les « pêcheurs requérants ») ont saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation de la décision attaquée. Ce recours est, toutefois, rejeté comme irrecevable par la neuvième chambre élargie du Tribunal, qui constate que les requérants n’ont pas qualité pour agir contre la décision attaquée.

Appréciation du Tribunal

À titre liminaire, le Tribunal rappelle que la décision attaquée est une décision de ne pas soulever d’objections contre les aides litigieuses, par laquelle la Commission a, implicitement mais nécessairement, refusé d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article108, paragraphe 2, TFUE. Comme cette décision empêche les « parties intéressées » 3 de présenter leurs observations dans le cadre de la procédure formelle d’examen des aides en cause, celles-ci sont recevables à contester ladite décision devant le juge de l’Union, dans la mesure où elle viole leurs droits procéduraux. Pour qu’une personne, entreprise ou association d’entreprises puisse être qualifiée de « partie intéressée », il importe qu’elle démontre, à suffisance de droit, que l’aide risque d’avoir une incidence concrète sur sa situation.

S’agissant de la qualification des pêcheurs requérants de « parties intéressées » recevables à introduire un recours contre la décision attaquée, le Tribunal constate que, pour justifier leur qualité pour agir, ils invoquent, d’une part, l’existence d’un rapport de concurrence indirect entre leurs activités et celles des bénéficiaires des aides litigieuses et, d’autre part, et en tout état de cause, le risque d’une incidence concrète de ces aides sur leur situation.

En ce qui concerne le rapport de concurrence indirect revendiqué par les pêcheurs requérants, le Tribunal relève que les requérants ne sauraient faire valoir que leur processus de production implique l’utilisation de la même « matière première » que celui des exploitants des parcs éoliens. En effet, selon le sens courant de l’expression « matière première », celle-ci désigne une ressource naturelle ou un produit, non transformé, utilisé comme intrant dans le processus de fabrication d’une marchandise. En l’espèce, ce n’est pas l’accès à la zone de l’espace public maritime utilisée tant par les pêcheurs que par les exploitants des parcs éoliens en mer qui constitue, en tant que telle, la « matière première » de leur activité économique respective, mais les ressources naturelles qui s’y trouvent, à savoir, d’une part, la ressource halieutique et, d’autre part, l’énergie cinétique du vent. Lesdites ressources étant distinctes, les pêcheurs requérants ne sont donc pas en situation de concurrence avec les exploitants des parcs éoliens pour leur exploitation.

Ainsi, le Tribunal conclut que les pêcheurs requérants ne sauraient être considérés comme des parties intéressées, recevables à introduire un recours contre la décision attaquée sur le fondement d’une prétendue relation de concurrence indirecte avec les bénéficiaires des aides litigieuses.

En ce qui concerne le risque invoqué d’une incidence concrète des aides litigieuses sur la situation des pêcheurs requérants, le Tribunal examine, ensuite, si les impacts négatifs présumés de l’exploitation des parcs éoliens sur leur environnement, en particulier sur les activités de pêche coexistantes, le milieu marin et les ressources halieutiques, peuvent être considérés comme une incidence concrète de l’octroi de ces aides sur la situation des entreprises de pêche concernées.

À cet égard, le Tribunal souligne que, s’il ne peut pas être exclu, par principe, qu’une aide affecte concrètement les intérêts de tiers en raison des impacts que l’installation aidée génère sur son environnement et, notamment sur les autres activités qui s’exercent à proximité, ces tiers, pour être qualifiés de parties intéressées, doivent démontrer, à suffisance de droit, le risque d’une telle affectation concrète. En outre, il ne suffit pas, pour ce faire, de démontrer l’existence desdits impacts, mais encore faut-il établir que ces impacts résultent de l’aide elle-même. Or, cette preuve n’a pas été apportée par les pêcheurs requérants.

En effet, les impacts allégués des projets en cause sur les activités des pêcheurs requérants sont inhérents, d’une part, aux décisions des autorités françaises d’implantation de ces projets dans les zones concernées dans le cadre de leur politique d’exploitation des ressources énergétiques et, d’autre part, à la réglementation de l’espace public maritime et aux mesures techniques applicables auxdits projets. Si la décision de ces autorités d’accorder aux exploitants de ces projets des aides sous la forme d’une obligation d’achat prise en charge par l’État leur confère un avantage par rapport aux producteurs d’électricité non subventionnée, elle est, par elle-même, sans influence sur les résultats économiques des pêcheurs requérants.

Au regard de ce qui précède, le Tribunal conclut que les aides litigieuses ne sauraient être considérées comme étant, par elles-mêmes, susceptibles d’avoir une incidence concrète sur leur situation, de sorte que les requérants pêcheurs ne peuvent en tirer la qualité pour agir contre la décision attaquée.

S’agissant, enfin, de la qualification de la Coopérative des artisans pêcheurs associés (CAPA) de « partie intéressée », le Tribunal relève que l’activité de cette société dont la clientèle est constituée de pêcheurs, dépend des décisions économiques de sa clientèle, et non du versement des aides litigieuses. Il s’ensuit que le risque d’une incidence concrète desdites aides sur sa situation n’est, en tout état de cause, pas démontré et que cette société ne peut pas non plus être considérée comme une partie intéressée.

Notes :

1 Décision C(2019) 5498 final de la Commission, du 26 juillet 2019, concernant les aides d’État SA.45274 (2016/NN), SA.45275 (2016/NN), SA.45276 (2016/NN), SA.47246 (2017/NN), SA.47247 (2017/NN) et SA.48007 (2017/NN), mises à exécution par la République française en faveur de six parcs éoliens en mer (Courseulles-sur-Mer, Fécamp, Saint- Nazaire, Îles d’Yeu et de Noirmoutier, Dieppe et le Tréport, Saint-Brieuc).

2 Au titre de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE.
3 Au sens au sens de l’article 1er, sous h), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 [TFUE] (JO 2015, L 248, p. 9).

Voici cette décision :