Pesticides : l’Etat tente de mettre fin à un débat empoisonné

Protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation : par un nouveau décret et un arrêté, l’Etat tente de mettre un point final à une longue saga juridique .

En matière de pesticides, plusieurs décisions importantes ont été rendues par les juridictions du Palais Royal :

  • Le Conseil constitutionnel a ainsi une décision (n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021) importante en matière de distances d’épandages de pesticides et autres produits phytosanitaires. Il s’agissait d’une censure — certes importante quoique portant sur des dispositions qui ont pour l’essentiel disparu du droit positif —, des procédures préalables à l’adoption des chartes départementales (faute pour celles-ci d’être assez précises sur leurs modalités de consultation/concertation et de garantir la participation de « toute personne » à ce stade, celui de la concertation donc au contraire de ce qu’exige l’article 7 de la Charte de l’environnement. Ce point est central pour les procédures de concertation pour les « chartes locales » (de l’arrêté du 27 décembre 2019 et du décret 2019-1500 du même jour).
  • A rebours de ses décisions de l’année antérieure (CE, ord. 14 février 2020, n° 437814 ; voire indirectement de CE, 31 décembre 2020, n° 439253…) le Conseil d’Etat, l’été dernier (CE, 26 juillet 2021, n° 437815), a ordonné que les règles d’utilisation en ce domaine soient complétées pour mieux protéger la population. 
    Plus précisément, le Conseil d’État :
    • constatait que l’ANSES recommande une distance minimale de 10 mètres entre les habitations et les zones d’épandage de tout produit classé cancérogène, mutagène ou toxique, sans distinguer si leurs effets sont avérés, présumés ou seulement suspectés. Il juge par conséquent que les distances minimales d’épandage des produits dont la toxicité n’est que suspectée, qui ont été fixées à 5 mètres pour les cultures basses comme les légumes ou les céréales, sont insuffisantes.
    •  jugeait également que le Gouvernement doit prévoir des mesures de protection pour les personnes travaillant à proximité d’une zone d’utilisation de pesticides, ce que la règlementation en vigueur ne fait pas.
    • estimait que les chartes d’engagements d’utilisation devaient prévoir l’information des résidents et des personnes présentes à proximité des zones d’épandage en amont de l’utilisation des pesticides.
    • annulait par ailleurs les conditions d’élaboration de ces chartes et de leur approbation par le préfet, car celles-ci ne pouvaient être définies par un décret, mais uniquement par la loi, conformément à la décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021 du Conseil constitutionnel.  –> Le Conseil d’État ordonnait ainsi de compléter la règlementation en vigueur sur ces 3 points, dans un délai de 6 mois.
  • puis le Conseil d’Etat a prolongé cette jurisprudence en censurant la possibilité (qui était tout à fait dénuée de fondement juridique sérieux de toute manière) d’appliquer par anticipation les chartes du nouveau régime de 2020 (Conseil d’État, 22 octobre 2021, n° 440210)
  • avec un petit lien en zone Natura 2000 avec cette décision : CE, 15 novembre 2021, n° 437613

Voir à tous ces sujets :

On le voit, l’Etat devait revoir sa copie notamment en matière de modalités d’élaboration, et d’adoption des chartes d’engagement. 

Le Ministère de l’agriculture a ainsi résumé les projets de décret et d’arrêté en résultant :

« Le projet de décret établit une nouvelle procédure d’élaboration et d’approbation des chartes d’engagement des utilisateurs, afin que la consultation du public sur le projet de charte s’effectue conformément aux dispositions de l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement. De plus, il prévoit que les chartes devront nécessairement préciser les modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

« Le projet d’arrêté étend aux personnes travaillant à proximité des zones traitées les dispositions en place pour la protection des personnes résidant à proximité de ces zones. »

C’est chose faite au JO avec le décret n° 2022-62 du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d’habitation (NOR : AGRG2202402D) :https://www.legifrance.gouv.fr/eli/decret/2022/1/25/AGRG2202402D/jo/texte

S’y ajoute cet arrêté :

  • Arrêté du 25 janvier 2022 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et modifiant l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime (NOR : AGRG2202398A) 
    https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2022/1/25/AGRG2202398A/jo/texte 

Le décret :

  • établit une nouvelle procédure d’élaboration et d’approbation des chartes d’engagement des utilisateurs telle que prévue par l’article L. 123-19-1 du code de l’environnement.
  • prévoit que les chartes devront nécessairement préciser les modalités d’information des résidents et des personnes présentes préalablement à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
  • dispose que les acteurs signataires des chartes dans chaque département devront définir les meilleurs moyens de procéder à cette information qui peut prendre plusieurs formes.
  • ne prévoit pas nécessairement une information individuelle des personnes concernées et permet à chaque territoire de retenir la solution la plus adaptée.

L’arrêté, quant à lui, étend aux personnes travaillant régulièrement à proximité des zones traitées les dispositions déjà en place pour la protection des personnes qui résident à proximité de ces zones. S’agissant des produits mentionnés à son article 14-2, les distances de sécurité ne s’appliquent aux parcelles déjà emblavées au titre d’un cycle cultural à la date de sa publication qu’à compter du 1er juillet 2022.

En ce qui concerne les distances de sécurité applicables aux produits classés CMR de catégorie 2, le Gouvernement a, pour citer le Ministère de l’agriculture :

« opté pour une approche fondée sur l’évaluation scientifique. Les produits concernés sont les produits dont l’autorisation de mise sur le marché ne comprend pas encore de distances de sécurité spécifique. Par conséquent, le Gouvernement a demandé à l’ANSES d’accélérer la mise à jour des autorisations des produits concernés pour y intégrer les distances de sécurité ad hoc. Cette mise à jour sera effectuée sur demande du détenteur de l’autorisation, qui devra réaliser et fournir les études et données nécessaires à la conduite de l’évaluation scientifique. A compter du 1er octobre 2022, les produits n’ayant pas fait l’objet d’une demande recevable auprès de l’Anses ont vocation à se voir appliquer le respect d’une distance de sécurité réglementaire de 10 m. »

Voici un vade mecum par ailleurs du Ministère sur les produits autorisés ou non, à jour du 10 janvier 2022 :