Continuité écologique des cours d’eau : le régime des moulins à eau, équipés, bénéficiant d’un droit de prise d’eau, antérieur à février 2017, est bien constitutionnel !

L’article L214-18-1 du Code de l’environnement, créé par la loi n°2017-227 du 24 février 2017 dispose que :

« Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables.»

Que sont les règles ainsi définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2° du I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement… et dont sont exonérées ces moulins ? Ce sont les suivantes :

I.-Après avis des conseils départementaux intéressés, des établissements publics territoriaux de bassin concernés, des comités de bassins et, en Corse, de l’Assemblée de Corse, l’autorité administrative établit, pour chaque bassin ou sous-bassin :
[…]
« 2° Une liste de cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d’assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l’autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l’exploitant, sans que puisse être remis en cause son usage actuel ou potentiel, en particulier aux fins de production d’énergie. S’agissant plus particulièrement des moulins à eau, l’entretien, la gestion et l’équipement des ouvrages de retenue sont les seules modalités prévues pour l’accomplissement des obligations relatives au franchissement par les poissons migrateurs et au transport suffisant des sédiments, à l’exclusion de toute autre, notamment de celles portant sur la destruction de ces ouvrages. »

Comme l’écrit le Conseil d’Etat, par ces dispositions de l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement, telles qu’éclairées par les travaux parlementaires préparatoires à l’adoption de la loi du 24 février 2017 dont elles sont issues, le législateur a entendu :

« afin de préserver le patrimoine hydraulique que constituent les moulins à eau, exonérer l’ensemble des ouvrages pouvant recevoir cette qualification et bénéficiant d’un droit de prise d’eau fondé en titre ou d’une autorisation d’exploitation à la date de publication de la loi du 24 février 2017 des obligations mentionnées au 2° du I de l’article L. 214-17 du même code, destinées à assurer la continuité écologique des cours d’eau, sans limiter le bénéfice de cette exonération aux seuls moulins hydrauliques mis en conformité avec ces obligations ou avec les obligations applicables antérieurement ayant le même objet. »

Une QPC a été déposée contre ce régime et celle-ci a été acceptée par le Conseil d’Etat, lequel l’a donc transmise au Conseil constitutionnel :

« 4. Ces dispositions sont applicables au litige et n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. Les moyens tirés de ce que l’article L. 214-18-1 du code de l’environnement méconnaîtrait les articles 1er à 4 de la Charte de l’environnement ainsi que le principe d’égalité devant la loi soulèvent une question présentant un caractère sérieux. Il y a lieu, dès lors, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les associations requérantes à l’appui de leur requête.»

Sources : CE, 8 mars 2022, FNE, n° 459292

Cette QPC a donné lieu à une décision, ce jour à 10h, du Conseil constitutionnel lequel valide ce régime, comme nous l’avions prédit dans d’ailleurs diverses interventions en ligne et colloques (ce qui à l’époque avait été accueilli avec de gros doutes). Pour mes prédictions, je n’avais cependant pas besoin d’une belle boule de cristal car :

Passons sur les accusations (excessives) portées contre ces dispositions d’être entachées d’inintelligibilité.

Plus intéressantes étaient les attaques portées contre ce régime accusant celui-ci de méconnaître la Charte de l’environnement.

Le Conseil constitutionnel a rappelé que :

« 5. S’il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions, il ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement.

« 6. Les limitations apportées par le législateur à l’exercice de ce droit doivent être liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi.»

Lorsque j’entendais débattre de ce contentieux ici ou là, les espoirs fondés sur ce contentieux semblaient forts sur ce point parce que la défense des moulins ne serait pas fondée sur un motif d’intérêt général, car les moulins même sans production hydroélectrique existante ont aussi une protection dans la loi.

Le Conseil constitutionnel, comme on pouvait s’y attendre, s’est engouffré dans cette brèche pour valider ce régime car, outre le caractère limité de cette dérogation, il y a bien intérêt général à produire de l’hydroélectricité (et cet intérêt général est constitué même si cette production n’est que potentielle, car on suppose que cette virtualité se concrétisera vu le régime de rachat d’électricité en France), en sus d’un possible mais plus discuté intérêt général à conserver le patrimoine en question :

« 9. Toutefois, en premier lieu, il ressort des travaux parlementaires que le législateur a entendu non seulement préserver le patrimoine hydraulique mais également favoriser la production d’énergie hydroélectrique qui contribue au développement des énergies renouvelables. Il a, ce faisant, poursuivi des motifs d’intérêt général.

« 10. En deuxième lieu, d’une part, cette exemption ne concerne que les moulins à eau équipés pour produire de l’électricité et qui existent à la date de publication de la loi du 24 février 2017. D’autre part, elle ne s’applique pas aux ouvrages installés sur les cours d’eau en très bon état écologique, qui jouent le rôle de réservoir biologique ou dans lesquels une protection complète des poissons est nécessaire.

« 11. En dernier lieu, les dispositions contestées ne permettent de déroger qu’aux règles découlant du 2 ° du paragraphe I de l’article L. 214-17 du code de l’environnement et ne font pas obstacle, en particulier, à l’application de l’article L. 214-18, qui impose de maintenir un débit minimal garantissant en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces aquatiques.

« 12. Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance de l’article 1er de la Charte de l’environnement doit être écarté.»

Sur le principe d’égalité, on pourra faire grief au Conseil constitutionnel d’avoir été à tout le moins peu disert. Cependant, aucune surprise dans sa décision puisque le juge est assez prompt à trouver des différences de situation et, à l’aune de ce qui vient d’être dit, en l’espèce celles-ci sont patentes (voir par comparaison : décision n° 2016-547 QPC du 24 juin 2016 ; Décision n° 2016-589 QPC du 21 octobre 2016 ; etc.)

VOICI CETTE DÉCISION : Décision n° 2022-991 QPC du 13 mai 2022, Association France nature environnement et autres [Exemption pour certains moulins à eau des obligations visant à assurer la continuité écologique des cours d’eau] ; Conformité

 Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

A suivre…


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