Droit de préemption « ressources en eau » : plus que 2 semaines pour donner son avis sur le projet de décret

La loi engagement et proximité avait prévu un nouveau régime de droit de preemption, corrigé à la marge par la loi 3DS (I). Après un projet de décret en 2000, qui n’a finalement pas vu le jour (II), voici qu’un nouveau projet de décret est mis en consultation publique (III). 

I. Rappel de ce qu’avait prévu la loi engagement et proximité sur ce point, mais aussi des modifications faites sur ce point par la loi 3DS

L’article 118 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique avait créé un nouveau « droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine ».

Cet article commençait par modifier l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme afin d’exclure du régime des droits de préemption classiques les actions visant à « préserver la qualité de la ressource en eau ». Et pour cause : car cet article crée ensuite dans ce même code de l’urbanisme un nouveau régime, un nouveau « droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine» (art. L. 218-1 et suiv., nouveaux, du Code de l’urbanisme).

Puis ceci a été modifié à la marge par l’article 191 de la loi 3DS (loi 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation,
la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale ; NOR : TERB2105196L).

Voyons déjà ce texte dans sa partie législative. 

I.A. Où ?

L’institution de ce nouveau droit de préemption porte sur « des surfaces agricoles » et doit porter sur « un territoire délimité en tout ou partie dans l’aire d’alimentation de captages utilisés pour l’alimentation en eau destinée à la consommation humaine ».

I.B. Dans quel but ?

Ce droit de préemption a pour objectif de préserver la qualité de la ressource en eau dans laquelle est effectué le prélèvement. Toutes les préemptions devront donc strictement porter sur cet objet et ne pas s’étendre à d’autres motifs.

Dans le même sens, l’arrêté « instaurant le droit de préemption » doit préciser « la zone sur laquelle il s’applique. »

I.C. Qui en prend l’initiative ? Qui l’instaure ?

Ce droit de préemption est institué par « l’autorité administrative de l’État » par arrêté après avis :

  • des communes, des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme [on pourrait croire que les communes n’ont leur avis à donner que si elles sont compétentes en PLU mais cette interprétation, certes possible, n’est pas la plus prudente…]
  • des chambres d’agriculture
  • et des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural concernés par la délimitation des zones de préemption. 

Mais l’initiative doit en revenir aux communes ou groupements de communes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau en application de l’article L. 2224-7 du CGCT.

La loi 3DS a bien (et enfin) précisé que ce régime peut être aussi instauré et mis en oeuvre par un syndicat mixte. 

I.D. Qui est titulaire de ce droit de préemption ?

Ce droit de préemption appartient à la commune ou au groupement de communes exerçant la compétence de contribution à la préservation de la ressource en eau prévue à l’article L. 2224-7 du CGCT.

Il est important pour les régies personnalisées de noter que la loi 3DS a ajouté à ce régime que :

« Lorsque tout ou partie du prélèvement en eau utilisée pour l’alimentation en eau potable est confié à un établissement public local mentionné à l’article L. 2221-10 du code général des collectivités territoriales, le titulaire du droit de préemption peut lui déléguer ce droit. Cette délégation peut porter sur tout ou partie du territoire concerné par le droit de préemption. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine de l’établissement public local délégataire.
« Le titulaire du droit de préemption informe l’autorité administrative de l’Etat compétente de la délégation du droit de préemption. » ;

I.E. Et qu’en feront-elles, de ces biens, ces structures compétentes pour la préservation de la ressource en eau ?

Les biens acquis devaient, au lendemain de la loi engagement et proximité, cumulativement :

    • être intégrés dans le domaine privé de la collectivité territoriale ou de l’établissement public qui les a acquis.
    • être « utilisés qu’en vue d’une exploitation agricole » (voir ci-après). Celle-ci doit être compatible avec l’objectif de préservation de la ressource en eau. 

Sur ce dernier point, la plupart des collectivités pourront avoir interêt à y conclure un bail agricole environnemental (plus précisément, régime de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime).

Mais le texte était étrangement rédigé. Il ne permettait d’utilisation qu’agricole.

Ce texte était clair en ce qu’il interdisait l’usage non agricole. Certes.

Mais il demeurait obscur en ce que se posait la question de savoir si l’on pourrait, ou non, NE PAS L’UTILISER (au profit par exemple de pratiques de « ré-ensauvagement » ou au minimum de renaturation.

MAIS la loi 3DS a modifié ce texte et désormais le bail rural n’est clairement qu’une possibilité, encore faut-il que ce soit avec clauses environnementales :

« « Les biens acquis peuvent être mis à bail. Les baux nouveaux comportent des clauses environnementales prévues au troisième alinéa de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime, de manière à garantir la préservation de la ressource en eau. Lorsque le bien acquis est déjà grevé d’un bail rural, le titulaire du droit de préemption ou le délégataire est tenu de proposer au preneur la modification du bail afin d’y introduire de telles clauses environnementales. Celles-ci sont introduites, au plus tard, lors du renouvellement du bail.
« Les biens acquis peuvent être cédés de gré à gré à des personnes publiques ou privées, à la condition que l’acquéreur consente à la signature d’un contrat portant obligations réelles environnementales, au sens de l’article L. 132-3 du code de l’environnement. Ce contrat prévoit, au minimum, les mesures garantissant la préservation de la ressource en eau. Il est conclu, pour une durée ne pouvant excéder quatre-vingt-dix-neuf ans, entre l’acquéreur et le titulaire ou le délégataire du droit de préemption et est annexé à l’acte de vente. » ;»

Il est d’ailleurs à noter (art. L. 218-12 du Code de l’urbanisme) que la commune ou le groupement de communes compétent pour contribuer à la préservation de la ressource doit ouvrir, dès institution d’une zone de préemption, un registre sur lequel sont :

    • d’une part, inscrites les acquisitions réalisées par exercice du droit de préemption
    • d’autre part, mentionnée l’utilisation effective des biens ainsi acquis.

I.F. Quels contrats pourra-t-on envisager pour l’exploitation de sur ces parcelles ?

Naturellement, ces biens acquis pourront donner lieu à baux ruraux ou être concédés temporairement à des personnes publiques ou privées, à la condition que ces personnes les utilisent aux fins prescrites par un cahier des charges, qui devra prévoir les mesures nécessaires à la préservation de la ressource en eau et qui devra être annexé à l’acte de vente, de location ou de concession temporaire.

En fait, il s’agira donc le plus souvent, sauf gestion en régie par exemple via des maraîchages bio pour la restauration scolaire comme des communes commencent à le développer, de recourir au régime de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime.

En effet, ce texte permet, dans sa mouture issue d’une loi de 2014, d’introduire des clauses environnementales lors de la conclusion ou du renouvellement des baux ruraux : et même ces clauses environnementales sont-elles désormais obligatoires en pareil cas depuis la loi 3DS. 

Cela dit, il ne s’agira pas de faire n’importe quel contrat sur mesure. Les baux du domaine privé de l’État, des collectivités territoriales, de leurs groupements ainsi que des établissements publics, lorsqu’ils portent sur des biens ruraux sont soumis au statut du fermage (article L. 415-11 du code rural et de la pêche maritime).

Attention : dans un arrêt en date du 16 octobre 2013, la Cour de cassation affirme que « la présence de clauses exorbitantes de droit commun dans un bail rural n’a pas pour effet de conférer un caractère administratif à la convention » (Cass.civ.1ère, 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-25310). Combiné avec l’article L. 415-11 du code rural et de la pêche maritime, il en ressort nettement que les collectivités ne peuvent tenter de basculer ces contrats dans le régime du droit public classique…

I.G. Et si une parcelle se trouve à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation en eau potable ?

Lorsqu’une parcelle est située à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation de captages d’eau potable relevant de communes ou de groupements de communes différents, l’ordre de priorité d’exercice de ces droits de préemption est fixé « par l’autorité administrative », selon le code (i.e. l’Etat).

I.H. Ce droit de préemption prime-t-il sur les autres ?

Loin s’en faut, puisqu’au contraire la nouvelle loi dispose que les :

«  droits de préemption prévus aux articles L. 211-1, L. 212-2, L. 215-1 et L. 215-2 priment les droits de préemption prévus à l’article L. 218-1. 

I.i. Quelles sont les aliénations soumises à ce nouveau droit de préemption ?

Ce nouveau droit de préemption est moins vaste que celui des SAFER. Il est limité aux « aliénations mentionnées aux premier, deuxième, cinquième, sixième et septième alinéas de l’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime ».

Ce qui  :

  • inclut les à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole à quelques exceptions près.
  • inclut la plupart des bâtiments d’habitation faisant partie d’une exploitation agricole ou qui ont été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des cinq dernières années qui ont précédé l’aliénation, pour leur rendre un usage agricole (quitte à conclure ensuite un bail environnemental par exemple)
  • n’inclut pas les bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles qui ont été utilisés pour l’exploitation de cultures marines exigeant la proximité immédiate de l’eau, dans le but de les affecter de nouveau à l’exploitation de telles cultures marines.
  • n’inclut pas l’aliénation à titre onéreux de bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, et ce pour rendre à ces bâtiments un usage agricole. Cela dit, cette limitation est elle même d’une assez grande complexité.
  • inclut, semble-t-il, les terrains nus les terrains ne supportant que des friches, des ruines ou des installations temporaires, occupations ou équipements qui ne sont pas de nature à compromettre définitivement une vocation agricole.
  • inclut, semble-t-il, les terrains à vocation agricole avec droits à paiement découplés créés au titre de la politique agricole commune (régime complexe avec rétrocessions partielles).
  • semble inclure l’aliénation à titre onéreux de l’usufruit ou de la nue-propriété des biens susmentionnés.

Attention : les exceptions au droit de préemptionposées par les articles L. 143-4 et L. 143-6 du code rural et de la pêche maritime s’appliquent aussi à ce nouveau droit de préemption. 

I.J. Ce champ d’action sera-t-il efficace ?

Pas vraiment car de plus en plus, les cessions de biens se font par des cessions de parts de SCI ou autres sociétés… qui ne tombent pas dans le champ de ce droit de préemption.

I.K. Pourra-t-on envisager une préemption partielle ?

Ce droit de préemption peut s’exercer pour acquérir la fraction d’une unité foncière comprise à l’intérieur de la zone de préemption.

Mais, classiquement, dans ce cas, le propriétaire peut exiger que le titulaire du droit de préemption se porte acquéreur de l’ensemble de l’unité foncière.

I.L. Quelles sont les étapes de cette procédure ?

Les articles L. 218-8 à -11, nouveaux, du Code de l’urbanisme prévoient les étapes suivantes :

  • déclaration préalable « adressée par le propriétaire à la commune ou au groupement de communes titulaire du droit de préemption » avec « obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée ou, en cas d’adjudication, l’estimation du bien ou sa mise à prix. Lorsque la contrepartie de l’aliénation fait l’objet d’un paiement en nature, la déclaration doit mentionner le prix d’estimation de cette contrepartie », avec copie à la SAFER.
  • un silence de deux mois vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. Le titulaire de ce droit de préemption peut, dans ce délai de deux mois, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière (la liste des documents susceptibles d’être demandés sera précisée par décret en Conseil d’Etat), avec copie à la SAFER. Le délai de deux mois est suspendu à compter de la réception de cette demande et reprend à compter de la réception des documents demandés par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d’un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption.
  • Lorsqu’il envisage d’acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d’intention d’aliéner au responsable départemental des services fiscaux. Cette déclaration fait l’objet d’une publication et de notifications
  • le reste de la procédure suit à d’infimes détails près le droit usuel, notamment en matière de fixation du prix de préemption.

II. Le projet de décret en 2020 

Une concertation avait été engagée sur un projet de décret :

Dans ces articles, nous avions détaillé le projet. En revoici le contenu en sachant que le consensus n’était pas mûr pour que le décret pût être adopté, d’où la relance dudit projet, d’autant que la loi 3DS changeait la donne entre temps. 

III. Le nouveau projet de décret

Un nouveau projet de décret après concertation avec nombre d’acteurs, dont la FNCCR, a été mis en chantier. 

Voici le texte de présentation :

« Projet de décret relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine.
Le projet de décret relatif au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine précise les conditions d’application des dispositions législatives du chapitre VIII du titre I du livre II du code de l’urbanisme relatives au droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine (issues de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique et modifié par la loi n° 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale, dite loi « 3DS » ).
Afin d’accroître les capacités d’action des communes et groupements de communes en charge du service d’eau potable, ces dispositions permettent à l’autorité administrative d’instaurer, au bénéfice de ceux-ci un droit de préemption des surfaces agricoles sises dans les aires d’alimentation des captages d’eau potable. Ce droit leur permet d’acquérir préférentiellement les terrains sur le périmètre concerné.
Ce droit doit permettre d’accélérer l’installation de pratiques agricoles favorables à la protection de la ressource en eau. Il ne remet pas en cause la destination agricole des terrains préemptés.
Le projet de décret précise la procédure d’instauration du droit de préemption (autorité administrative compétente, composition du dossier de demande, avis sollicités sur la demande, publicité de la décision…). Il propose d’adapter, pour le droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine, les dispositions déjà applicables pour les autres de droits de préemption dont bénéficient les collectivités et leurs groupements.»


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Source : coll. personnelle (Islande 2020)