GEMAPI : selon quelles procédures pouvait-on prendre la compétence par anticipation avant 2018 ?

La compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) a une histoire récente, mais déjà riche et chahutée. 

Notamment, le cadre juridique de la prise anticipée de cette compétence par les EPCI n’était pas exempt de débats délicats (I). 

Or, la CAA de Toulouse pose (ce qui pouvait et pourrait encore être discuté) que la prise de compétence anticipée avant 2018, par un EPCI à fiscalité propre, ne pouvait se faire sans l’accord des communes, probablement à la majorité qualifiée de celles-ci, et ce même pour les métropoles — pourtant dotées d’un régime un brin différent — (II). 

I. Rappel du cadre juridique des prises de compétences anticipées de la compétence GEMAPI entre 2014 et 2018, avec les correctifs au fil de l’eau apportés par trois lois, et quelques difficultés, alors, persistantes

La loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique (MAPTAM ou MAPAM), en ses articles 56 et suivants (notamment 59) prévoyait :

•  une entrée en vigueur de la nouvelle compétence gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) et de ses contours techniques (sur les contours techniques de cette nouvelle compétence) au 1er janvier 2016 (date d’entrée en vigueur des I et II de l’article 56 de cette loi). Cette date reportée à 2018 par la loi NOTRe (la première mouture du projet de loi conduisant à la loi MAPTAM envisageait carrément la date du 1erjanvier 2015).

• une intercommunalisation de la compétence GEMAPI au 1er janvier 2018 (date qui n’a pas changé avec la loi NOTRe)

Ce calendrier connaissait cependant une exception car, aux termes du II. de l’article 59 de cette même loi :

 « Toutefois, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mettre en œuvre par anticipation les mêmes I et II.»

Ce régime a été en partie corrigé et aménagé ensuite par l’article 63 de la loi loi n° 2016-1087 du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages.

Au sein de l’article L. 211-7 du code de l’environnement, sur la compétence GEMAPI donc, figurait donc la mention suivante au lendemain de la loi NOTRe :

« Les I et II de l’article 56 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2018.
Toutefois, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mettre en oeuvre par anticipation les mêmes I et II. »

Cela dit, en pratique, cela soulevait de nombreuses difficultés :

  • non application de cette dérogation avant 2016 pour les syndicats mixtes, ce qui bloquait les réorganisations globales que certains voulaient anticiper (une solution consistait à prévoir des statuts de syndicats mixtes à contenus évolutifs fixés par avance combinés à des conventions des articles L. 5214-16-1, L. 5215-27 ou L. 5216-7-1 du CGCT… Cela dit le plus logique était de poser que ce qui était possible des communes et des EPCI à fiscalité propre l’était des structures les regroupant…).
  • difficulté à caler les contours de cette compétence. La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe) y avait certes pour l’essentiel mis bon ordre en distinguant plus nettement les contours de cette compétence, et en séparant les compétences obligatoires (les fameuses missions définies aux 1°, 2°, 5° et 8° du I de l’article L. 211-7 du code de l’environnement) des autres missions, dites « partagées » (même si ce terme donne lieu lui-même à débats), mais demeuraient, et demeurent encore, nombre de débats sur ces points.

N.B. : la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique (MAPTAM ou MAPAM), précitée, permettait, en communautés de communes, que la compétence GEMAPI fut découpée au fil de délibérations d’intérêt communautaire. La loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe ci-après) a modifié l’article L.5214-16 du CGCT et a supprimé le recours aux définitions d’intérêt communautaire en ce domaine de la GEMAPI. Cela soulevait d’ailleurs des difficultés juridiques pour les communautés de communes qui auraient défini cet intérêt communautaire puis voulu continuer à exercer ainsi ces compétences entre 2015 et fin 2017… mais passons. 

En revanche, même après les lois de 2015 et 2016, au moins quatre difficultés persistantes restaient à déplorer (pour partie, mais pour partie seulement, corrigées en 2017) :

  • difficultés (interprétations divergentes) quant à la prise de compétence anticipée de cette compétence par des syndicats. La loi dite « Fesneau Ferrand » du 30 décembre 2017 vint ensuite légiférer sur ce point.
  • il se trouvait une difficulté parfois à faire admettre que, par exemple, des communautés pouvaient en 2017 délibérer pour adhérer à un syndicat avec effet en 2018, date où lesdites communautés allaient de plein droit détenir ladite compétence. Pourtant, une telle faculté répond sans difficulté aux exigences du droit administratif (voir sur la faculté de tels actes différés : CE, 25 juillet 1975, req. n°95849, Lebon p. 854 ; CAA Bordeaux, 21 février 2006, req. n° 02BX01426 ; voir aussi TA Montpellier, 9 octobre 2003, Commune de Ria Sirach et autres, req. n° 03- 4761).
    Là encore, la loi dite « Fesneau Ferrand » du 30 décembre 2017 vint ensuite légiférer sur ce point.
  • se posait la question de l’application de ces textes aux métropoles.
    Il a été évoqué ci-avant que la loi MAPTAM prévoyait une intercommunalisation de la compétence GEMAPI en 2018, mais avec une entrée en vigueur en 2016 de cette nouvelle compétence (possiblement communale donc de 2016 à 2018). Il a été également signalé que la loi NOTRe a reporté cette échéance de 2016 à 2018. Ce report à 2018 a été opéré par l’article 76 de la loi Notre n° 2015-991 du 7 août 2015, modifiant l’article 59, II, de la loi MAPAM du 27 janvier 2014. Le II de cet article 59 était donc ainsi rédigé au lendemain de la loi NOTRe :

II. – Les I et II de l’article 56 de la présente loi entrent en vigueur le 1er janvier 2018.
Toutefois, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mettre en œuvre par anticipation les mêmes I et II.

Or, si l’on se reportait aux I et II de cet article 56 de la loi MAPAM, force était de constater qu’il y était question des communautés de communes, des communautés d’agglomération, des communautés urbaines… mais de métropoles, il n’était point question. Et pour cause, ces Métropoles se sont vues attribuer la compétence Gemapi par l’article L. 5217-1 du CGCT issu de l’article 43 — et non 56 — de cette même loi.
Les Métropoles ont donc devancé l’appel sauf peut-être celles d’Aix-Marseille-Provence et du Grand Paris (pour aborder un sujet qui a donné lieu à quelques débats juridiques), mais avec l’article relatif au contenu de la compétence GEMAPI qui ne rentrait, lui, en vigueur qu’à compter du 1er janvier 2018 ce qui n’était pas sans poser quelques autres incertitudes juridiques (cela vidait-il de son contenu le transfert de la compétence avant 2018 ? ou cela valait-il prise anticipée de la compétence comme autorisé par la loi ? ).
OUI mais, aux termes de l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable dès l’entrée en vigueur, le 29 janvier 2014, de la loi susvisée du 27 janvier 2014 :

« I. – La métropole exerce de plein droit, en lieu et place des communes membres, les compétences suivantes : (…) 6° En matière de protection et de mise en valeur de l’environnement et de politique du cadre de vie : (…) j) Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dans les conditions prévues à l’article L. 211-7 du code de l’environnement ; (…) « .

N’était-ce pas en raison de ce texte qu’il n’y avait pas de texte clair sur la prise de compétence anticipée ? Parce que la compétence existait pour les métropoles ab initio à charge pour celles-ci de prendre la compétence (comme le pouvait une commune par exemple en 2015 ou 2016 ou 2017, tant que l’on n’avait pas l’intercommunalisation de 2018 ?.

  • En quatrième et dernier lieu, se posait également la difficulté consistant à pouvoir enchaîner des adhésions de syndicats mixtes, notamment ouverts.
    En effet, le Conseil d’État avait posé en 2005 qu’aucun régime ne permettait alors à un syndicat mixte d’adhérer à un autre syndicat mixte, que ce dernier soit ouvert ou fermé (CE, 5 janvier 2005, SEN et SPDE, req. n° 265938 et 265948), sauf sans doute en cas d’adhésion dissolution (CE, 18 mars 2005, SDE35, req. n° 255418) si l’on cherche à rendre cohérentes ces deux décisions de 2005… Une loi de décembre 2006 a réglé ensuite ces difficultés, modifiant l’article L. 5711-4 du CGCT. Cet article, dans sa version antérieure à décembre 2017, posait qu’un syndicat mixte fermé peut adhérer à un autre syndicat mixte, que celui-ci soit ouvert ou fermé (avec certains cas de dissolution adhésion prévus par cet article), dans certains domaines :
    « En matière de gestion de l’eau et des cours d’eau, d’alimentation en eau potable, d’assainissement collectif ou non collectif, de collecte ou de traitement des déchets ménagers et assimilés, ou de distribution d’électricité ou de gaz naturel ou de réseaux et services locaux de communications électronique ».
    N.B. :  voir aussi pour une dérogation à la règle de l’arrêt SEN du 5 janvier 2005 précité, la règle de l’article L. 5731-3 du CGCT.
    Or, nul doute que la compétence GEMAPI dépasse la notion, d’ailleurs datée, de « gestion de l’eau et des cours d’eau », sauf à y voir une interprétation incluant les deux cycles de l’eau lato sensu, ce qui serait une interprétation optimiste, le principe étant celui d’une interprétation restrictive des compétences dévolues à des structures intercommunales et, plus largement, des compétences dévolues à tout établissement public administratif.
    Sources : sur le principe d’une interprétation restrictive du principe de spécialité des établissements publics administratifs : CE, 28 septembre 1984, Conseil régional de l’ordre des architectes de Bourgogne, req. n° 36469 ; CAA Paris, 9 août 2000, EPAD, n° 00PA00870, Droit administratif, mai 2001, n° 112 ; CAA Marseille, 5 octobre 2004, SAN Ouest Provence, n° 04MA1508 ; CAA Douai, 4 mars 2001, Communauté d’agglomération « Amiens métropole » et Commune de Longueau, n° 02DA00848 ; CAA Paris, 23 novembre 2004, Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris pour l’électricité et les réseaux de communication, n° 00PA3920.
    Là encore, la loi dite « Fesneau Ferrand » du 30 décembre 2017 vint ensuite légiférer sur ce point.

II. La CAA de Toulouse pose (ce qui pouvait et pourrait encore être discuté) que la prise de compétence anticipée avant 2018, par un EPCI à fiscalité propre, ne pouvait se faire sans l’accord des communes, sans doute à la majorité qualifiée, et ce même pour les métropoles qui avaient un régime pourtant un peu différent.  

En octobre 2016, après la loi NOTRe donc, le conseil de Toulouse Métropole a décidé :

  • d’une part, de mettre en oeuvre par anticipation l’application de l’article 56 II de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014, relatif à la compétence GEMAPI  »  « , à compter du 1er janvier 2017
  • et d’autre part, de demander au préfet de la Haute-Garonne de tirer toutes les conséquences de cette mise en oeuvre anticipée (statuts, retraits de syndicats…).

Le préfet de la Haute-Garonne a rejeté ces demandes.

Le TA a donné raison au préfet (par un jugement n°1701907 et 1701908 du 20 décembre 2019). Appel fut interjeté et voici l’affaire devant la toute nouvelle CAA de Toulouse (voir ici).

 Crédits photographiques : Guillaume Groult (sur Unsplash ; photo au cadrage modifié pour correspondre à notre mise en page)

La position de la Métropole avait l’avantage pour elle de la simplicité. Reprenons ce qu’en dit la CAA :

« 4. Les requérantes exposent que la compétence  » gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations  » appartenait à Toulouse Métropole depuis sa création le 1er janvier 2015, en application des dispositions de l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales et des statuts de la métropole et que cette dernière pouvait seule  » activer  » cette compétence en application des dispositions précitées du II de l’article 59 de la loi du 27 janvier 2014.»

DONC la métropole de Toulouse :

  • posait quelle avait la compétence ab initio aux termes mêmes de l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version applicable dès l’entrée en vigueur, le 29 janvier 2014, de la loi susvisée du 27 janvier 2014 (ce qui est incontestable), avec la formulation de la loi que voici « « j) Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, dans les conditions prévues à l’article L. 211-7 du code de l’environnement ; »
  • et que donc la mise en oeuvre du II de l’article 59 sur la prise de compétence anticipée (« Toutefois, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mettre en œuvre par anticipation les mêmes I et II »)… passait par un simple acte unilatéral de la métropole (« dans les conditions prévues à l’article L. 211-7 du code de l’environnement »). 

La CAA répond à cette argumentation comme suit :

« 5. Toutefois, ainsi que l’ont relevé les premiers juges, cette compétence ne pouvait être mise en oeuvre avant l’entrée en vigueur, le 1er janvier 2018, du nouvel article L. 211-7 du code de l’environnement, issu de l’article 56 de la loi du 27 janvier 2014, qui a défini la consistance d’une telle compétence et décidé qu’elle incombait aux communes, sauf en cas de mise en oeuvre anticipée par application du second alinéa du II de l’article 59 de la même loi. A cet égard, ce second alinéa dispose expressément que les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale peuvent mettre en oeuvre par anticipation le II de l’article 56 de la même loi. Par cette disposition et à la supposer applicable aux métropoles, le législateur, privilégiant une initiative conjointe des communes et de leurs groupements, n’a ainsi pas entendu permettre aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de décider seuls et indépendamment de toute intervention des communes, d’exercer par anticipation la compétence  » gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations « , quand bien même cette compétence constitue, depuis leur création, une compétence obligatoire des métropoles en application de l’article L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, dans sa version issue de l’article 43 de la loi du 27 janvier 2014. Par suite, le préfet de la Haute-Garonne n’a pas commis d’erreur de droit en retenant, par les décisions attaquées, que la seule délibération du conseil de la métropole était insuffisante, en l’absence de délibérations de ses communes membres, pour lui permettre de prononcer une prise de compétence  » gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations  » anticipée et il était, pour ce seul motif, fondé à rejeter les demandes dont il était saisi. »

De ceci, nous pourrons retenir que la CAA :

  • ne distingue pas vraiment la date d’intercommunalisation de la compétence de la date d’activation de la compétence GEMAPIenne, ce qui pourrait donner lieu à débats mais n’est pas un point bloquant pour la résolution du litige en l’espèce de toute manière
  • a bien noté qu’existait un débat sur l’application du régime de l’article 56, II, de la loi du 27 janvier 2014 modifiée, aux métropoles (« Par cette disposition et à la supposer applicable aux métropoles, le législateur […] »). MAIS justement telle n’était pas l’argumentation de la métropole : il ne s’agissait pas pour elle de modifier ses statuts (elle avait déjà la compétence dans ses statuts en raison des formulations de la loi) mais d’appliquer ce régime.
  • pose que cette prise anticipée de compétence pour une métropole passe par « une initiative conjointe des communes et de leurs groupements »

Sur ce dernier point, l’interprétation de la CAA n’allait pas obligatoirement de soi. En effet, avant 2018, une commune pouvait elle aussi prendre la compétence GEMAPI, ce qui ouvrait à une autre interprétation de la formation « Toutefois, les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre peuvent, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, mettre en œuvre par anticipation les mêmes I et II » dans la loi… même si en ce cas un « ou » dans la formation du législateur eût résolu les débats à ce sujet.

Toujours ce problème du « et » … parfois indiquant des critères cumulatifs et parfois des éléments alternatifs dans notre belle langue. Sic.

De manière un peu lapidaire, la CAA balaye l’argumentation de la Métropole en posant que pour tous les EPCI, métropoles ou autres, la prise anticipée de cette compétence devait en passer par « une initiative conjointe des communes et de leurs groupements »… formule qui ne nous éclaire pas sur le point de savoir si cela devait passer par un accord unanime (et théorique) de tout ce petit monde… ou par une extension de compétence de l’article L. 5211-17 du CGCT (plus logique mais moins en concordance avec les formulations des lois successives, notamment dans le cas des métropoles ?).

Voici cette décision d’un vif intérêt historico-juridique mais qui n’éclairera que peu les débats Gemapiens encore en cours :

CAA de Toulouse, 19 juillet 2022, n° 20TL20601