Les apports de la loi future loi « Climat et résilience » en matière de commande publique

Article rédigé par Me Mathilde IFCIC, avocate au cabinet Landot & associés, avec l’aide de Mme Auriane TONO

La future loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a été adoptée et elle n’a été censurée qu’à la toute marge par le Conseil constitutionnel.

Nous avons présenté les grands traits de cette loi. Voir :

Au nombre des censures du Conseil constitutionnel, un point concerne d’ailleurs la commande publique  : l’article 38 permettant l’achat sans publicité ni mise en concurrence de denrées alimentaires produites, transformées et stockées avant la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire, lorsque la valeur estimée du besoin de l’acheteur est inférieure à 100 000 euros HT, sur une période de 12 mois à compter de la cessation de l’état d’urgence sanitaire a été considéré comme ne présentant pas de lien, même indirect avec l’article 15 du projet de loi initial qui imposait aux acheteurs publics de prendre en compte, dans les marchés publics, les considérations liées aux aspects environnementaux des travaux, services ou fournitures achetés.

Mais, à quelques jours de la promulgation de cette loi, revenons sur les principales modifications que celle-ci va provoquer pour les acheteurs !

Les ambitions en matière de transition écologique et de développement durable portées par la loi « Climat et résilience », figurant principalement à l’article 35 de celui-ci (article 15 du projet de loi initial), occasionnent des modifications significatives du Code de la commande publique.

Ainsi, en premier lieu, la loi « Climat et résilience », introduit au sein du Titre Préliminaire du Code de commande publique, dans un nouvel article L. 3-1, un objectif de développement durable dans sa dimension économique, sociale et environnementale.

Afin de permettre le respect de ce nouvel objectif pour les acheteurs, la prise en compte du développement durable figurera dorénavant et obligatoirement à plusieurs étapes de la procédure de passation des contrats de la commande publique.

Au stade de la définition du besoin (article L. 2111-2 du Code de la commande publique), d’abord, puisque les spécifications techniques dans les marchés de travaux, fournitures et services devront prendre en compte les objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. Toutefois, les marchés de défense ou de sécurité ne sont pas concernés. Cette obligation concerne, en revanche, les contrats de concession de travaux et de services, à l’exception de ceux de défense ou de sécurité (article L. 3111-2 du CCP).

Par suite, au stade de la candidature, l’absence d’élaboration de plan de vigilance par les entreprises relevant de l’article L. 225-102-4 du code de commerce – c’est-à-dire celles qui « à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger » – sera un motif d’exclusion de la procédure de passation. Dès lors, ce motif d’exclusion est loin de concerner la majorité des candidats aux marchés publics ou contrats de concession. Cependant, par l’intégration, de la mention suivante au sein des nouveaux articles L. 2141-7-1 du CCP et L. 3123-7-1 du CCP, « une telle prise en compte ne peut être de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation », la loi vient encore davantage nuancer la portée de ce nouveau motif d’exclusion à l’appréciation de l’acheteur.

Au stade de l’attribution, conformément à l’article L. 2152-7 modifié, précisant qu’« au moins un de ces critères prend en compte les caractéristiques environnementales de l’offre », l’acheteur devra, pour les marchés publics, intégrer un critère d’analyse prenant en compte les caractéristiques environnementales de l’offre. Les contrats de concessions, à l’exception des contrats de défense et de sécurité, sont également concernés par cette obligation (article L. 3124-5 du CCP).

La direction des affaires juridiques du Ministère de l’Économie et des Finances précisait, à ce titre, dans sa lettre n°311 publiée le 11 février dernier que cette disposition « favorise l’analyse de la valeur économique d’une offre à l’aune de ses vertus écologiques et la prise en compte des externalités environnementales de la prestation ». Cependant, à ce jour, l’intégration obligatoire d’un critère environnemental sans modification en parallèle, de l’article R. 2152-7 du Code de la commande publique, pose des difficultés pour l’achat des services ou des fournitures standardisés analysé sur la base d’un unique critère prix. Dès lors, si la DAJ précise dans sa lettre n°311 que la modification de l’article L. 2152-7 « impliquera désormais l’impossibilité de recourir au critère unique du prix », la modification de la partie réglementaire du Code de la commande publique, par décret, sur ce point, est attendue. Là encore, les marchés de défense et de sécurité ne sont pas concernés par cette obligation.

La loi ne prévoyant pas de pondération minimale de ce critère laisse aux acheteurs une marge de manœuvre dans l’appréciation de l’offre et la place qu’occuperont les caractéristiques environnementales dans l’analyse des offres. Cependant, l’imposition d’un tel critère risque d’entrainer des difficultés de mise en œuvre importantes concernant certaines catégories de contrat qui se prêtent peu à de telles caractéristiques environnementales, à l’image notamment des prestations intellectuelles.

Dans le cadre de la définition des conditions d’exécution des marchés publics, on remarquera que le nouvel article L. 2112-2 du Code de la commande publique met principalement l’accent sur les considérations environnementales, en précisant que les conditions d’exécutions prennent en compte « des considérations relatives à l’environnement » et en mentionnant, dans un second temps, la prise en compte des considérations relatives à l’économie, à l’innovation, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations.

A ce titre, dès lors, que les marchés publics auront une valeur estimée supérieure ou égale aux seuils européens, conformément au nouvel article L. 2112-2-1, l’acheteur aura l’obligation de prévoir des considérations relatives au domaine social ou à l’emploi, sauf dans quelques cas dérogatoires et listées :
– « le besoin est satisfait par une solution immédiatement disponible » ;
– lorsqu’une « telle prise en compte n’est pas susceptible de présenter un lien suffisant avec l’objet du marché » ;
– lorsqu’une « telle prise en compte est de nature à restreindre la concurrence ou rend techniquement ou économiquement difficile l’exécution de la prestation » ;
– lorsqu’il « s’agit d’un marché de travaux inférieur à 6 mois ».

Il convient, cependant, de noter que ces dérogations ne s’appliquent pas aux considérations environnementales qui devront à la lecture stricte du texte être systématiquement prévues dans les marchés.

De plus, les acheteurs devront impérativement veiller, lorsqu’ils entreront dans un des cas dérogatoires et n’auront pas prévu, à ce titre, de considérations relatives au domaine social ou à l’emploi, à en indiquer les motifs, pour les pouvoirs adjudicateurs, au sein du rapport de présentation et, pour les entités adjudicatrices, « par tout moyen approprié ».

Pour les marchés de défense et de sécurité, les conditions d’exécution pourront prendre en compte parmi les considérations relatives à « l’environnement, au domaine social, à l’emploi ou à la lutte contre les discriminations ». Cependant, dans le cadre de ces marchés, même au-dessus des seuils, aucune obligation n’est imposée aux acheteurs sur ce point.

Dans le cadre des conditions d’exécution des contrats de concessions, ces obligations sont quasi-similaires aux marchés publics autres que ceux de la défense et de la sécurité. Toutefois, la prise en compte de ces considérations pour les concessions de défense et de sécurité sera une simple faculté laissée à l’autorité concédante.

Au-dessus des seuils européens, le principe est celui d’une obligation de prévoir des conditions d’exécution « relatives au domaine social ou à l’emploi, notamment en faveur des personnes défavorisées ». Cependant, l’article L. 3224-2-1 prévoit deux cas dérogatoires, dans lesquels, l’autorité concédante peut décider de ne pas les intégrer dans le contrat : 
-lorsque la prise en compte « n’est pas susceptible de présenter un lien suffisant avec l’objet de la concession »
– lorsqu’elle « est de nature à restreindre la concurrence ou à rendre techniquement ou économiquement difficile l’exécution du contrat de concession ».

Dans une telle hypothèse, l’autorité concédante devra veiller à consigner les motifs par « tout moyen approprié ». A nouveau, ces dérogations ne concernent nullement les considérations relatives à l’environnement.

De plus, au stade de l’exécution du contrat, il convient également de noter, que dans le cadre des contrats de concession, le rapport annuel remis par le concessionnaire au titre de l’article L. 3131-5 du CCP devra décrire « les mesures mises en œuvre par le concessionnaire pour garantir la protection de l’environnement et l’insertion par l’activité économique dans le cadre de l’exécution du contrat.

Également, la loi apporte davantage d’éléments en matière de publicité et de visibilité en fournissant plus de précisions sur le contenu du schéma de promotion des achats publics socialement et écologiquement responsable (ci-après « SPASER ») prévu par l’article L. 2111-3 du CCP. Ainsi, il comporte des « indicateurs précis, exprimés en nombre de contrats ou en valeur et publiés tous les deux ans, sur les taux réels d’achats publics relevant des catégories de l’achat socialement et écologiquement responsable parmi les achats publics réalisés par la collectivité ou l’acheteur concerné ». De même, il devra préciser les « objectifs cibles à atteindre pour chacune de ces catégories ». A ce titre, ce nouvel alinéa de l’article L. 2111-3 mentionne « notamment ceux relatifs aux achats réalisés après des entreprises solidaires d’utilité sociale agrées au sens de l’article L. 3332-17-1 du code du travail, d’une part, ou auprès des entreprises employant des personnes défavorisées ou appartenant à des groupes vulnérables, d’autre part ».

En outre, le SPASER devra être rendu public par « une mise en ligne sur le site internet, lorsqu’il existe, des pouvoirs adjudicateurs et entités adjudicatrices » concernés par cette obligation (collectivités territoriales et acheteurs dont le montant annuel des achats est fixé à 100 000 millions d’euros HT). Un rapport établi par le Gouvernement et remis au Parlement évaluant la prise en compte des considérations environnementales et sociales dans les marchés publics par les acheteurs ayant adopté le SPASER sera établi dans un délai de trois ans à compter de la promulgation de la loi et accompagné d’un modèle de rédaction du schéma.

Il convient de noter que ces mesures, en dehors des modifications relatives au SPASER (dont l’entrée en vigueur est fixée au 1er janvier 2023) entreront en vigueur à une date fixée ultérieurement par décret, et, au plus tard, cinq ans après la promulgation de la loi « Climat et résilience », étant précisé que dans le cadre des concessions, ces dates seront fixées « en fonction des catégories des concessions ». En tout état de cause, ces mesures ne seront applicables que pour les consultations engagées ou ayant un avis d’appel public à la concurrence envoyé à la publication à compter de la date d’entrée en vigueur.

En outre, il est précisé au sein de l’article 36 de la loi, qu’au plus tard le 1er janvier 2025, des outils opérationnels de définitions et d’analyse du coût du cycle de vie des biens pour les principaux segments d’achat seront mis à disposition des pouvoirs adjudicateurs par l’État. Ces outils intégreront « le coût global lié notamment à l’acquisition, à l’utilisation, à la maintenance et à la fin de vie des biens ainsi que, lorsque c’est pertinent, les coûts externes supportés par l’ensemble de la société, tels que la pollution atmosphérique, les émissions de gaz à effet de serre, la perte de la biodiversité ou la déforestation », avec pour objectif de vaincre les dernières réticences à son utilisation, y compris sur le plan juridique.

Par ailleurs, outre les modifications du Code de la commande publique susvisées, d’autres dispositions de cette loi auront un impact sur certains acheteurs.

Ainsi, avec la modification de l’article L. 228-4 du Code de l’environnement, à compter du 1er janvier 2030, l’usage des matériaux bio-sourcés ou bas-carbone devra intervenir dans au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique. Cependant, les modalités d’application et « en particulier la nature des travaux de rénovation lourde et les seuils au-delà desquels l’obligation est applicable aux acheteurs publics » restent à définir dans le cadre d’un décret en Conseil d’État.

Dans le cadre de la politique publique de l’alimentation, par la modification de l’article L. 230-5-1 du Code rural et de la pêche maritime, pour les repas servis dans les restaurants collectifs dont les personnes publiques ont la charge, il est ajouté une condition supplémentaire dans laquelle, une part au moins égale, en valeur, à 50 % de produits devront être achetés : « produits dont l’acquisition a été fondée, principalement, sur les performances en matière de protection de l’environnement et de développement des approvisionnements directs de produits de l’agriculture, dans le respect des règles du code de la commande publique ». Quid de la signification de ce « principalement » dans cette mesure et des modalités concrètes d’application pour les acheteurs dans ce cas de figure ?

De plus, dans le cadre des marché publics de fournitures ou de services de produits agricoles et de denrées alimentaires, les acheteurs susmentionnés lorsqu’ils détermineront la nature et l’étendue du besoin à satisfaire devront prendre « les conditions de fraîcheur, la nécessité de respecter la saisonnalité et le niveau de transformation attendu des produits ».

Enfin, de façon pêle-mêle, conformément à l’article 118 de la loi « Climat et résilience », les parcs de stationnement de plus de vingt emplacements gérés « en délégation de service public, en régie, ou via un marché public » devront disposer d’au moins un point de recharge pour les véhicules électriques et hybrides, situé sur un emplacement dont le dimensionnement permet l’accès aux personnes à mobilité réduite, étant précisé que cette disposition entrera en vigueur « au plus tard le 1er janvier 2025 ou au renouvellement de la délégation de service public ou du marché public ». Conformément à l’article 270 de la loi « Climat et résilience » les acheteurs seront également concernés par la stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée élaboré par l’État.