Qui doit entretenir une digue ? Quelles conséquences pour le préfet ?

Ce jour, le Conseil d’Etat vient de confirmer qu’en matière de digues, chacun, le propriétaire et l’exploitant, ont leurs obligations respectives.

Il résulte en effet de l’article R. 214-123 du code de l’environnement que le propriétaire et l’exploitant peuvent être considérés comme débiteurs conjoints d’une obligation de surveillance et d’entretien de tout barrage ou digue, chacun étant responsable des obligations attachées respectivement à la qualité de propriétaire ou à celle d’exploitant du barrage.

Par suite, le préfet peut légalement mettre des prescriptions de surveillance et d’entretien à la charge conjointe du propriétaire et de l’exploitant, chacun devant prendre les mesures nécessaires relevant de sa responsabilité et en informer le préfet.

MAIS cela pourrait se retourner contre le préfet qui pourrait alors devoir ventiler, entre le propriétaire et l’exploitant, les tâches résultant de ces prescriptions de surveillance et d’entretien.

TOUTEFOIS le Conseil d’Etat à ce stade vient au secours du préfet en précisant qu’il n’est pas nécessaire à ce stade que l’arrêté précise davantage à qui incombe chaque prescription, le préfet pouvant, le cas échéant, en cas d’inexécution de cet arrêté, prendre un nouvel arrêté précisant les tâches incombant à chacun.

 

VOICI CETTE DÉCISION :

 

Conseil d’État

N° 427165
ECLI:FR:CECHR:2020:427165.20200710
Mentionné aux tables du recueil Lebon
6ème et 5ème chambres réunies
Mme Carine Chevrier, rapporteur
M. Stéphane Hoynck, rapporteur public
SCP GASCHIGNARD ; SCP SPINOSI, SUREAU, avocats

Lecture du vendredi 10 juillet 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Le département d’Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes d’annuler, d’une part, l’arrêté du préfet d’Ille-et-Vilaine du 12 décembre 2013 imposant au département et à Mme A… B… des prescriptions relatives au barrage du  » Lac tranquille « , situé sur le territoire de la commune de Combourg et support d’une route départementale, et d’autre part, la décision implicite née le 5 avril 2014 du rejet de son recours gracieux à l’encontre de cet arrêté. Par un jugement n° 1402882 du 7 juillet 2017, le tribunal administratif a annulé ces deux décisions.

Par un arrêt n° 17NT02815 du 12 novembre 2018, la cour administrative d’appel de Nantes, sur appel du ministre d’Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, a annulé ce jugement et rejeté la requête formée par le département d’Ille-et-Vilaine.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 janvier et 18 avril 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le département d’Ille-et-Vilaine demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler cet arrêt ;

2°) réglant l’affaire au fond, de faire droit à ses conclusions d’appel ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le code de l’environnement ;
– le code général de la propriété des personnes publiques ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de Mme Carine Chevrier, conseiller d’Etat,

– les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat du département d’Ille-et-Vilaine et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de Mme B… ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet d’Ille-et-Vilaine a pris, le 12 décembre 2013, un arrêté imposant au département d’Ille-et-Vilaine et à Mme B… plusieurs prescriptions pour l’entretien d’un barrage qui, d’une part, retient les eaux du ruisseau du Limon et forme le  » Lac Tranquille « , dont Mme B… est propriétaire, et d’autre part, supporte à son sommet la route départementale n° 795. Par un jugement du 7 juillet 2017, le tribunal administratif de Rennes a, à la demande du département d’Ille-et-Vilaine, annulé cet arrêté. Par un arrêt du 12 novembre 2018 contre lequel le département d’Ille-et-Vilaine se pourvoit en cassation, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé ce jugement et rejeté la demande du département.

2. En premier lieu, en ayant relevé qu’il n’était pas établi par des actes de propriété que le barrage objet des prescriptions litigieuses, dont il a relevé qu’il est constant qu’il comporte à son sommet la route départementale n° 795 appartenant au département d’Ille-et-Vilaine, avait un autre propriétaire que ce département, la cour n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit.

3. En deuxième lieu, aux termes du premier alinéa de l’article R. 214-123 du code de l’environnement :  » Le propriétaire ou l’exploitant de tout barrage ou le gestionnaire des digues organisées en système d’endiguement surveille et entretient ce ou ces ouvrages et ses dépendances « . Il résulte de ces dispositions que le propriétaire et l’exploitant peuvent être considérés comme débiteurs conjoints d’une obligation de surveillance et d’entretien de tout barrage ou digue, chacun étant responsable des obligations attachées respectivement à la qualité de propriétaire ou à celle d’exploitant du barrage.

4. L’article 2 de l’arrêté contesté met à la charge de Mme B…, au titre du plan d’eau, et du conseil général, devenu le département d’Ille-et-Vilaine, au titre de la voie départementale portée par le barrage, chacun en ce qui les concerne, des prescriptions de surveillance et d’entretien du barrage du  » Lac Tranquille « . Par suite, la cour n’a pas entaché son arrêt d’erreur de droit en jugeant que le préfet avait ainsi entendu mettre les obligations litigieuses à la charge conjointe de Mme B… et du département d’Ille-et-Vilaine, chacun devant prendre les mesures nécessaires relevant de sa responsabilité et en informer le préfet et sans qu’il soit nécessaire à ce stade, que l’arrêté précise davantage à qui incombe chaque prescription, le préfet pouvant, le cas échéant, en cas d’inexécution de cet arrêté, prendre un nouvel arrêté précisant les tâches incombant à chacun.

5. En dernier lieu, en jugeant que la circonstance que l’arrêté contesté qualifie les intéressés de  » maîtres d’ouvrage  » était sans incidence sur la légalité de cet arrêté, qui, ainsi qu’il a été dit plus haut, met à la charge conjointe des intéressés, en leur qualité de propriétaire et d’exploitant du barrage, les obligations qui découlent pour eux des dispositions précitées de l’article R. 214-123 du code de l’environnement, la cour n’a pas davantage entaché son arrêt d’une erreur de droit.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par le ministre, le pourvoi du département d’Ille-et-Vilaine doit être rejeté.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du département d’Ille-et-Vilaine une somme de 2 000 euros à verser à Mme B… au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi du département d’Ille-et-Vilaine est rejeté.
Article 2 : Le département d’Ille-et-Vilaine versera à Mme B… une somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au département d’Ille-et-Vilaine, à la ministre de la transition écologique et solidaire et à Mme A… B….