Loi « patrimoine sensoriel » : le bruit et l’odeur… [VIDEO et ARTICLE]

La loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 définit et protège le patrimoine sensoriel des campagnes françaises.

Voici une courte présentation de ce texte en article et en vidéo.

I. Courte (3mn13) vidéo présentée par Me Eric Landot 

II. Bref article 

Certes ce texte est-il pour l’essentiel symbolique (A), même si nul ne conteste l’importance de tels symboles. Mais ce texte s’avère aussi opérationnel pour ce qui relève , au contentieux, des troubles de voisinage, mais sur ce point la réforme devra(it) être complétée (B). Cette loi est-elle moins purement rurale qu’il n’y paraît (C) ? Une réponse négative semble être à apporter à cette question. Notons, enfin, au delà de ces effets contentieux, ses effets patrimoniaux et urbanistiques (D), avec un rôle propre pour les collectivités territoriales.

II.A. Un texte pour partie symbolique

Chants de coq, cloches d’églises, senteurs du foin ou des coupes d’arbres, l’odeur de la pluie selon les températures et les terroirs…. nous avons tous un lien intime, profond, avec ces souvenirs sensoriels.

Alors on peut la moquer ou la célébrer, cette nouvelle loi sur le patrimoine sensoriel des campagnes françaises (loi n° 2021-85 du 29 janvier 2021 visant à définir et protéger le patrimoine sensoriel des campagnes françaises ; NOR : MICX2003330L)… mais nul doute que les thèmes qu’elle évoque sont importants en réalité pour chacun d’entre nous, au moins pour ceux qui dont la vie a été pavée d’autres chemins que ceux de l’asphalte.

Citons un extrait de l’introduction d’un rapport de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat, à ce sujet, après un passage abordant les conflits ruraux sur ces bruits et ces odeurs :

« Pittoresques aux premiers abords, ces affaires n’en mobilisent pas moins les élus locaux qui sont régulièrement interpellés et appelés à jouer un rôle de médiateur. Surtout, ces litiges traduisent une méconnaissance de la ruralité et in fine, en exacerbant les tensions, remettent en cause le vivre-ensemble.
« Cette proposition de loi tend à intégrer au sein du patrimoine commun de la nation les sons et odeurs caractéristiques des milieux naturels, marins ou terrestres.
« Au-delà de son caractère symbolique, la commission voit dans cette inscription dans le code de l’environnement, ainsi que dans les dispositions de ce texte permettant une meilleure valorisation du patrimoine sensoriel et de l’identité culturelle des territoires ruraux, la définition d’éléments objectifs pouvant utilement soutenir les élus locaux des territoires ruraux dans leurs démarches de pédagogie et de médiation. Ce texte marque une première étape en vue d’une protection renforcée des caractéristiques inhérentes à la ruralité.»

II.B. Un texte opérationnel pour ce qui relève, au contentieux, des troubles anormaux de voisinage, mais sur ce point la réforme devra(it) être complétée

A ce jour, l’article L. 110-1 du Code de l’environnement dispose que :

« I. – Les espaces, ressources et milieux naturels terrestres et marins, les sites, les paysages diurnes et nocturnes, la qualité de l’air, les êtres vivants et la biodiversité font partie du patrimoine commun de la nation. Ce patrimoine génère des services écosystémiques et des valeurs d’usage.

Les processus biologiques, les sols et la géodiversité concourent à la constitution de ce patrimoine. […] »

A compter de demain, ce texte sera complété : après le mot « marin » sont insérés les mots : « les sons et odeurs qui les caractérisent, ».

L’élévation de ces éléments au rang de parties de notre patrimoine n’est pas que symbolique (et de toute manière c’est important les symboles…) : cela devrait en cas de litiges pour troubles anormaux de voisinage (fumier, bruits de cloches…) conduire les juges à prendre en compte ces éléments comme n’étant, sous des limites raisonnables, pas des troubles mais des données à accepter ab initio.

A ce propos , il faudra garder une veille attentive sur ce que deviendra cet article 3 de la loi (justement sur l’appréciation des éléments de ce patrimoine entre bruit et odeur normales à la campagne… et celles qui dépassent le niveau normal de ce qu’est un trouble anormal de voisinage) :

« Article 3

  • « Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport examinant la possibilité d’introduire dans le code civil le principe de la responsabilité de celui qui cause à autrui un trouble anormal de voisinage. Il étudie les critères d’appréciation du caractère anormal de ce trouble, notamment la possibilité de tenir compte de l’environnement.
    La présente loi sera exécutée comme loi de l’Etat. »

`

II.C. Un texte moins purement rural qu’il n’y paraît ? (réponse non)

On notera que le titre de la loi évoque les « campagnes françaises », mais que cette restriction ne se retrouve pas dans la future formulation de cet article du code : mieux encore, le fait que ces nouveaux mots de l’article arrivent après la formule « naturels terrestres et marins » dans cette énumération, conduit à ce que les bruits et les odeurs des villes puissent être considérés comme faisant partie de ce riche patrimoine ! De là à dire que les fumées d’usines ou les « bruits et les odeurs » fustigés par Jacques Chirac en son temps font partie du patrimoine national, il y a un pas que nous nous garderons bien de franchir tout en trouvant ce point un brin piquant…

EN EFFET, l’interprétation selon laquelle ce texte concerne aussi les senteurs urbaines et les bruits des villes ne tiendrait sans doute pas la route en cas de litige (en raison du mot « les » avant « caractérisent », qui renvoit donc auxdits espaces naturels et marins).

II.D. Au delà des effets contentieux, des effets patrimoniaux, certes, mais aussi urbanistiques

Surtout que dès l’article 2 de cette loi, dont le contenu n’est quant à lui pas codifié, on retrouve des mentions spécifiques à la ruralité et au rôle que les territoires pourront avoir :

  • « Article 2
    I. – Les services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, par leurs missions de recherche et d’expertise au service des collectivités locales, de l’Etat et des particuliers, contribuent, dans toutes les composantes du patrimoine, à étudier et qualifier l’identité culturelle des territoires.
    II. – Dans les territoires ruraux, les inventaires menés contribuent à connaître et faire connaître la richesse des patrimoines immobilier et mobilier conservés, leur relation avec le paysage et, dans leur diversité d’expressions et d’usages, les activités, pratiques et savoir-faire agricoles associés.
    III. – Les données documentaires ainsi constituées à des fins de connaissance, de valorisation et d’aménagement du territoire enrichissent la connaissance du patrimoine culturel en général et sont susceptibles de concourir à l’élaboration des documents d’urbanisme.»

Important : on notera le rôle des collectivités, l’usage par celles-ci des données des services régionaux de l’inventaire général du patrimoine culturel, la possible prise en compte pour les documents d’urbanisme (ce qui concrètement peut laisser un peu dubitatif cela dit).