Pollution dans les métros et autres réseaux ferroviaires souterrains : décret en vue ; améliorations sanitaires visibles ; investissements à prévoir

En matière de qualité de l’air (intérieur et extérieur) et de pollution, se sont déployés des cadres juridiques complexes avec moult tensions, où les pouvoirs législatifs et réglementaires évoluent sous la pression des juridictions (I).

Dans le cas particulier de l’air intérieur en milieu professionnel, notamment dans les transports ferroviaires souterrains (question des valeurs limites d’exposition aux poussières dites sans effet spécifique)… le Conseil d’Etat avait en 2020 censuré la position du Ministre, lequel de son côté reconnaissait de toute manière l’obsolescence des normes utilisées (II).

Le projet de décret est prêt (III) après trois aller-retours de concertation. Nous approchons de solutions plus consensuelles, semble-t-il (normes ANSES dès le 1er janvier 2022 avec quelques dispositions transitoires), avec une amélioration de la situation sanitaire pour les agents (et parfois par ricochet pour les usagers), et donc avec d’importantes adaptations à prévoir pour les activités en cause (services de transports ferroviaires souterrains mais pas seulement). 

I. Qualité de l’air intérieur et extérieur et pollution : des cadres juridiques complexes avec moult tensions, où les pouvoirs législatifs et réglementaires évoluent sous la pression des juridictions 

Les questions de pollution de l’air ne cessent, depuis quelques années, de donner lieu à un match entre les juridictions nationales et européennes, d’une part, et les autorités nationales qui peinent à faire évoluer les normes à la hauteur des problèmes. 

Au niveau de la pollution atmosphérique, voir par exemple :

Un autre enjeu, intellectuellement et techniquement proche mais juridiquement fort différent, est celui de la qualité de l’air intérieur. Voir par exemple :

II. Dans le cas particulier de l’air intérieur en milieu professionnel, notamment dans les transports ferroviaires souterrains (question des valeurs limites d’exposition aux poussières dites sans effet spécifique)… le Conseil d’Etat avait en 2020 censuré la position du Ministre, lequel de son côté reconnaissait de toute manière l’obsolescence des normes utilisées 

Le Conseil d’État, le 29 juillet 2020 (affaire n° 429517), avait à appliquer le régime des articles L. 4121-1 et  L. 4221-1 du code du travail… Domaine pour lesquels le ministre chargé du travail, de toute manière et pour reprendre la formulation du Conseil d’Etat, « ne contestait pas que les seuils actuellement fixés par l’article R. 4222-10 du code du travail, tant pour les poussières totales que pour les poussières alvéolaires, ne sont plus adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs

Ce débat porte donc, dans ces milieux professionels particuliers, sur valeurs limites d’exposition (VLEP) aux poussières dites sans effet spécifique (PSES) qui ne sont pas des poussières entraînant une maladie donnée, mais qui à la longue peuvent entraîner une « surcharge pulmonaire ».

Dans le cas particulier des métros et autres réseaux ferroviaires souterrains, l’Etat était (au jour où statuait la Haute Assemblée) en situation fautive de ne pas avoir adopté de nouvelle normes… puisque les études techniques préalables étaient achevées :

« 5. Il ressort des pièces du dossier que les autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels sont informées, notamment depuis un avis rendu le 8 juin 2015 par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) à propos de la pollution chimique de l’air des enceintes de transports ferroviaires souterrains, de ce que l’état des connaissances scientifiques et des informations disponibles rend nécessaire la révision des valeurs limites de référence fixées à l’article R. 4222-10 du code du travail, en particulier pour les poussières alvéolaires. Compte tenu notamment de la technicité de la matière, l’administration a engagé un processus de révision de l’ensemble des valeurs fixées par ces dispositions en saisissant à cette fin l’ANSES le 18 novembre 2015. Il ressort des pièces du dossier que le processus d’expertise est à ce jour achevé, l’agence ayant rendu le 19 novembre 2019 son avis, qui comporte la proposition de valeurs limites d’exposition professionnelle et fait suite à une expertise collective soumise à une consultation publique du 13 mai au 13 juillet 2019. Il en résulte qu’à la date de la présente décision, l’administration est en mesure de fixer de nouvelles valeurs limites de référence, ainsi qu’elle a elle-même indiqué avoir l’intention de le faire « sans délai » dès l’intervention de cet avis. Par suite, la fédération requérante est fondée à demander l’annulation de la décision qu’elle attaque, refusant de modifier les dispositions de l’article R. 4222-10 du code du travail.

« 6. Cette annulation implique nécessairement la modification de ces dispositions réglementaires pour fixer de nouveaux seuils de concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires de l’atmosphère inhalée par les travailleurs dans les locaux à pollution spécifique, de nature à protéger la santé de ces travailleurs. Il y a lieu pour le Conseil d’Etat d’ordonner cette mesure, qui devra intervenir dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. »

… Avec un impact pour les professionnels, mais aussi par ricochet pour les usagers. 

III. Le projet de décret est prêt et nous approchons de solutions plus consensuelles, semble-t-il (normes ANSES dès le 1er janvier 2022 avec quelques dispositions transitoires), avec une amélioration de la situation sanitaire pour les agents (et parfois par ricochet pour les usagers), et donc avec d’importantes adaptations à prévoir pour les activités en cause (services de transports ferroviaires souterrains mais pas seulement)

La suite de ce feuilleton est fort bien narrée par le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique, en son avis en date du 6 décembre 2021 (diffusé le 7), et que voici :

Citons le CSCEE :

« Le projet de texte visant à réviser les niveaux de concentration pour les poussières dites sans effet spécifique, présenté lors de la séance de la commission spécialisée n° 3 du COCT du 10 septembre 2021, a ensuite été soumis au Conseil d’État qui l’a rejeté le 21 septembre 2021, en estimant que « l’écart entre les seuils recommandés par l’ANSES et ceux prévus par le projet de décret n’est justifié par aucun élément, permettant notamment d’apprécier l’absence de faisabilité d’une réduction plus importante des valeurs de référence actuelles ».
« À la suite de ce rejet, un nouveau projet de texte a été présenté lors de la séance de la commission spécialisée n° 3 du COCT du 10 novembre 2021, en commission générale (CG) du COCT le 17 novembre 2021 ainsi qu’au CSCEE le 9 novembre 2021. Ce nouveau projet prévoyait en particulier l’application des valeurs issues du rapport de l’ANSES de novembre 20193 au 1er janvier 2022, avec un recours facilité aux équipements de protection individuelle. Ces valeurs ne s’appliquaient en revanche pas aux mines et carrières.

« A la suite des observations formulées tant au niveau des formations du COCT que du CSCEE, notamment sur les risques liés à la faisabilité technique et économique de respecter les valeurs ANSES au 1er janvier 2022 et sur le recours facilité au port des équipements de protection individuelle, une nouvelle version du projet de décret ayant pour objet de se conformer à l’analyse du Conseil d’État et de tenir compte des observations susmentionnées, est soumis à la présente consultation du CSCEE ainsi que de la commission spécialisée n° 3 du COCT.
« Par rapport au projet de décret présenté au CSCEE le 9 novembre, deux évolutions ont été apportées :
– un abaissement intermédiaire et provisoire, du 1er janvier 2022 au 30 juin 2023, des niveaux actuels des concentrations moyennes en poussières totales et alvéolaires dans les locaux à pollution spécifique (à savoir 10 mg/m3 d’air pour la fraction inhalable et 5 mg/m3 d’air pour la fraction alvéolaire) prévus à l’article R. 4222-10 du code du travail, à 7 mg/m3 d’air pour la fraction inhalable et 3,5 mg/m3 d’air pour la fraction alvéolaire ;
– et l’inapplicabilité des dispositions de l’article R. 4212-1 du code du travail (qui prévoient que « Le maître d’ouvrage conçoit et réalise les bâtiments et leurs aménagements de façon à ce que les locaux fermés dans lesquels les travailleurs sont appelés à séjourner soient conformes aux règles d’aération et d’assainissement prévues aux articles R. 4222-1 à R. 4222-17 »), en tant qu’elles renvoient à l’article R. 4222-10 du même code, aux opérations de construction ou d’aménagement de bâtiments pour lesquelles la demande de permis de construire est antérieure au 1er janvier 2022, ainsi qu’aux opérations ne nécessitant pas de permis de construire dont le début des travaux est antérieur à cette même date.
« En préambule, le CSCEE précise que l’avis défavorable formalisé le 15 novembre 2021 avait été pris aux motifs de :
– l’absence de la faisabilité technico-économique des limites de seuils retenues ;
– la non prise en compte des questions relatives à la métrologie et aux méthodes de mesure et d’analyse afférentes ;
– la non vérification de l’existence d’une offre suffisante d’équipement de protection individuelle comme solution alternative dans l’existant ;
– et l’impossibilité technique de tenir les délais au 1er janvier 2022, pour les
constructions neuves en cours et pour déployer une offre de technologies nouvelles rendues indispensables par l’abaissement important de ces seuils.
« Le CSCEE souhaite également souligner que le plan d’investissement France 2030 vise à réindustrialiser la France pour redevenir une nation d’innovation et de recherche. Les éventuels freins aux investissements dans le domaine de l’industrie, des installations existantes ou à construire doivent faire l’objet d’un examen concerté par l’ensemble des filières concernées.

La nouvelle nouvelle nouvelle version (puisqu’il y aura eu tout de même trois aller-retours !) de ce texte a donc donné lieu à un avis favorable du CSCEE :

« Le CSCEE a émis un avis favorable, soulignant les efforts apportés par l’administration sur cette nouvelle version, avec les réserves que : 
– le périmètre des conclusions de la commission soit étendu au recensement des freins spécifiques qu’ils soient techniques et économiques lorsque les valeurs sont dépassées, à l’identification des méthodes et technologies, et à l’amélioration de la détection et la mesure ; 
– et que ces conclusions soient rendues publiques […] »

Le nouveau projet de décret est donc sur le point d’être publié pour une entrée en vigueur le 1er janvier 2022.

A noter, à ce sujet, un intéressant article de Mme Marie Duribreux, pour Liaisons sociales :

Le texte colle maintenant aux valeurs définies par de l’Anses, avec une application dès le 1er janvier 2022, ce qui est bien pour les personnels (non sans effet par ricochet pour les usagers) mais qui imposera de très très rapides ajustements pour les services publics et notamment les gares souterraines. 

Ceci dit, il sera possible de recourir pour les agents à des équipements de protections individuelles pendant une période intermédiaire de trois ans et des dérogations sont prévues pour les bâtiments dont le permis de construire est antérieur à 2022. 

A suivre avec la promulgation du décret mais, d’ores et déjà, sur Twitter, les commentateurs se réjouissent :