Un arrêté porte « distraction de parcelles du régime forestier ». Son éventuelle illégalité ab initio peut-elle être soulevée pour demander, plus de 4 mois après, son abrogation ?

Les juristes de droit public pratiquent couramment les règles assez complexes en matière de retrait et d’abrogation des actes administratifs..

En résumé :

  • le retrait des décisions créatrices de droits ne peut être admis que lorsqu’elles sont illégales et dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision (CE, 26 octobre 2001, Ternon, req. n° 197018). Mais ce principe est largement à relativiser :
    • une décision n’est jamais créatrice de droit lorsqu’elle est obtenue par fraude (CE, 17 mars 1976, TodeschiniRec. 157 ; CE Sect., 29 novembre 2002, Assistance Publique des Hôpitaux de Marseille, RFDA 2003, p. 234, concl. Bachelier). Sur ce jeu complexe, d’ailleurs, voir Conseil d’État, 05/02/2018, 407149 (Acte créateur de droits obtenu par fraude : quel recours pour les tiers, une fois passé les délais de recours contentieux ? )… à combiner parfois avec des éléments de droit pénal. 
    • en application de la jurisprudence « Coulibaly » (CE, 6 mars 2009, req. n°306084), l’administration peut, sans condition de délai, abroger une décision créatrice de droits dont le maintien est subordonné à une condition qui n’est plus remplie.
    • le Conseil d’Etat a posé, dans un avis du 28 mai 2014 , que peu importe le caractère créateur de droit ou non d’une décision : si celle-ci a entraîné le versement d’une somme indue par une personne publique, ladite somme peut être récupérée pendant un délai de deux ans (CE, 28/05/2014, n° 376501) dans le cadre particulier d’une somme indûment versée par une personne publique à l’un de ses agents au titre de sa rémunération. 
    • S’y ajoute une autre relativisation, en cas d’existence d’une autre prescription, plus longue, prévue par un droit supra-national (CAA Marseille, 20 décembre 2016, SARL Les serres Vermeil, n° 15MA02687 15MA02701)
    • etc.
  • au contraire des actes non créateurs de droits qui peuvent être abrogés à tout moment (voir par exemple CE, 19 avril 2000, req. n° 157292). 

    Mais, s’agissant des actes non réglementaires, non créateur de droits, si l’abrogation est toujours possible, elle n’est pas obligatoire pour l’administration sauf si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction… on ne peut soulever, des années, après, l’illégalité initiale (et pas d’exception d’illégalité non plus au contraire de ce qui se passerait pour un acte réglementaire). 

Et le présent blog résonne des jurisprudences qui affinent et complexifient à l’envi ces règles de droit public.

Une intéressante illustration vient de nous en être fournie par la très intéressante dernière 19e édition de la lettre de la CAA de Nancy et des TA de son ressort :

Cette CAA a posé qu’un arrêté portant distraction de parcelles du régime forestier était un acte non réglementaire, non créateur de droits (voir déjà en ce sens : CE, 13 novembre 2018, n° 425013).

La Cour rappelle donc qu’il résulte des dispositions de l’article L. 243-2 du code des relations entre le public et l’administration que si l’administration est tenue d’abroger un acte réglementaire illégal, elle ne l’est, s’agissant des actes non réglementaires, non créateur de droits, que si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction.

Tel n’était pas le cas, ou en tout cas cela n’était pas soulevé en tant que tel. Une éventuelle illégalité initiale ne pouvant être soulevée après coup… le recours (un des nombreux dans les entrelacs de litiges relatifs au centre d’enfouissement profond de déchets radioactifs à Bures) ne pouvait qu’être rejeté. 

Voir les conclusions de M. Alexis Michel, Rapporteur public :

Voir cette décision :