TEOM et jurisprudence Auchan : enfin est clairement admise, sous de strictes conditions, la prise en compte de certaines dépenses transversales de la collectivité !

TEOM et jurisprudence Auchan : le Conseil d’Etat admet, enfin, très nettement la prise en compte de certaines dépenses « des directions ou services transversaux centraux de la collectivité » (sous réserve d’une solide comptabilité analytique et d’un caractère direct des dépenses prises en compte).

Au bout de 7 ans et demie d’application très stricte de sa jurisprudence Auchan et de son abondante postérité (I), voici en effet que le Conseil d’Etat vient d’admettre sous certaines conditions, de manière enfin claire, la prise en compte d’une  « quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité, calculée au moyen d’une comptabilité analytique permettant d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets » (II)… ce que nous faisions tous sur le terrain mais sans avoir un net blanc seing du juge pour ce faire. Quel soulagement… et surtout, quelle conclusion logique, enfin, et pour une fois positive, à toute cette saga contentieuse !  

I. Rappels généraux sur la jurisprudence AUCHAN et son abondante postérité

Il y a 7 ans, une mini révolution bouleversait le monde des déchets, et cette révolution est loin d’être achevée : cette jurisprudence n’a toujours pas atteint l’âge de raison.

Source : CE, 31 mars 2014, Auchan, n°368111.

Schématiquement, le juge estime :

  • que la TEOM est une ressource dédiée et affectée aux OM et qu’il est interdit d’avoir une TEOM trop excédentaire… ou plus précisément, pour reprendre la formulation du juge, dont le taux ne doit pas « être manifestement disproportionné » par rapport au montant des dépenses « tel qu’il peut être estimé à la date du vote de la délibération fixant ce taux »
  • qu’il doit exercer un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation sur l’équilibre du budget.
  • que loi impose de prendre en compte la notion de « dépense réelle d’investissement », mais sans que soit précisée par le législateur la faculté d’intégrer les provisions, les sommes conservées pour un futur autofinancement dans le cadre d’un plan pluriannuel d’investissement (PPI)
  • qu’il n’est que très peu possible, pour caricaturer ce qui est déjà parfois caricatural au naturel, de prendre en compte des dépenses indirectes portées par le budget général (comme on l’impose inversement, pourtant, en matière scolaire pour le forfait élève aux écoles privées !)
  • qu’il n’est pas légal (sauf pour des pourcentages très faibles) de prévoir un excédent de précaution
  • que dès lors cette erreur manifeste d’appréciation… se trouve parfois constituée dans des cas qui sont pour le gestionnaire public loin d’être manifestes ! Dans l’affaire « Auchan » concernant Lille Métropole, le juge avait tout de même censuré un excédent… de 2,5 % du budget ! Soit un niveau correspondant à une marge de sécurité… Mais dans d’autres cas, des excédents de 6, 8, 9… et même 14,6 % ont pu être validés, au terme d’une appréciation au cas par cas qui doit conduire sur le terrain à une anticipation prudente, à des justifications à sécuriser très en amont, etc.

Nos blogs ont souvent traité de cette question :

En 8 mn 24, Maîtres Yann et Eric Landot ont présenté, récemment, conjointement l’état du droit à ce sujet… qui reste inquiétant pour les services financiers et les services en matière de déchets… surtout depuis des décisions rendues en 2019 et 2020.

II. L’apport de l’arrêt rendu vendredi dernier : enfin une décision qui clairement admet des prises en compte d’une  « quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité, calculée au moyen d’une comptabilité analytique permettant d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets »

Vendredi dernier, le Conseil d’Etat a :

  • rappelé sa jurisprudence aujourd’hui classique et ferme à ce sujet :
    • La taxe d’enlèvement des ordures ménagères (TEOM) susceptible d’être instituée sur le fondement du I de l’article 1520 du code général des impôts (CGI) n’a pas le caractère d’un prélèvement opéré sur les contribuables en vue de pourvoir à l’ensemble des dépenses budgétaires, mais a exclusivement pour objet de couvrir les dépenses exposées par la commune ou l’établissement de coopération intercommunale (EPCI) compétent pour assurer l’enlèvement et le traitement des ordures ménagères et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du code général des collectivités territoriales (CGCT) et non couvertes par des recettes non fiscales affectées à ces opérations. »

Il s’ensuit que le produit de cette taxe et, par voie de conséquence, son taux, ne doivent pas être manifestement disproportionnés par rapport au montant des dépenses exposées pour ce service, « déduction faite, le cas échéant, du montant des recettes non fiscales de la section de fonctionnement, telles qu’elles sont définies par les article L. 2331-2 et L. 2331-4 du CGCT, relatives à ces opérations » (reprise de la formulation de l’arrêt précédent, du 1er juillet 2020, n° 424288)

Puis on continue à décliner le mode d’emploi tel que forgé au fil des jurisprudences :

« Les dépenses susceptibles d’être prises en compte sont constituées de la somme de toutes les dépenses de fonctionnement réelles exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du CGCT et des dotations aux amortissements des immobilisations qui lui sont affectées, telle qu’elle peut être estimée à la date du vote de la délibération fixant le taux de la taxe.»

Puis vient (enfin ! cela faisait 7 ans et demie qu’on l’attendait, au moins avec une formulation aussi claire, correspondant enfin à un mode d’emploi logique, le même que celui qu’on trouve par exemple pour les forfaits scolaires pour les écoles privées) :

« Peuvent être incluses, dans les dépenses de fonctionnement à prendre en compte au titre du service public de collecte et de traitement des déchets ménagers, les dépenses correspondant à une quote-part du coût des directions ou services transversaux centraux de la collectivité, calculée au moyen d’une comptabilité analytique permettant, par différentes clés de répartition, d’identifier avec suffisamment de précision les dépenses qui, parmi celles liées à l’administration générale de la métropole, peuvent être regardées comme ayant été directement exposées pour le service public de collecte et de traitement des déchets ménagers et des déchets mentionnés à l’article L. 2224-14 du CGCT. »

Attention ; le mot « directement » n’est pas à prendre à la légère en droit. La comptabilité analytique devra donc se faire en imposant par exemple des suivis précis pour prouver le caractère direct de telle ou telle tâche, opération, à imputer comptablement sur les charges affectées aux OM…

Source : CE, 22 octobre 2021, N° 434900, à publier en intégral au recueil Lebon