Eau et assainissement en communauté de communes : non… on ne pouvait pas, via une extension de compétences, contourner un veto des communes en 2019 [suite et fin]

Non-intercommunalisation de l’eau et/ou de l’assainissement en communauté de communes : pouvait-on au second semestre 2019 opérer un transfert de compétences, en dépit de l’exercice de leur droit de véto, exercé par des communes avant le 1er juillet 2019 ? 

A cette question, le Conseil d’Etat avait répondu par la négative, en référé, en juillet dernier. 

Un épilogue vient d’être apporté à ce feuilleton par une décision du TA de Montpellier, au fond, hier. Dont il ressort qu’il n’est pas malin de contourner le droit… et que quand cela se combine avec quelques blocages administratifs, l’eau peut conduire tout droit aux flammes de l’enfer juridique. 

NB : bravo à notre consoeur C. Lerat du cabinet BLCavocats pour ces victoires. 

La saga de l’intercommunalisation des compétences eau et assainissement, en communauté de communes, n’a cessé de donner lieu à des tricotages et des détricotages législatifs, allant de loi en loi, de complexité en complexité (I). Une communauté de communes avait tenté d’étendre ses compétences en vertu des règles de droit commun, fin 2019 en dépit du régime spécial propre au droit de véto des communes, qui venait d’être exprimé (II), ce qui était contraire aux principes juridiques de base (III), conduisant à une censure, en référé, par le Conseil d’Etat l’été dernier (IV) puis au fond, devant le TA, hier (V). Pendant ce temps là, dans la vie réelle, c’est évidemment l’enfer (VI)…

I. Rappel des successions de régimes juridiques applicables en ces domaines 

Dès lors, sur nos blogs, force nous fut de souvent traiter des règles d’opposition, dans les communautés de communes, au transfert des compétences eau et assainissement, issues de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 (Ferrand Fesneau), et ensuite aménagées par la loi engagement et proximité n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 :

S’agissant des droits d’opposition au transfert des compétences eau et assainissement, le régime issu de la loi Ferrand Fesneau pouvait être ainsi décrit :

  • par défaut s’appliquait l’intercommunalisation de ces deux compétences (alimentation en eau potable [AEP], d’une part, et assainissement y compris le SPANC, d’autre part) au premier janvier 2020
  • MAIS il était possible de s’opposer à ce transfert obligatoire pour l’une et/ou l’autre de ces compétences sous trois conditions :
    1. qu’il s’agisse d’une communauté de communes 
    2. que ladite compétence ne soit pas à ce jour exercée par la communauté (sous quelques réserves assouplies ensuite par la loi engagement et proximité)
    3. qu’avant le 1er juillet 2019 (date repoussée ensuite avec une nouvelle date butoir au 31/12/19) par , au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population qui délibèrent en ce sens.

NB : avec une date ultime d’intercommunalisation à 2026, des règles d’intercommunalisation en cours de ce mandat, des spécificités sur le découpage de la compétence et sur les eaux pluviales, largement précisées sur notre blog (voir les liens ci-avant, surtout ceux postérieurs à la loi engagement et proximité)…

Cette règle des au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population qui délibèrent en ce sens est claire. Et ce n’est pas la première fois qu’on avait un droit de véto de ce type (voir l’application de la loi ALUR sur le PLUI).

Il en résultait trois périodes pour l’expression de ce droit d’opposition, de ce droit de véto :

  • Période A :
    période entre août 2028 et juin 2019 : application de la loi Ferrand Fesneau précitée. Droit de véto si au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population délibèrent en ce sens.
  • Période B :
    période entre juillet 2019 et la date d’entrée en vigueur de la loi engagement et proximité précitée : pendant cette période, ladite loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019… prévoit une forme de rétroactivité avec prise en compte des délibérations des communes même intervenues avant la promulgation de ladite loi du 27 décembre 2019.
    Cette particularité pourrait soulever des débats juridiques (mais la version définitive de la loi nous semble conforme aux exigences légales et constitutionnelles en ce domaine pour résumer un débat juridique assez complexe ; voir l’article 2 du code civil, Cass. 2e civ., 5 mai 1955 : Gaz. Pal. 1955, 1, 400 ; Cons. const., 18 décembre 2001, n° 2001-453 DC ; Cons. const., 14 février 2014, n° 2013-366 QPC…). 
  • Période C :
    période entre la date date d’entrée en vigueur de la loi engagement et proximité précitée n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 (à savoir le 29 décembre 2019) et le 31 décembre 2019 à minuit ; le droit de véto précité (au moins 25 % des communes membres de la communauté de communes représentant au moins 20 % de la population) était rétabli sans débat sur une quelconque rétroactivité. 

II. Une communauté de communes avait tenté d’étendre ses compétences en vertu des règles de droit commun, fin 2019 en dépit du régime spécial propre au droit de véto des communes, qui venait d’être exprimé 

Des communes sont assez nombreuses pour user de leur droit de véto en période A conformément à la loi Ferrand Fesneau précitée.

MAIS ensuite la communauté de communes, juridiquement inventive (ce qui n’est pas toujours une qualité…), étend ses compétences au titre de la procédure usuelle d’extension des compétences de l’article L. 5211-17 du CGCT ? Plus fort : elle trouve deux préfets (la communauté de communes s’étend aux frontières de deux départements) pour accepter cette procédure, témoignant d’une culture partagée de la hardiesse procédurale. Plus fort encore ; le TA va dans leur sens en référé.

Explication : si l’arrêté était pris avant la loi engagement et proximité, il y avait une argumentation pour défendre qu’il était légal à la date de son adoption. Sauf que la formulation de la loi Ferrand Fesneau, selon nous, laissait peu de place à de pareils contournements (ne serait-ce qu’en raison des formulations retenues par cette loi sur les procédures à suivre ensuite en cas de volonté pour la communauté de communes d’étendre ses compétences). 

III. De l’intérêt, même en droit pratique, de revenir de temps en temps aux grands principes juridiques  

Et alors, on applique le droit général me direz vous ? le CGCT ? L’article L. 5211-17 de ce code sur les extensions de compétences demeure bien inséré dans le CGCT ?

Et bien non. Ou plutôt OUI l’article L. 5211-17 du CGCT figure toujours à sa place mais NON il ne peut s’appliquer puisqu’un autre texte législatif à la fois plus spécial et postérieur est intervenu depuis. 

Car quand des normes différentes existent, depuis le monde latin, et sans doute avant, on applique deux principes :

  • « lex posterior priori derogat » : on applique le droit postérieur par préférence au droit antérieur (sous quelques réserves) 
  • et « specialia generalibus derogant » : sauf dans quelques cas, en effet, la loi spéciale l’emporte sur la loi générale.

Quand le texte nouveau est plus précis, plus spéciale, que l’ancien plus général, alors il n’y a guère de doute sur le fait que la loi nouvelle l’emporte sur l’ancienne loi à la fois plus générale et plus ancienne. 

IV. Censure, en référé, par le Conseil d’Etat l’été dernier 

Raison revint quand le dossier arriva aux marches du Palais Royal en référé : le Conseil d’Etat en effet :

  • rappelle qu’il résulte des dispositions spéciales de l’article 1er de la loi n° 2018-702 du 3 août 2018 que lorsque au moins 25 % des communes membres d’une communauté de communes représentant au moins 20 % de la population s’opposent, avant le 1er juillet 2019 [délai reporté par la loi engagement et proximité mais ce n’était pas la question posée en l’espèce), au transfert obligatoire des compétences eau et assainissement à la communauté de communes au 1er janvier 2020, ce transfert obligatoire est reporté au 1er janvier 2026,
  • en déduit que les dispositions générales (auxquelles la loi spéciale déroge donc…) de l’article L. 5211-17 du code général des collectivités territoriales (CGCT), relatives aux transferts facultatifs de compétences, qui renvoient notamment aux conditions de majorité requise pour la création de l’établissement public de coopération intercommunale, ne pouvaient recevoir application entre le 1er juillet 2019 et le 1er janvier 2020.
    Après cette dernière date, ces dispositions générales ne peuvent recevoir application qu’à la condition que ne s’y opposent pas, dans les trois mois, au moins 25 % des communes représentant au moins 20 % de la population.

Voir : CE, 29 juillet 2020, n° 437283,  voir :

V. Confirmation au fond, hier, par le TA de Montpellier

Hier, le TA de Montpellier n’a pu que prendre acte de la position du Conseil d’Etat, et censurer l’arrêté d’extension des compétences pris par arrêté interpréfectoral, au terme de cette procédure dont chacun aurait du se douter qu’elle soulèverait une petite difficulté juridique… 

Voir ci-dessous :

VI. Pendant ce temps là, dans la vie réelle…

Evidement, un tel détricotage ne peut qu’être complexe à gérer.

Le TA avait rejeté dans un premier temps le référé : donc évidement, le transfert de compétence a eu lieu. 

Puis après, cet été, la censure en référé par le Conseil d’Etat, la situation a été complexe puisque le transfert avait eu lieu. En pareil cas, il est fréquent que les TA tentent de procéder à un jugement au fond très très vite : ce fut un peu le cas en l’espèce (jugement avant la clôture de l’année civile et budgétaire 2020) mais il n’en reste pas moins un détricotage et une clôture à opérer très, très vite… Avec semble-t-il, des débats complexes (nous ne suivons pas ce dossier mais nous avons connu des cas comparables et les difficultés juridico-financiaro-techniques qui alors s’accumulent sont redoutables). 

NB parfois en pareil cas il faut demander en défense l’application différée de l’annulation, ne serait-ce que pour la faire coïncider avec l’année budgétaire ! Mais une telle annulation différée doit être demandée par les parties demanderesses (jurisprudence AC! ; CE, Ass., 11 mai 2004, Associations AC! , rec. p. 197, GAJA 21e éd. 105) et il ne semble hélas pas que la préfecture ait formulé cette demande (sinon le TA eût du statuer sur ce point, ce qu’il n’a pas fait), pas plus que la communauté, qui de toute manière s’était constituée comme intervenante et non en tant que partie, ce qui en ces régimes est débattu). 

Notre consoeur C. Lerat du cabinet BLCavocats signale qu’une des difficultés de ce dossier avait été le problème d’une étude insuffisante et non partagée sur les conséquences et les modalités possibles d’un tel transfert. Pas moins de trois avis de la CADA semblent avoir été pris à ce sujet ;

D’où l’importance en ces domaines :

  • d’études initiales solides et partagées
  • de savoir résister à la tentation de « faire un coup » à la faveur de ce qui semble être une faille juridique… car d’une part les failles juridiques sont à bien étudier en droit avant de s’y engouffrer et d’autre part l’intercommunalité ne fonctionne bien que sur la base d’un minimum de consensus
  • de penser à la vie réelle, technique, financière, et pas seulement juridique…