Illégalité pour incompatibilité avec le SDAGE : nouvelle illustration (TA de Grenoble) de la rigueur croissante des juges

Nos blogs ont souvent traité de la question de l’illégalité de tel ou tel acte administratif pour incompatibilité avec le SDAGE ou avec le SAGE :

Le cadre a globalement été affiné en ces domaines par deux arrêts assez récents du Conseil d’Etat  (21 novembre 2018, n° 408175 ; 11 mars 2020, n° 422704) et une décision du TA de Grenoble, rendue hier, illustre encore ce régime. 

Le juge, schématiquement, impose que l’autorité administrative ait bien recherché dans le cadre d’une analyse globale à l’échelle du territoire pertinent, d’une contrariété avec les objectifs du schéma, compte tenu des orientations et de leur degré de précision.

Les décisions administratives prises dans le domaine de l’eau, dont celles prises au titre de la police de l’eau en application des articles L. 214-1 et suivants du même code, sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et avec le plan d’aménagement et de gestion durable du schéma d’aménagement et de gestion des eaux (SAGE).

Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque orientation ou objectif particulier.

L’appréciation de cette compatibilité doit se faire d’une manière globale, « sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque orientation ou objectif particulier». 

Le juge spécifie que ce travail d’étude de non contrariété, à prendre globalement donc, doit être fait, au sein des prescriptions du schéma, « compte tenu des orientations et de leur degré de précision » : et pourtant la vocation d’un SDAGE n’est pas d’être précis à un niveau opérationnel (de même qu’un SCOT serait légalement vicié s’il s’aventurait à être détaillé à la parcelle près). Disons qu’une porte est ouverte en faveur de SDAGE ponctuellement très précis, sans que l’on sache encore précisément ce que le juge en fera.

Dans la décision précitée de 2020, le Conseil d’Etat posait qu’en revanche, les décisions administratives prises au titre de la police de l’eau en application des articles L. 214-1 et suivants sont soumises à une obligation de conformité au règlement du SAGE et à ses documents cartographiques, dès lors que les installations, ouvrages, travaux et activités en cause sont situés sur un territoire couvert par un tel document.

DONC :

  • rapport simple de compatibilité pour le SDAGE et pour le plan d’aménagement et de gestion durable du SAGE, à appréhender globalement (« , dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle du territoire pertinent pour apprécier les effets du projet sur la gestion des eaux, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs et les orientations fixés par le schéma, en tenant compte de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard chaque orientation ou objectif particulier ») pour ce qui est des décisions administratives prises dans le domaine de l’eau, dont celles prises au titre de la police de l’eau en application des articles L. 214-1 et suivants du même code.
  • obligation de conformité, en revanche, pour les décisions administratives prises au titre de la police de l’eau en application des articles L. 214-1 et suivantsdès lors que les installations, ouvrages, travaux et activités en cause sont situés sur un territoire couvert par un SAGE. Ce n’est pas réellement révolutionnaire au regard des formulations des articles L. 214-2, L. 212-5-2 et R. 214-1 du Code de l’environnement, mais qui va mieux en le disant.

SOIT au total la représentation graphique suivante :

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 Or, voici qu’une décision du TA de Grenoble vient d’illustrer ce contrôle, avec une censure à la clef, dans le domaine désormais bien balisé des arrêtés police de l’eau / IOTA. Ce tribunal a donc, hier, annulé l’arrêté du préfet de l’Isère du 19 décembre 2018 portant autorisation unique au titre de la loi sur l’eau, autorisation de défrichement et dérogation aux interdictions d’atteinte aux espèces protégées relatif au projet INSPIRA-ZAC de la zone industrialo-portuaire de Salaise-sur-Sanne et de Sablons.Il a estimé que le projet n’était pas compatible avec les objectifs et les orientations du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée compte tenu des nouveaux besoins en eau générés par ce projet d’extension et du déficit quantitatif en eau de la nappe alluviale du Rhône court-circuité de la plaine de Péage de Roussillon. Le TA commence par reprendre la règle de principe sur ce rapport de compatibilité et sur l’office du juge à ce stade : 

« 3. […]  les schémas directeurs d’aménagement et de gestion des eaux doivent se borner à fixer des orientations et des objectifs, ces derniers pouvant être, en partie, exprimés sous forme quantitative. Les autorisations délivrées au titre de la législation de l’eau sont soumises à une simple obligation de compatibilité avec ces orientations et objectifs. Pour apprécier cette compatibilité, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire couvert, si l’autorisation ne contrarie pas les objectifs qu’impose le schéma, compte tenu des orientations adoptées et de leur degré de précision, sans rechercher l’adéquation de l’autorisation au regard de chaque disposition ou objectif particulier. »

Mais dans l’application en l’espèce, on voit bien que le contrôle du juge se fait désormais de plus en plus strict :

4. Le SDAGE Rhône-méditerranée 2016-2021 approuvé par arrêté du 3 décembre 2015 comporte une orientation fondamentale 2, dénommée « concrétiser la mise en œuvre du principe de non dégradation des milieux aquatiques » et une orientation fondamentale 7 intitulée « atteindre l’équilibre quantitatif en améliorant le partage de la ressource en eau et en anticipant l’avenir ». Cette dernière orientation prévoit notamment de « rendre compatibles les politiques d’aménagement du territoire et les usages avec la disponibilité de la ressource en eau ». Elle prévoit qu’une urbanisation nouvelle ne peut être planifiée sans avoir vérifié au préalable la disponibilité suffisante de la ressource en eau et d’une manière générale que les acteurs économiques et de l’aménagement du territoire, notamment les collectivités, prennent en compte la disponibilité de la ressource et son évolution prévisible dans les projets de développement.

5. Le projet INSPIRA a pour objet d’étendre la zone industrialo-portuaire existante sur une superficie de 336 hectares pour une nouvelle surface à aménager de 221 hectares. Ce site se situe a proximité du secteur de l’Ile de la Platière, qui constitue l’une des dernières grandes zones humides relictuelles de la vallée du Rhône, présentant un grand potentiel écologique classée Natura 2000 et réserve naturelle nationale. Il résulte de l’étude d’impact et n’est pas contesté que le territoire de la nappe alluviale du Rhône court-circuité de la plaine de Péage de Roussillon est classé en déficit quantitatif par le SDAGE Rhône-Méditerranée. Il est indiqué que l’aménagement par la compagnie nationale du Rhône en 1977 du canal de dérivation du Rhône et les prélèvements d’eau génèrent un abaissement localisé mais permanent du niveau de la nappe mettant sérieusement en péril sa pérennité. Or, il résulte de la page 111 du fascicule 3 de l’étude d’impact que les nouveaux besoins en eau liés au projet INSPIRA sont évalués à 80 000 m3/jour. L’étude d’impact jointe au dossier de demande a été examinée par la mission régionale d’autorité environnementale (MRAE) dont l’avis rendu le 20 février 2018 relève que si les besoins en eau sont clairement identifiés, la nature des prélèvements devant permettre de les satisfaire ainsi que les ressources superficielles ou souterraines concernées ne sont pas identifiées dans le dossier et recommande d’envisager les impacts potentiels des pistes susceptibles d’être mobilisés pour satisfaire les besoins en eau sans aggraver le déficit de la nappe du Rhône. Si le préfet de l’Isère a, dans l’article 9 de l’arrêté contesté, interdit tout nouveau prélèvement brut direct dans la nappe du Rhône court-circuité et limiter les prélèvements indirects via le réseau d’eau potable existant à 2 000 m3/jour pour les usages non domestiques et enfin prescrit également de compenser ses prélèvements indirects en restituant à la nappe du Rhône court-circuité les volumes prélevés, il n’est pas établi que ces mesures sont de nature à répondre à l’ensemble des besoins en eau des nouvelles entreprises à caractère industriel consommatrice d’eau qui viendront s’implanter sur le site. En outre, l’incidence de ces prélèvements nécessaires au fonctionnement des activités industrielles envisagées n’est pas suffisamment étudiées pour connaitre leur impact et l’opportunité de telles mesures à long terme sur les eaux alors que le SDAGE prévoit également une orientation fondamentale 0 « s’adapter aux effets du changement climatique » et une orientation fondamentale 4 « renforcer la gestion de l’eau par bassin versant et assurer la cohérence entre aménagement du territoire et gestion de l’eau ».

6. Dans ces conditions, et alors même que le préfet de l’Isère a restreint le prélèvement en eau dans l’autorisation litigieuse et prescrit à la SPL Isère aménagement d’intégrer dans le cahier des charges de cession et location des terrains aménagés un critère relatif à l’usage de l’eau, le projet par son ampleur, les besoins en eau qu’il génère et par l’absence d’éléments sur l’opportunité et l’impact des restrictions prévues par le préfet de l’Isère, n’est pas compatible avec les objectifs et les orientations du schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux 2016-2021 du bassin Rhône-Méditerranée. Ainsi, l’association requérante est fondée à demander l’annulation de l’arrêté du préfet de l’Isère du 19 décembre 2018 »

Source : TA Grenoble, 4 mai 2021, n°1902805