Loi climat / résilience : le Conseil constitutionnel ne censure que d’infimes détails (mais dont certains concernent directement le bloc local)

La future loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets (I) a donné lieu à une saisine par des députés de la gauche de l’Assemblée nationale, notamment LFI. 

Le Conseil constitutionnel (II), via une décision précise (III)  vient de rejeter leur saisine, s’autorisant au passage à souligner le caractère flou de ce recours. 

De fait les seules (et très très limitées) censures portent sur des points soulevés lui-même par le Conseil constitutionnel et non pas par le recours.

On notera dans ces censures : 

  • des corrections à la marge sur des délégations de l’article 38 (ordonnances) ; 
  • la censure de cavaliers portant sur : des achats en forme simplifiée pendant la période d’urgence sanitaire pour des montants inférieurs à 100 K€ HT ; la prise en charge par le porteur d’un projet éolien d’équipements de compensation de la gêne liée à leur équipement pour la Défense ; des assouplissements pour le photovoltaïque (là le Conseil constitutionnel est fort dur) ; la possibilité pour les communes de créer des périmètres de ravalement obligatoire sans arrêté préfectoral ; des règles sur les évaluations des cartes communales ; certaines règles en matière de lotissement ou de chemins ruraux ; des règles de tarification sociale de la restauration scolaire…
 Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

I. Ce que prévoit ce texte 

Le projet de loi constitutionnelle climat / résilience a été abandonné :

Mais le projet de loi ordinaire a donné lieu à un accord en Commission mixte paritaire, pour un projet qui avait été fortement transformé par le Sénat :

… Amendements sénatoriaux qui ont largement été en recul lors d’une CMP dont le texte final est proche des version de l’A.N.

VOICI CE TEXTE FINAL :

Le calendrier conduit à une convergence car ceci intervient au moment où l’Europe, de son côté, se dote d’outils puissants :

A noter :

  • Création d’un « CO2 score » pour informer les consommateurs sur l’impact sur le climat des biens et services consommés (« étiquette climat » intégrée à l’affichage environnemental créé par la loi anti-gaspillage — AGEC). Cet affichage dépendra progressivement obligatoire sur les différentes gammes de produits et services (décret à venir)
  • Interdiction de la publicité pour les énergies fossiles & régulation de la publicité
  • codes de bonne conduite garantis par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) pour que les entreprises s’engagent à faire évoluer leur publicité en prenant en compte les enjeux liés au changement climatique.
  • Renforcement du pouvoir des maires pour encadrer l’affichage publicitaire à l’intérieur des vitrines (pouvoir de police de la publicité aux maires et aux intercommunalités, même lorsqu’elles n’ont pas de règlement local de publicité, mais avec un champ d’application limité aux écrans derrière les vitrines pour l’essentiel).
  • zones à faibles émissions dans les grandes villes de France (dejà largement développées loi après loi). Le futur texte rendra obligatoire la mise en place de zones à faibles émissions-mobilités (ZFE-m) pour les agglomérations de plus de 150 000 habitants d’ici le 31 décembre 2024 (et non 2030 comme voulu par le Sénat). Dans ces zones, la circulation des véhicules les plus polluants sera limitée et la prime à la conversion pourra bénéficier d’un supplément. Des restrictions sont prévues pour les véhicules Crit’Air 3 en 2025 pour les zones encore en dépassement. Pour faciliter leur mise en place, le pouvoir de police liée à la ZFE-m est transféré au président de l’établissement public de coopération intercommunale.
  • Interdiction de la vente des véhicules les plus polluants en 2030 (fin à la vente des véhicules émettant plus de 95 g CO2 — mesuré selon le cycle NEDC — à l’exception de certains véhicules à usages spécifiques, par exemple, des véhicules tout terrain pour l’usage professionnel ou dans les zones de montagne, sans que ces dérogations ne puissent excéder 5 % des ventes annuelles de voitures neuves).
  • Interdiction des vols quand une alternative en train existe pour un trajet de moins de 2h30. L’exploitation de services aériens sur des liaisons intérieures au territoire national est interdite dès lors qu’un trajet alternatif en train, moins émetteur de CO2, existe en moins de 2h30. Un décret en Conseil d’État fixera les conditions dans lesquelles des aménagements à cette interdiction seront apportés pour les services aériens qui assurent majoritairement le transport de passagers en correspondance ou qui offrent un transport aérien majoritairement décarboné. En complément, un travail a été engagé conjointement par les entreprises du secteur aérien et ferroviaire afin d’améliorer la qualité de l’offre intermodale air/fer dans les aéroports équipés de gares TGV.
  • 100 % des vols domestiques devront faire l’objet d’une compensation. La compensation carbone permet de capturer le CO2 dans des puits de carbone (forêts, sols) et contribue ainsi à la lutte contre le changement climatique. La compensation carbone pour les vols depuis et vers l’outre-mer se fera sur une base volontaire. Un calendrier progressif de mise en œuvre est appliqué, pour un début de mise en œuvre de la mesure dès 2022 et une compensation de 100 % des émissions en 2024. Par ailleurs, afin de garantir le bénéfice environnemental de la mesure, les types de crédits carbone pouvant être utilisés seront encadrés, visant notamment les puits de carbone et les projets soutenus en France.
  • Division par deux du rythme d’artificialisation des sols, avec un pilotage régional (avec des trajectoires à décliner dans les documents d’urbanisme via le lien de compatibilité qui s’impose à ceux-ci vis-à-vis du Sraddet). Le projet de loi définit la notion d’artificialisation des sols et inscrit dans le droit un objectif de réduction par deux du rythme d’artificialisation sur les dix prochaines années par rapport à la décennie précédente. Il organise la déclinaison de cet objectif par les collectivités territoriales, en lien avec l’État, par les documents de planification régionaux jusqu’aux documents communaux et intercommunaux. Cela permet de s’assurer du respect de l’objectif tout en l’adaptant aux besoins de chaque territoire notamment pour garantir leur développement.
  • Interdiction de location des passoires thermiques (4,8 millions de logements concernés), à partir de 2028, pour protéger les locataires contre des factures d’énergie trop élevées et laisser le temps nécessaire aux propriétaires pour rénover les logements qu’ils louent. Les locataires des passoires thermiques pourront exiger de leur bailleur des travaux de rénovation. D’ici 2028, il sera interdit d’augmenter le loyer des logements F et G (passoires thermiques) lors du renouvellement du bail ou de la remise en location.
  • Des choix végétariens proposés tous les jours (alors que dans l’actuelle loi Egalim c’est une fois par semaine) dans les collectivités locales volontaires (alors que dans la loi Egalim c’est obligatoire… la portée de la nouvelle disposition est donc à relativiser…). Une expérimentation est mise en place pendant deux ans, dans les collectivités territoriales volontaires, pour qu’un choix végétarien quotidien soit proposé dans la restauration collective publique. Cette expérimentation sera accompagnée d’une évaluation de ses impacts sur les apports nutritionnels, sur le gaspillage alimentaire, sur le coût pour les usagers et sur la fréquentation de ces restaurants, quelle que soit leur taille. Il y a donc pérennisation de l’expérimentation d’un repas végétarien par semaine en restauration scolaire, qui était un dispositif provisoire dans la loi Egalim.
  • Des repas composés à 50 % de produits durables ou sous signes d’origine et de qualité (dont 20 % des produits bio) dans toute la restauration collective (… extension donc de la loi EGALIM à toute la restauration collective privée, restaurant d’entreprise par exemple) d’ici à 2025
  • Création d’un délit d’écocide : est créé un délit général de pollution qui punira les personnes morales et physiques qui causeraient des dégâts graves et durables à l’environnement, en violation manifestement délibérée d’une règle de prudence ou de sécurité. Lorsque les contrevenants ne pouvaient ignorer la gravité des conséquences de leurs actes, ces personnes encourront alors des peines allant jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 4,5 millions d’euros d’amende, voire une amende allant jusqu’à dix fois le bénéfice obtenu par le contrevenant en attentant à l’environnement. Ce délit d’écocide est ainsi la version la plus grave du délit général de pollution.
  • la TVA pour le train abaissée à 5,5 % n’est pas passée finalement.
  • le droit de véto des maires sur l’éolien n’est pas non plus passé (mais ce débat a glissé vers le projet de loi 4D).
  • et un volet commande publique sur lequel nous reviendrons 

Voir les dossiers législatifs   :

Voir aussi :

 

II. Une censure très limitée au Conseil constitutionnel qui se lâche même à souligner le caractère fort vague de la saisine qu’il a eu à traiter

NB voici le communiqué du Conseil auquel nous n’avons rien trouvé à retrancher ni à ajouter (sauf sur la fin où nos ajouts sont en nota bene à chaque fois)

Le Conseil constitutionnel écarte comme excessivement généraux les griefs dont il a été saisi à l’encontre de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. 

Par sa décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dont il avait été saisi par un recours émanant de plus de soixante députés.

* Le recours contestait la loi prise en son ensemble au motif que nombre de ses dispositions s’inscriraient « dans la spirale d’inaction ayant conduit au non-respect de la trajectoire de la France en matière de réduction des gaz à effets de serre ». Les députés requérants soutenaient que, en conséquence, le législateur aurait privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement et demandaient au Conseil constitutionnel de lui enjoindre de « prendre des mesures adéquates pour y remédier ».

Le Conseil constitutionnel juge, toutefois, que le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu ces exigences constitutionnelles ne peut être utilement présenté devant lui, selon la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution ou la procédure de la question prioritaire de constitutionnalité, qu’à l’encontre de dispositions déterminées et à la condition de contester le dispositif qu’elles instaurent. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’injonction à l’égard du législateur.
Relevant que, en l’espèce, les requérants ne développent qu’une critique générale des ambitions du législateur et de l’insuffisance de la loi prise en son ensemble et ne critiquent donc, pour en demander la censure, aucune disposition particulière de la loi déférée, le Conseil constitutionnel en déduit que leur grief ne peut qu’être écarté.

* Le recours contestait en outre l’article 215 de la loi modifiant le régime de l’autorisation d’exploitation commerciale, afin de prévoir les conditions dans lesquelles cette autorisation peut être délivrée pour les projets engendrant une artificialisation des sols.

Il était reproché à ces dispositions de ne pas s’appliquer aux entrepôts des entreprises de commerce en ligne, quand bien même leur implantation ou leur extension engendrerait une artificialisation des sols. Il en serait résulté une différence de traitement injustifiée entre ces entreprises et celles qui exercent une activité de commerce physique, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

Par sa décision de ce jour, le Conseil constitutionnel relève que, en application de l’article L. 752-1 du code de commerce, sont soumis à autorisation d’exploitation commerciale les projets ayant pour objet la création ou l’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail, d’un ensemble commercial ou d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l’accès en automobile. Cette autorisation est délivrée par la commission départementale d’aménagement commercial en considération de plusieurs critères relatifs à l’aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs.

Il juge que les dispositions contestées se limitent à introduire une nouvelle condition au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale. Or, ce régime a pour objet principal d’assurer une répartition des surfaces commerciales favorisant un meilleur aménagement du territoire. Il résulte de l’article L. 752-1 du code de commerce qu’il ne s’applique pas aux entrepôts.

Dès lors, les dispositions contestées ne créent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les entreprises de commerce en ligne et celles qui exercent une activité de commerce au détail.

* Enfin, le Conseil constitutionnel censure d’office comme prises en méconnaissance de l’article 38 de la Constitution certaines dispositions des articles 81 et 173 de la loi déférée.

NB1 : il s’agit de l’étendue d’autorisations à prendre des ordonnances. Dans un cas il en résulte une exclusion pour certains produits et dans l’autre cas la censure du mot « notamment » qui conduisait à sinon ne pas assez cadrer la délégation ainsi faite. Classique.  

Il censure en outre comme « cavaliers législatifs », c’est-à-dire comme adoptés selon une procédure contraire aux exigences de l’article 45 de la Constitution, les articles 16, 34, 38, 84, 102, 105, 152, 161, 168, 195, 204, 221, 235 et 255. La censure de ces dispositions ne préjuge pas de la conformité de leur contenu aux autres exigences constitutionnelles.

NB2 : ultra classique. Mais on notera dans cette liste, la censure donc de cavaliers censurés portant sur : des achats en forme simplifiée pendant la période d’urgence sanitaire pour des montants inférieurs à 100 K€ HT ; la prise en charge par le porteur d’un projet éolien d’équipements de compensation de la gêne liée à leur équipement pour la Défense ; des assouplissements pour le photovoltaïque (là le Conseil constitutionnel est fort dur) ; la possibilité pour les communes de créer des périmètres de ravalement obligatoire sans arrêté préfectoral ; des règles sur les évaluations des cartes communales ; certaines règles en matière de lotissement ou de chemins ruraux ; des règles de tarification sociale de la restauration scolaire…

Crédits photographiques : Conseil constitutionnel

III. Voici la décision du Conseil constitutionnel (Décision n° 2021-825 DC du 13 août 2021
Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets)

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL A ÉTÉ SAISI, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 61 de la Constitution, de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, sous le n° 2021-825 DC, le 27 juillet 2021, par Mme Valérie RABAULT, MM. Jean-Luc MÉLENCHON, André CHASSAIGNE, Joël AVIRAGNET, Mmes Marie-Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, MM. Jean-Louis BRICOUT, Alain DAVID, Mme Laurence DUMONT, MM. Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Mme Chantal JOURDAN, M. Régis JUANICO, Mme Marietta KARAMANLI, M. Jérôme LAMBERT, Mme Josette MANIN, M. Philippe NAILLET, Mmes Lamia EL AARAJE, Christine PIRES BEAUNE, M. Dominique POTIER, Mmes Claudia ROUAUX, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR-CHRISTOPHE, M. Boris VALLAUD, Mme Michèle VICTORY, M. Gérard LESEUL, Mme Isabelle SANTIAGO, M. Alain BRUNEEL, Mme Marie-George BUFFET, MM. Pierre DHARRÉVILLE, Jean-Paul DUFRÈGNE, Mme Elsa FAUCILLON, MM. Sébastien JUMEL, Jean-Paul LECOQ, Stéphane PEU, Fabien ROUSSEL, Hubert WULFRANC, Gabriel SERVILLE, Mmes Karine LEBON, Manuéla KÉCLARD-MONDÉSIR, M. Moetaï BROTHERSON, Mme Clémentine AUTAIN, MM. Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Mme Caroline FIAT, MM. Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Mmes Danièle OBONO, Mathilde PANOT, MM. Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean-Hugues RATENON, Mmes Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, M. François RUFFIN, Mme Bénédicte TAURINE, MM. Jean-Félix ACQUAVIVA, Jean-Michel CLÉMENT, Paul-André COLOMBANI, Mme Frédérique DUMAS, MM. François-Michel LAMBERT, Paul MOLAC, Bertrand PANCHER, Mme Jennifer de TEMMERMAN et M. Sébastien NADOT, députés.

Au vu des textes suivants :

  • la Constitution ;
  • l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
  • le code de commerce ;
  • la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral ;

Au vu des observations du Gouvernement, enregistrées le 9 août 2021 ;

Et après avoir entendu le rapporteur ;

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL S’EST FONDÉ SUR CE QUI SUIT :

1. Les députés requérants défèrent au Conseil constitutionnel la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. Ils font valoir que, dans son ensemble, cette loi priverait de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé et contestent certaines dispositions de son article 215.

– Sur le grief dirigé contre l’ensemble de la loi :

2. Les requérants soutiennent que « de nombreuses dispositions de la loi déférée s’inscrivent manifestement dans la spirale d’inaction ayant conduit au non-respect de la trajectoire de la France en matière de réduction des gaz à effets de serre ». En particulier, ils font valoir que le volet de la loi dédié à la rénovation énergétique des bâtiments serait « particulièrement marqué par des mesures tardives au regard de l’objectif de neutralité carbone assigné au parc de logement à l’horizon 2050 par les législations françaises et communautaires, ainsi que par les engagements internationaux de la France ». Ils dénoncent également le fait que cette loi ne prévoirait « aucune mesure d’ampleur permettant d’accompagner les ménages et les différents acteurs économiques dans leur transition vers un mode de développement plus respectueux de l’environnement ». Enfin, ils estiment que « l’absence de soutien et de perspectives stratégiques pour la recherche et développement en matière environnementale risque fortement de compromettre la capacité des générations futures à vivre dans un environnement sain ». Ils reprochent ainsi au législateur d’avoir privé de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l’article 1er de la Charte de l’environnement et demandent au Conseil constitutionnel de lui enjoindre de « prendre les mesures adéquates pour y remédier ».

3. Toutefois, le grief tiré de ce que le législateur aurait méconnu cette exigence constitutionnelle ne peut être utilement présenté devant le Conseil constitutionnel, selon la procédure prévue par l’article 61 de la Constitution ou celle prévue par son article 61-1, qu’à l’encontre de dispositions déterminées et à la condition de contester le dispositif qu’elles instaurent. En tout état de cause, le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’injonction à l’égard du législateur.

4. En l’espèce, les requérants développent une critique générale des ambitions du législateur et de l’insuffisance de la loi prise en son ensemble. Ils ne contestent donc, pour en demander la censure, aucune disposition particulière de la loi déférée. Le grief dirigé contre l’ensemble de la loi ne peut dès lors qu’être écarté.

– Sur certaines dispositions de l’article 215 :

5. L’article 215 de la loi déférée modifie notamment l’article L. 752-6 du code de commerce, relatif au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale, afin de prévoir les conditions dans lesquelles cette autorisation peut être délivrée pour les projets engendrant une artificialisation des sols.

6. Les députés requérants reprochent à ces dispositions de ne pas s’appliquer aux entrepôts des entreprises de commerce en ligne, quand bien même leur implantation ou leur extension engendrerait une artificialisation des sols. Il en résulterait une différence de traitement injustifiée entre ces entreprises et celles qui exercent une activité de commerce physique, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

7. Selon l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

8. En application de l’article L. 752-1 du code de commerce, sont soumis à autorisation d’exploitation commerciale les projets ayant pour objet la création ou l’extension de la surface de vente d’un magasin de commerce de détail, d’un ensemble commercial ou d’un point permanent de retrait par la clientèle d’achats au détail commandés par voie télématique, organisé pour l’accès en automobile. Cette autorisation est délivrée par la commission départementale d’aménagement commercial en considération de plusieurs critères relatifs à l’aménagement du territoire, au développement durable et à la protection des consommateurs.

9. Les dispositions contestées prévoient que l’autorisation d’exploitation commerciale ne peut être délivrée pour une implantation ou une extension de surface commerciale qui engendrerait une artificialisation des sols. Par dérogation, cette autorisation peut néanmoins être délivrée, sous certaines conditions, pour les projets qui s’insèrent dans un secteur au type d’urbanisation adéquat et qui répondent aux besoins du territoire, lorsqu’ils ont pour objet la création ou l’extension d’un magasin de commerce de détail ou d’un ensemble commercial d’une surface de vente inférieure à un seuil déterminé.

10. Les dispositions contestées se limitent à introduire une nouvelle condition au régime de l’autorisation d’exploitation commerciale. Or, ce régime a pour objet principal d’assurer une répartition des surfaces commerciales favorisant un meilleur aménagement du territoire. Il résulte de l’article L. 752-1 du code de commerce qu’il ne s’applique pas aux entrepôts.

11. Dès lors, les dispositions contestées ne créent, par elles-mêmes, aucune différence de traitement entre les entreprises de commerce en ligne et celles qui exercent une activité de commerce au détail.

12. Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit donc être écarté.

13. Par conséquent, le premier alinéa du paragraphe V de l’article L. 752-6 du code de commerce, qui ne méconnaît aucune autre exigence constitutionnelle, est conforme à la Constitution.

– Sur d’autres dispositions :

14. Aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ». Il en résulte que seul le Gouvernement peut demander au Parlement l’autorisation de prendre de telles ordonnances. En outre, cette disposition fait obligation au Gouvernement d’indiquer avec précision au Parlement, afin de justifier la demande qu’il présente, la finalité des mesures qu’il se propose de prendre par voie d’ordonnances ainsi que leur domaine d’intervention. Toutefois, elle n’impose pas au Gouvernement de faire connaître au Parlement la teneur des ordonnances qu’il prendra en vertu de cette habilitation.

15. Le b du 4 ° du paragraphe I de l’article 81 autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance des mesures visant à encadrer l’activité minière en modifiant les obligations auxquelles sont tenus les opérateurs en matière de « traçabilité de l’or ainsi qu’en matière de traçabilité de l’étain, du tungstène et du tantale ».Alors que l’habilitation prévue par les dispositions du projet de loi était initialement limitée à la traçabilité de l’or, l’ajout de l’étain, du tungstène et du tantale résulte de l’adoption d’amendements d’origine parlementaire.

16. Dès lors, les mots « ainsi qu’en matière de traçabilité de l’étain, du tungstène et du tantale » figurant au b du 4 ° du paragraphe I de l’article 81 méconnaissent les exigences résultant de l’article 38 de la Constitution. Ils sont donc contraires à la Constitution.

17. Le 3 ° de l’article 173 autorise le Gouvernement à prendre par voie d’ordonnance diverses mesures relatives aux attestations en matière de respect des règles de construction.

18. Il autorise en particulier le Gouvernement à « modifier le champ d’application et les conditions de délivrance des attestations relatives au respect des règles de construction …, notamment s’agissant des personnes physiques ou morales susceptibles de les délivrer ainsi que des qualités et garanties qu’elles doivent présenter à cet effet ». Toutefois, en indiquant que ces mesures pourraient « notamment » porter sur certaines conditions de délivrance de ces attestations, le législateur a permis au Gouvernement d’intervenir dans d’autres domaines que ceux explicitement visés.

19. Il résulte de ce qui précède que le mot « notamment » figurant au 3 ° de l’article 173 méconnaît les exigences résultant de l’article 38 de la Constitution. Il est donc contraire à la Constitution.

– Sur la place d’autres dispositions dans la loi déférée :

20. Aux termes de la dernière phrase du premier alinéa de l’article 45 de la Constitution : « Sans préjudice de l’application des articles 40 et 41, tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu’il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis ». Il appartient au Conseil constitutionnel de déclarer contraires à la Constitution les dispositions introduites en méconnaissance de cette règle de procédure. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel ne préjuge pas de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles.

21. La loi déférée a pour origine le projet de loi déposé le 10 février 2021 sur le bureau de l’Assemblée nationale, première assemblée saisie. Ce projet comportait soixante-neuf articles répartis en six titres. Le titre Ier avait pour objet d’améliorer l’information des consommateurs sur l’empreinte carbone des biens et services, d’encadrer certaines pratiques publicitaires et de développer la vente en vrac et la consigne du verre. Le titre II visait à améliorer la disponibilité de pièces détachées, à mettre en cohérence la stratégie nationale de recherche et la stratégie nationale bas carbone, à imposer aux acheteurs publics la prise en compte, dans les marchés publics, de considérations liées aux aspects environnementaux, à adapter l’emploi à la transition écologique, à protéger les milieux naturels aquatiques, à modifier certaines dispositions du code minier et à décliner la programmation pluriannuelle de l’énergie. Le titre III contenait des mesures pour réduire les émissions de certains modes de transport et prévoir des alternatives à ces derniers. Le titre IV prévoyait des dispositions visant à améliorer la performance énergétique des bâtiments et à lutter contre l’artificialisation des sols. Le titre V comprenait des mesures en faveur d’une alimentation saine et durable et de l’agroécologie. Le titre VI renforçait la protection judiciaire de l’environnement.

22. L’article 16 confie à l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse, d’une part, la faculté de recueillir certains documents ou informations relatifs à l’empreinte environnementale du secteur des communications électroniques ou des secteurs qui lui sont liés et, d’autre part, le pouvoir de préciser les règles concernant les contenus et les modalités de mise à disposition d’informations relatives à cette empreinte. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 1er du projet de loi initial qui prévoyait l’affichage d’une information sur les caractéristiques environnementales de certains produits.

23. L’article 34 complète la liste des missions confiées à l’Autorité des normes comptables afin qu’elle puisse émettre des avis et prises de position dans le cadre de la procédure d’élaboration des normes européennes et internationales relatives à la publication d’informations en matière de durabilité des entreprises. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 33 du projet de loi initial qui ne concernait que les déclarations de performance extra-financière des entreprises commanditaires de prestations de transports de marchandises.

24. L’article 38 prévoit que, jusqu’à l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire, les acheteurs peuvent conclure sans publicité ni mise en concurrence préalables un marché répondant à un besoin dont la valeur estimée est inférieure à 100 000 euros hors taxes et portant sur la fourniture de denrées alimentaires produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 15 du projet de loi initial qui imposait aux acheteurs publics de prendre en compte, dans les marchés publics, les considérations liées aux aspects environnementaux des travaux, services ou fournitures achetés.

25. L’article 84 prévoit que l’implantation de nouvelles installations de production d’électricité utilisant l’énergie mécanique du vent soumises à autorisation environnementale peut être subordonnée à la prise en charge par son bénéficiaire de l’acquisition, de l’installation, de la mise en service et de la maintenance d’équipements destinés à compenser la gêne résultant de cette implantation pour le fonctionnement des ouvrages et installations du ministère de la défense. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 22 du projet de loi initial qui prévoyait la fixation d’objectifs régionaux de développement des énergies renouvelables.

26. L’article 102 autorise, à titre exceptionnel et par dérogation à la loi du 3 janvier 1986 mentionnée ci-dessus, l’installation d’ouvrages de production d’électricité à partir de l’énergie radiative du soleil sur certaines friches. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, de l’article 22 du projet de loi initial ou avec son article 24 qui prévoyait le renforcement de l’obligation d’installer des systèmes de production d’énergies renouvelables ou des toitures végétalisées sur certaines surfaces commerciales et entrepôts.

27. L’article 105 permet aux acteurs fournissant des services de distribution de carburants alternatifs d’accéder à certaines données des véhicules terrestres à moteur équipés de moyens de communication. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 25 du projet de loi initial dont l’objet était de préciser la trajectoire de réduction des émissions de dioxyde de carbone des voitures appartenant à des particuliers.

28. L’article 152 prévoit l’absence de solidarité juridique des cotraitants dans certains marchés privés de travaux et prestations de services, sauf exigence contraire du client. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 44 du projet de loi initial instaurant une obligation de faire réaliser un projet de plan pluriannuel de travaux dans l’ensemble des copropriétés.

29. L’article 161 prévoit un nouveau motif de résiliation du contrat de bail à l’initiative du bailleur tenant à la réalisation de travaux d’économie d’énergie. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 42 du projet de loi initial modifiant les critères relatifs à la décence des logements.

30. L’article 168 ouvre la possibilité aux communes de créer, sur tout le territoire, des périmètres de ravalement obligatoire des bâtiments sans arrêté préfectoral préalable. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 41 du projet de loi initial, relatif aux loyers de certains logements fortement consommateurs d’énergie, ni avec celles, précitées, des articles 42 et 44 du projet de loi initial.

31. L’article 195 ratifie trois ordonnances comportant des mesures de portée générale en matière d’aménagement et d’urbanisme, relatives respectivement au régime juridique du schéma d’aménagement régional, à la modernisation des schémas de cohérence territoriale et à la rationalisation de la hiérarchie des normes applicables aux documents d’urbanisme. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 49 du projet de loi initial qui avait pour objet d’agir contre l’artificialisation des sols.

32. L’article 204 soumet les cartes communales à une évaluation périodique simplifiée. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, de l’article 49 du projet de loi initial.

33. L’article 221 modifie certaines règles de majorité applicables à la modification des documents de lotissement. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 48 intégrant l’objectif de réduction de l’artificialisation des sols au sein des principes généraux du droit de l’urbanisme, ni avec celles, précitées, de l’article 49 du projet de loi initial.

34. L’article 235 modifie diverses dispositions relatives à l’aliénation, au maintien de la continuité et à l’entretien des chemins ruraux. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec celles, précitées, des articles 48 et 49 du projet de loi initial.

35. L’article 255 est relatif à la tarification sociale de la restauration scolaire. Introduites en première lecture, ces dispositions ne présentent pas de lien, même indirect, avec l’article 59 du projet de loi initial, relatif à la possibilité de proposer le choix d’un menu végétarien dans la restauration collective relevant de certaines collectivités territoriales, ni avec son article 60 relatif à l’amélioration de la qualité des repas proposés dans certains services de restauration collective.

36. Ces dispositions ne présentent pas non plus de lien, même indirect, avec aucune autre des dispositions qui figuraient dans le projet de loi déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale.

37. Sans que le Conseil constitutionnel ne préjuge de la conformité du contenu de ces dispositions aux autres exigences constitutionnelles, il y a lieu de constater que, adoptées selon une procédure contraire à la Constitution, elles lui sont donc contraires.

– Sur les autres dispositions :

38. Le Conseil constitutionnel n’a soulevé d’office aucune autre question de conformité à la Constitution et ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans la présente décision.

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL DÉCIDE :

Article 1er. – Sont contraires à la Constitution les dispositions suivantes de la loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets :

  • les mots « ainsi qu’en matière de traçabilité de l’étain, du tungstène et du tantale » figurant au b du 4 ° du paragraphe I de l’article 81 ;
  • le mot « notamment » figurant au 3 ° de l’article 173 ;
  • les articles 16, 34, 38, 84, 102, 105, 152, 161, 168, 195, 204, 221, 235 et 255.

Article 2. – Le premier alinéa du paragraphe V de l’article L. 752-6 du code de commerce, dans sa rédaction résultant de l’article 215 de la loi déférée, est conforme à la Constitution.

Article 3. – Cette décision sera publiée au Journal officiel de la République française.

Jugé par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 13 août 2021, où siégeaient : M. Laurent FABIUS, Président, Mme Claire BAZY MALAURIE, M. Alain JUPPÉ, Mmes Dominique LOTTIN, Corinne LUQUIENS, Nicole MAESTRACCI, MM. Jacques MÉZARD, François PILLET et Michel PINAULT.

Rendu public le 13 août 2021.

ECLI : FR : CC : 2021 : 2021.825.DC