Halieutique : protéger une espèce impose de prendre en compte, aussi, les autres incidences sur l’écosystème (et le principe de précaution peut alors s’appliquer sur les normes ainsi fixées)

Le Conseil d’Etat vient de rendre un arrêt important sur le caractère suffisant des mesures de protection d’une espèce (en matière de pêche en l’espèce mais des raisonnements par analogie sont possibles ensuite), avec un obligation de prendre en compte l’espèce protégée, certes, mais aussi les autres incidences sur l’écosystème. 

La Haute Assemblée pose que, lorsqu’il est saisi d’un recours contestant le caractère suffisant de mesures de protection, il appartient au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier ce caractère de manière globale au regard des impératifs résultant du règlement relatif à la politique commune de la pêche (PCP) et de l’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime :

  • tant pour l’espèce dont la pêche est réglementée
  • qu’en ce qui concerne les autres incidences sur l’écosystème.

NB ce qui est comparable à la prise en compte qui désormais prévaut en de nombreux autres régimes analogues (arrêtés de destruction d’espèces protégées, par exemple, voir ici et ).

En l’espèce, une association demandait l’annulation de l’arrêté relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen.

Il ressortait, pose le Conseil d’Etat, des pièces du dossier que :

  1. l’évolution du stock de bar dans le golfe de Gascogne était préoccupante à la date de l’arrêté attaqué,
  2. que le régime de la pêche au bar permet la capture d’une part significative d’individus de taille inférieure à la taille de capture maximale fixée par l’arrêté
  3. que la pêche au bar présente une corrélation notable avec la mortalité accidentelle de dauphins dont le maintien dans le golfe de Gascogne apparaît menacé.

Le juge en déduit que les mesures de protection s’appliquant à la date de l’arrêté attaqué étaient, prises dans leur ensemble, insuffisantes pour assurer le respect des normes et principes fixés par le droit de l’Union européenne et le droit national, tant en ce qui concerne la protection des juvéniles qu’en ce qui concerne l’incidence de la pêche sur l’écosystème.

Il en résulte une annulation de l’arrêté, en tant qu’il ne comporte pas de mesures de protection plus rigoureuses.

Un arrêté a, cela dit, fixé, au cours de l’instance, une nouvelle taille minimale de capture. Des avis scientifiques faisaient apparaître :

  • d’une part, une stabilisation du stock de bars à un niveau permettant le renouvellement de l’espèce
  • mais, d’autre part, le maintien d’une incidence excessive sur la mortalité des dauphins de diverses pêcheries dans le golfe de Gascogne, dont celle du bar.

Dès lors, conformément à la définition large évoquée ci-avant, il y a lieu, pose le juge du Palais Royal, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l’incidence sur l’écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

 

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a, le même jour, adopté un autre arrêt important sur l’appréciation des tailles minimales des poissons et l’application en ces domaines du contrôle du juge et de l’application du principe de précaution (rappelons que, schématiquement, ce principe s’impose à un certain niveau d’inconnues alors que sinon c’est le principe de prévention qui, lui s’applique, lorsque les dangers sont connus). Voici le résumé des tables :

1) a) i) Il résulte des articles 2 et 19 du règlement (CE) n° 1380/2013 du 11 décembre 2013, du règlement (UE) n° 2019/1241 du 20 juin 2019, des articles L. 911-2, L. 922-1, D. 922-1, R 911-3 et R. 921-84 du code rural et de la pêche maritime (CRPM) que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d’une pêcherie, de telles mesures, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l’Union européenne et le droit national, notamment l’objectif de gestion durable des ressources halieutiques, il appartient aux autorités compétentes d’user du pouvoir qui leur est conféré d’instaurer des mesures techniques de protection et, en particulier, au ministre chargé des pêches maritimes de fixer une taille minimale de capture pour une espèce d’organisme marin dont la pêche n’est pas soumise à une telle taille par la réglementation européenne ou, si cette réglementation en prévoit une, de fixer une taille minimale plus élevée. ii) Dans les deux hypothèses, si la taille minimale n’est pas obligatoirement égale à la taille moyenne de maturité de l’espèce considérée et si le ministre doit prendre en compte tant les incidences de sa fixation sur les équilibres socio-économiques du secteur que les possibilités raisonnables d’adaptation des engins et techniques de pêche, notamment en cas de pêcherie plurispécifique, cette taille doit assurer à tout le moins aux juvéniles de cette espèce une protection suffisante pour rétablir ou maintenir le stock de l’espèce à un niveau supérieur à celui qui permet d’obtenir le rendement maximal durable, compte tenu de l’ensemble des mesures techniques de protection qui s’appliquent à la même espèce. b) Il appartient au ministre, dans la mise en oeuvre de cette compétence, qui n’implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais suppose l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement. 2) Association demandant l’abrogation des arrêtés fixant une taille minimale de capture pour le maigre commun. Il n’est pas établi avec certitude, au regard des études scientifiques et des données disponibles, que l’état du stock de maigre dans le golfe de Gascogne imposerait l’adoption d’une taille minimale plus élevée. En revanche,de nombreux avis scientifiques accréditent l’hypothèse d’un risque d’effondrement brutal de la ressource pour une longue durée. Un tel risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement est de nature à justifier l’application du principe de précaution, en dépit des incertitudes subsistant sur sa réalité et sa portée en l’état des connaissances scientifiques. En refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale à la lumière de ces éléments alors qu’aucune autre mesure adaptée n’était prise, le ministre a méconnu les obligations découlant du principe de précaution.

 

 

 

VOICI CES DÉCISIONS :

 


 

Conseil d’État

N° 429018
ECLI:FR:CECHR:2020:429018.20200708
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème – 8ème chambres réunies
M. Philippe Ranquet, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public

Lecture du mercredi 8 juillet 2020
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et deux mémoires en réplique, enregistrés les 20 mars et 25 juin 2019 et les 5 juin et 1er juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’Association de défense des ressources marines (ADRM) demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 17 janvier 2019 du ministre de l’agriculture et de l’alimentation relatif au régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a et b) ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de fixer une taille minimale de référence de capture en adéquation avec les meilleurs avis scientifiques disponibles, d’édicter des prescriptions techniques encadrant le maillage des filets en vue de rendre effective la taille minimale déterminée, d’instaurer une limitation de capture de bar comportant notamment des quotas de capture annuel par métier et de mettre en oeuvre une période de repos biologique durant la période de frai du bar ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– le règlement (CE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
– le règlement (UE) n° 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Philippe Ranquet, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 3 juillet 2020, présentée par l’ADRM ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juillet 2020, présentée par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Considérant ce qui suit :

1. Par l’arrêté du 17 janvier 2019 dont l’Association de défense des ressources marines (ADRM) demande l’annulation pour excès de pouvoir, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a fixé un régime national de gestion pour la pêche professionnelle de bar européen (Dicentrarchus labrax) dans le golfe de Gascogne (divisions CIEM VIII a et b), comportant notamment la fixation d’une taille minimale de capture de 38 cm, celle d’une limitation annuelle des captures et un dispositif de suivi des captures.

Sur le cadre juridique applicable

2. D’une part, aux termes l’article 2 du règlement (CE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment,  » garantit que les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d’emploi et à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire, (…) applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable, (…) met en oeuvre l’approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l’écosystème marin soient réduites au minimum (…) « .

3. Pour atteindre ces objectifs, le règlement (CE) n° 850/98 du Conseil du 30 mars 1998 visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles d’organismes marins, ainsi que le règlement (UE) n° 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques qui s’y est substitué, prescrivent des mesures techniques de protection incluant la fixation pour certaines espèces une taille minimale de référence de conservation (TMRC), et délèguent dans certaines hypothèses à la Commission européenne le pouvoir de fixer cette même taille. L’article 19 du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013 permet en outre à chaque Etat membre d' » adopter des mesures pour la conservation des stocks halieutiques dans les eaux de l’Union  » à la triple condition que ces mesures  » a) s’appliquent uniquement aux navires de pêche battant son pavillon ou, dans le cas d’activités de pêche qui ne sont pas menées par un navire de pêche, à des personnes établies sur cette partie de son territoire auquel le traité s’applique; / b) soient compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2; / c) soient au moins aussi strictes que les mesures existantes en vertu du droit de l’Union « .

4. D’autre part, l’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que  » la politique des pêches maritimes, de l’aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : 1° De permettre d’exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède (…), dans le cadre d’une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l’environnement (…) « . Pour la mise en oeuvre de cette politique et sur le fondement de l’article L. 922-1 du même code, le II de son article D. 922-1 prévoit que pour les espèces dont la pêche  » est soumise à des totaux admissibles de captures (TAC) ou à un poids ou à une taille minimale de capture et de débarquement fixés par la réglementation européenne « , le ministre chargé des pêches maritimes  » peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français et aux pêcheurs à pied professionnels un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement supérieur à celui prévu par la réglementation européenne, en tenant compte :/ 1° Des moyens à mettre en oeuvre pour garantir une gestion durable des stocks, notamment en vue d’obtenir le rendement maximum durable (RMD) ; / 2° Des orientations du marché ;/3° Des équilibres socio-économiques « . Pour les autres espèces, le III du même article prévoit que  » lorsqu’une bonne gestion de l’espèce le rend nécessaire, le ministre peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement « . D’autres mesures techniques de protection peuvent être prises sur le fondement des dispositions du chapitre II du titre IX du livre IX du code rural et de la pêche maritimes, selon le cas, par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes et des autres autorités de l’Etat compétentes en vertu de son article R.* 911-3 ou par délibération du comité national ou des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins rendue obligatoire dans les conditions définies à son article L. 921-2-1, telles notamment que des restrictions spatiales et temporelles ou une règlementation des engins et procédés de pêche.

5. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d’une pêcherie, de telles mesures, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l’Union européenne et le droit national, notamment l’objectif de gestion durable des ressources halieutiques, il appartient aux autorités compétentes d’user du pouvoir qui leur est conféré d’instaurer des mesures techniques de protection et, en particulier au ministre chargé des pêches maritimes de fixer une taille minimale de capture pour une espèce d’organisme marin dont la pêche n’est pas soumise à une telle taille par la réglementation européenne ou, si cette réglementation en prévoit une, de fixer une taille minimale plus élevée. Dans les deux hypothèses, si la taille minimale n’est pas obligatoirement égale à la taille moyenne de maturité de l’espèce considérée et si le ministre doit prendre en compte tant les incidences de sa fixation sur les équilibres socio-économiques du secteur que les possibilités raisonnables d’adaptation des engins et techniques de pêche, notamment en cas de pêcherie plurispécifique, cette taille doit assurer à tout le moins aux juvéniles de cette espèce une protection suffisante pour rétablir ou maintenir le stock de l’espèce à un niveau supérieur à celui qui permet d’obtenir le rendement maximal durable, compte tenu de l’ensemble des mesures techniques de protection qui s’appliquent à la même espèce.

6. Lorsqu’il est saisi d’un recours contestant le caractère suffisant de mesures de protection, il appartient au juge de l’excès de pouvoir d’apprécier ce caractère de manière globale au regard des impératifs résultant du règlement relatif à la politique commune de la pêche et de l’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime, tant pour l’espèce dont la pêche est réglementée qu’en ce qui concerne les autres incidences sur l’écosystème.

Sur les mesures techniques de protection

7. La taille minimale de capture de 38 cm fixée par un arrêté du 24 novembre 2016 et reprise par l’arrêté attaqué déroge à la taille déterminée par les règlements européens pertinents, qui est de 36 cm, sauf pour les eaux situées au Nord du 48e parallèle, pour lesquelles elle est fixée à 42 cm. L’ADRM soutient que l’arrêté est illégal en tant que la taille minimale de 38 cm demeure insuffisante et en tant qu’il ne prévoit, au titre des autres mesures techniques de protection, ni une règlementation des engins de pêche plus rigoureuse que celle en vigueur, ni l’instauration d’un  » repos biologique  » consistant en une restriction de la pêche pendant les périodes et sur les lieux de frai.

8. Il ressort des pièces du dossier, notamment des rapports annuels consacrés à la pêcherie au bar établis par le Centre international pour l’exploration de la mer (CIEM) et des études  » Bargip  » réalisées sous la direction de l’IFREMER, que la taille moyenne de maturité du bar dans le golfe de Gascogne atteint 42 cm, soit la même que dans les eaux situées au Nord du 48e parallèle et que l’évolution du stock au cours des dernières années connues en 2019, sans être aussi critique que dans ce dernier secteur, y était préoccupante à la date d’adoption de l’arrêté attaqué, dès lors que la biomasse de l’espèce était en diminution et que les conditions permettant de maintenir le rendement maximal durable n’étaient plus toutes réunies. Il ressort en outre des pièces produites par l’ADRM et non sérieusement contestées, d’une part, que le régime d’exercice de la pêche au bar, fixé par ailleurs par une délibération du CNPMEM rendue obligatoire par arrêté, quoiqu’il prescrive un maillage minimal de 100 mm pour les filets et chaluts pélagiques, plus exigeant que celui de 80 mm résultant de la législation de l’Union, permet la capture d’une part significative d’individus de taille inférieure à la taille minimale alors en vigueur de 38 cm, dès lors notamment qu’il autorise sous certaines conditions une maille de filet d’au moins 90 mm et ne comporte pas de prescriptions propres aux chaluts de fond et, d’autre part, que la pêche au bar pendant les périodes et sur les lieux de frai présente une corrélation notable avec la mortalité accidentelle de dauphins, espèce protégée dont le maintien de la population dans le golfe de Gascogne apparaît menacé. Si l’administration, qui indiquait dès 2016 que la fixation d’une taille minimale de capture de 38 cm ne devait être considérée que comme une étape avant sa fixation à 42 cm, fait valoir que le relèvement de la taille minimale doit rester progressif pour tenir compte des contraintes techniques et économiques, il résulte des éléments qui viennent d’être exposés que les mesures de protection s’appliquant à la date de l’arrêté attaqué étaient, prises dans leur ensemble, insuffisantes pour assurer le respect des normes et principes mentionnés ci-dessus tant en ce qui concerne la protection des juvéniles qu’en ce qui concerne l’incidence de la pêche sur l’écosystème. Par suite, le ministre ne pouvait, sans méconnaître ces normes et principes, s’abstenir d’adopter des mesures plus rigoureuses.

Sur l’absence de répartition du total autorisé de captures

9. L’arrêté attaqué fixe une limitation des captures de bar dans le golfe de Gascogne, en l’absence, à la date de son adoption, de quota déterminé par l’Union européenne. L’ADRM soutient que l’arrêté méconnaît les dispositions du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013, faute de procéder à la répartition de ce total autorisé de captures en sous-quotas par métiers tenant compte des particularités des petits métiers tels que les métiers de l’hameçon.

10. Si l’article 17 du règlement du 11 décembre 2013, relatif aux critères de répartition par les Etats membres des possibilités de pêche qui leur sont allouées par l’Union européenne, n’est pas applicable à une limitation de captures fixée par les seules autorités nationales, une telle limitation constitue une mesure prévue par l’article 19 précité de ce règlement et doit être compatible avec les objectifs de la politique commune de la pêche énoncés à son article 2, dont celui de  » promouvoir les activités de pêche côtière en tenant compte des aspects socioéconomiques « . Il ne résulte toutefois d’aucune de ces dispositions une obligation pour les Etats membres de réserver une part des captures autorisées à certains métiers. Dès lors, ni les dispositions de l’article L. 921-4 du code rural et de la pêche maritime, qui ne font pas figurer la répartition par métiers parmi les modalités possibles de répartition d’un quota de captures, ni l’arrêté attaqué, en tant qu’il ne procède pas à une telle répartition, ne méconnaissent le droit de l’Union.

Sur l’étendue et les conséquences de l’annulation prononcée

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête, que l’ADRM est uniquement fondée à demander l’annulation de l’article 1er de l’arrêté attaqué, qui fixe la taille minimale de capture du bar européen dans le golfe de Gascogne et du même arrêté en tant qu’il ne comporte pas d’autres mesures de protection plus rigoureuses que celles qui résultent du droit de l’Union ou des délibérations du CNPMEM rendues obligatoires.

12. L’annulation prononcée, sans imposer à l’administration d’adopter l’une en particulier des mesures de protection à sa disposition, implique, à la date à laquelle le juge statue, qu’elle modifie la réglementation de telle sorte que les mesures prescrites, prises dans leur ensemble, assurent aux juvéniles de bar européen dans le golfe de Gascogne la protection définie au point 5 et réduisent les insuffisances de la protection de l’écosystème. Si, au cours de l’instance, le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a, par un arrêté du 4 février 2020, fixé une nouvelle taille minimale de capture à 40 cm et si le dernier avis du CIEM relatif au bar dans le golfe de Gascogne publié le 30 juin 2020 fait apparaître une stabilisation de la biomasse à un niveau légèrement supérieur à celui qui permet d’atteindre le rendement maximal durable, il ressort en revanche d’un avis du CIEM publié le 26 mai 2020 qu’à la date de la présente décision, l’incidence sur la mortalité des dauphins de diverses pêcheries dans le golfe de Gascogne, au nombre desquelles celle du bar, demeure excessive, plusieurs mesures étant recommandées par le CIEM pour la réduire, dont des restrictions temporelles de pêche. Dès lors, il y a lieu, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l’incidence sur l’écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 000 euros à verser à l’ADRM au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :
————–

Article 1er : Sont annulés l’article 1er de l’arrêté du 17 janvier 2019 et le même arrêté, en tant qu’il ne comporte pas d’autres mesures de protection plus rigoureuses que celles qui résultent du droit de l’Union ou des délibérations du CNPMEM rendues obligatoires.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’adopter des mesures réglementaires de protection complémentaires de nature à réduire l’incidence sur l’écosystème de la pêche au bar européen dans le golfe de Gascogne, dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision.
Article 3 : L’Etat versera à l’ADRM la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de l’ADRM est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à l’Association de défense des ressources marines (ADRM) et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Copie en sera adressée au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) et à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER).

 


Conseil d’État

N° 428271
ECLI:FR:CECHR:2020:428271.20200708
Mentionné aux tables du recueil Lebon
3ème – 8ème chambres réunies
M. Philippe Ranquet, rapporteur
M. Laurent Cytermann, rapporteur public

Lecture du mercredi 8 juillet 2020

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 428271, par une ordonnance n° 1902134 du 18 février 2019, enregistrée le 19 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 2 février 2019 au greffe de ce tribunal, de l’Association de défense des ressources marines (ADRM).

Par cette requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 17 juin 2019 et 17 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’ADRM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a rejeté sa demande, reçue le 5 novembre 2018, tendant à l’abrogation de l’arrêté du 26 octobre 2012 du ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche déterminant la taille minimale ou le poids minimal de capture des poissons et autres organismes marins effectuée dans le cadre de la pêche maritime de loisir, en tant que cet arrêté concerne le maigre commun ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de fixer pour le maigre commun, dans le cadre de la pêche de loisir, une taille minimale de capture plus élevée qui tienne compte du droit de l’Union européenne, du meilleur avis scientifique disponible et de la charte d’engagements et d’objectifs pour une pêche de loisir écoresponsable ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de limiter les possibilités de capture du maigre commun dans le cadre de la pêche de loisir en tenant compte du meilleur avis scientifique disponible.

2° Sous le n° 428276, par une ordonnance n° 1902136 du 18 février 2019, enregistrée les 19 février 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, le président du tribunal administratif de Paris a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la requête, enregistrée le 2 février 2019 au greffe de ce tribunal, de l’Association de défense des ressources marines (ADRM).

Par cette requête, deux nouveaux mémoires et deux mémoires en réplique, enregistrés les 18 juin, 24 juillet et 16 septembre 2019 et le 17 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, l’ADRM demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le ministre de l’agriculture et de l’alimentation a rejeté sa demande, reçue le 5 novembre 2018, tendant à l’abrogation de l’arrêté du 28 janvier 2013 du ministre chargé des transports, de la mer et de la pêche déterminant la taille minimale ou le poids minimal de capture et de débarquement des poissons et autres organismes marins pour la pêche professionnelle, en tant que cet arrêté concerne le maigre commun ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de fixer pour le maigre commun, dans le cadre de la pêche professionnelle, une taille minimale de capture plus élevée qui tienne compte du droit de l’Union européenne et du meilleur avis scientifique disponible ;

3°) d’enjoindre au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’adopter les mesures techniques d’accompagnement nécessaires pour mettre en oeuvre cette taille minimale et de prendre toute mesure de nature à assurer une gestion durable de la pêcherie en cause en tenant compte du meilleur avis scientifique disponible.

…………………………………………………………………………

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :
– la Constitution, notamment son Préambule ;
– le règlement (CE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 ;
– le règlement (UE) n° 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 ;
– le code rural et de la pêche maritime ;
– le code de justice administrative et l’ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

– le rapport de M. Philippe Ranquet, maître des requêtes,

– les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 juillet 2020, présentée par le ministre de l’agriculture et de l’alimentation ;

Considérant ce qui suit :

1. L’arrêté du 26 octobre 2012 déterminant la taille minimale ou le poids minimal de capture des poissons et autres organismes marins effectuée dans le cadre de la pêche maritime de loisir et l’arrêté du 28 janvier 2013 déterminant la taille minimale ou le poids minimal de capture et de débarquement des poissons et autres organismes marins pour la pêche professionnelle fixent une taille minimale pour le maigre commun (Argyrosomus regius), respectivement, de 45 cm pour la pêche de loisir et de 30 cm pour la pêche professionnelle. Estimant ces tailles minimales insuffisantes, l’Association de défense des ressources marines (ADRM) a demandé au ministre de l’agriculture et de l’alimentation d’abroger les dispositions de ces deux arrêtés relatives au maigre. Elle demande l’annulation pour excès de pouvoir de la décision de refus née du silence gardé par le ministre, sous le n° 428271, en ce qui concerne l’arrêté du 26 octobre 2012 et, sous le n° 428276, en ce qui concerne celui du 28 janvier 2013. Ses requêtes présentant à juger des questions semblables, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur le cadre juridique applicable

2. D’une part, aux termes l’article 2 du règlement (CE) n° 1380/2013 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, qui en fixe les objectifs, cette dernière, notamment,  » garantit que les activités de pêche et d’aquaculture soient durables à long terme sur le plan environnemental et gérées en cohérence avec les objectifs visant à obtenir des retombées positives économiques, sociales et en matière d’emploi et à contribuer à la sécurité de l’approvisionnement alimentaire, (…) applique l’approche de précaution en matière de gestion des pêches et vise à faire en sorte que l’exploitation des ressources biologiques vivantes de la mer rétablisse et maintienne les populations des espèces exploitées au-dessus des niveaux qui permettent d’obtenir le rendement maximal durable, (…) met en oeuvre l’approche écosystémique de la gestion des pêches afin que les incidences négatives des activités de pêche sur l’écosystème marin soient réduites au minimum (…) « .

3. Pour atteindre ces objectifs, le règlement (CE) n° 850/98 du Conseil du 30 mars 1998 visant à la conservation des ressources de pêche par le biais de mesures techniques de protection des juvéniles d’organismes marins, ainsi que le règlement (UE) n° 2019/1241 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques qui s’y est substitué, prescrivent des mesures techniques de protection incluant la fixation pour certaines espèces d’une taille minimale de référence de conservation (TMRC) et délèguent dans certaines hypothèses à la Commission européenne le pouvoir de fixer cette taille. L’article 19 du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013, applicable tant à la pêche professionnelle qu’à la pêche de loisir, permet en outre à chaque Etat membre d' » adopter des mesures pour la conservation des stocks halieutiques dans les eaux de l’Union « , à la triple condition que ces mesures  » a) s’appliquent uniquement aux navires de pêche battant son pavillon ou, dans le cas d’activités de pêche qui ne sont pas menées par un navire de pêche, à des personnes établies sur cette partie de son territoire auquel le traité s’applique; / b) soient compatibles avec les objectifs énoncés à l’article 2 ; / c) soient au moins aussi strictes que les mesures existantes en vertu du droit de l’Union « .

4. D’autre part, l’article L. 911-2 du code rural et de la pêche maritime dispose que  » la politique des pêches maritimes, de l’aquaculture marine et des activités halio-alimentaires a pour objectifs, en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux : 1° De permettre d’exploiter durablement et de valoriser le patrimoine collectif que constituent les ressources halieutiques auxquelles la France accède (…), dans le cadre d’une approche écosystémique afin de réduire au minimum les incidences négatives sur l’environnement (…) « . Pour la mise en oeuvre de cette politique et sur le fondement de l’article L. 922-1 du même code, le II de son article D. 922-1 prévoit que, pour les espèces dont la pêche  » est soumise à des totaux admissibles de captures (TAC) ou à un poids ou à une taille minimale de capture et de débarquement fixés par la réglementation européenne « , le ministre chargé des pêches maritimes  » peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français et aux pêcheurs à pied professionnels un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement supérieur à celui prévu par la réglementation européenne, en tenant compte :/ 1° Des moyens à mettre en oeuvre pour garantir une gestion durable des stocks, notamment en vue d’obtenir le rendement maximum durable (RMD) ; / 2° Des orientations du marché ; / 3° Des équilibres socio-économiques. « . Pour les autres espèces, le III du même article prévoit que  » lorsqu’une bonne gestion de l’espèce le rend nécessaire, le ministre peut fixer par un arrêté applicable aux seuls navires battant pavillon français un poids ou une taille minimale de capture et de débarquement « . D’autres mesures techniques de protection peuvent être prises sur le fondement des dispositions du chapitre II du titre IX du livre IX du code rural et de la pêche maritime, selon le cas, par arrêté du ministre chargé des pêches maritimes et des autres autorités de l’Etat compétentes en vertu de son article R.* 911-3 ou par délibération du comité national ou des comités régionaux des pêches maritimes et des élevages marins rendue obligatoire dans les conditions définies à son article L. 921-2-1, telles, notamment, que des restrictions spatiales et temporelles ou une règlementation des engins et procédés de pêche. Enfin, aux termes de l’article R. 921-84 du même code :  » La pêche maritime de loisir est soumise aux dispositions réglementaires internationales, européennes ou nationales applicables aux pêcheurs professionnels en ce qui concerne la taille minimale des captures autorisées, les caractéristiques et conditions d’emploi des engins de pêche, les modes et procédés ainsi que les zones, périodes, interdictions et arrêtés de pêche. / Le ministre chargé des pêches maritimes et de l’aquaculture marine peut, par arrêté, fixer des règles relatives au poids ou à la taille minima de capture des espèces de poissons et autres animaux marins propres à la pêche de loisir. Dans ce cas, ces règles ne peuvent être plus favorables que celles applicables aux pêcheurs professionnels « .

5. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que, lorsque les données disponibles font apparaître que, compte tenu des caractéristiques d’une pêcherie, de telles mesures, applicables aux seuls navires battant pavillon français, sont nécessaires et adéquates pour atteindre les objectifs énoncés par le droit de l’Union européenne et le droit national, notamment l’objectif de gestion durable des ressources halieutiques, il appartient aux autorités compétentes d’user du pouvoir qui leur est conféré d’instaurer des mesures techniques de protection et, en particulier, au ministre chargé des pêches maritimes de fixer une taille minimale de capture pour une espèce d’organisme marin dont la pêche n’est pas soumise à une telle taille par la réglementation européenne ou, si cette réglementation en prévoit une, de fixer une taille minimale plus élevée. Dans les deux hypothèses, si la taille minimale n’est pas obligatoirement égale à la taille moyenne de maturité de l’espèce considérée et si le ministre doit prendre en compte tant les incidences de sa fixation sur les équilibres socio-économiques du secteur que les possibilités raisonnables d’adaptation des engins et techniques de pêche, notamment en cas de pêcherie plurispécifique, cette taille doit assurer à tout le moins aux juvéniles de cette espèce une protection suffisante pour rétablir ou maintenir le stock de l’espèce à un niveau supérieur à celui qui permet d’obtenir le rendement maximal durable, compte tenu de l’ensemble des mesures techniques de protection qui s’appliquent à la même espèce.

6. Enfin, il appartient au ministre, dans la mise en oeuvre de cette compétence, qui n’implique pas des prescriptions inconditionnelles résultant du droit de l’Union européenne mais suppose l’exercice d’un pouvoir d’appréciation, de veiller au respect du principe de précaution garanti par l’article 5 de la Charte de l’environnement.

Sur l’application à l’espèce

7. En premier lieu, aucune mesure prise par l’Union européenne ne fixe de TMRC pour le maigre. Contrairement à ce que soutient l’ADRM, la circonstance que des mesures existent en ce qui concerne le maillage minimal des engins de pêche ne saurait être regardée comme valant implicitement détermination d’une TMRC. Dès lors, le moyen tiré de ce que les tailles minimales de 30 cm pour la pêche professionnelle et de 45 cm pour la pêche de loisir fixées par les arrêtés contestés méconnaîtraient la condition, posée par le c) de l’article 19 du règlement n° 1380/2013 du 11 décembre 2013, d’être au moins aussi strictes que les mesures que prévoit le droit de l’Union ne peut qu’être écarté.

8. En second lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment de l’étude publiée en 2009 par l’IFREMER, que la très grande majorité des maigres capturés dans le golfe de Gascogne était alors d’une taille inférieure à la taille de maturité, estimée à 80 cm pour les femelles, et que cette pêche, qui capture massivement des juvéniles, était de nature à compromettre la reconstitution du stock de maigre observée au cours des années 2000. Les auteurs de l’étude préconisaient d’adopter des mesures de protection des juvéniles tout en estimant que fixer une taille minimale égale à la taille moyenne de maturité serait peu réaliste d’un point de vue technique et économique et que la taille de 30 cm proposée par le Comité régional des pêches maritimes et des élevages marins de Poitou-Charentes pourrait être préférable, à condition de prendre d’autres mesures de protection et de mener des actions complémentaires en vue d’améliorer la connaissance de l’état des populations de maigre. Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation indique avoir fixé la taille minimale pour la pêche professionnelle à cette valeur de 30 cm compte tenu de ce que la plupart des captures de maigre sont le fait de pêcheries capturant à titre principal d’autres espèces, avec des engins et techniques adaptés à une taille de cet ordre de grandeur, et qu’une taille plus élevée aurait dès lors pour seul effet d’augmenter les quantités de poisson rejeté mort après capture. Il ajoute avoir fixé la taille minimale pour la pêche de loisir à 45 cm, dès lors que les engins et techniques utilisés permettent une plus grande sélectivité des captures. Les seules données disponibles sur l’état du stock depuis la fixation des tailles minimales litigieuses, notamment les données relatives aux ventes à la criée collectées par FranceAgriMer, font apparaître des variations cycliques des quantités capturées, sans dégager de tendance nette à l’augmentation ou à la diminution ni fournir tous les paramètres nécessaires à une évaluation du stock au regard du rendement maximal durable.

9. Dans ces conditions, il n’est pas établi avec certitude que l’état du stock de maigre dans le golfe de Gascogne imposerait l’adoption d’une taille minimale plus élevée. En revanche, il ressort de nombreux avis scientifiques concordants produits par l’ADRM que le constat d’un  » plateau  » dans l’abondance des captures accompagné de variations cycliques est fréquemment révélateur de l’incapacité d’une espèce de poissons à reconstituer une population de géniteurs suffisamment stable, qui peut conduire à un effondrement brutal de la ressource pour une longue durée. Alors que ces éléments circonstanciés accréditent l’hypothèse d’un risque de dommage grave et irréversible pour l’environnement de nature à justifier, en dépit des incertitudes subsistant sur sa réalité et sa portée en l’état des connaissances scientifiques, l’application du principe de précaution, il apparaît qu’aucune des études préconisées en 2009 par l’IFREMER n’a été réalisée ni aucune autre mesure de protection spécifique au maigre mise en oeuvre, alors que l’IFREMER recommandait, en cas de fixation de la taille minimale à 30 cm, de protéger à tout le moins les nourriceries de cette espèce. Dès lors, en refusant de reconsidérer le niveau de la taille minimale à la lumière de ces éléments alors qu’aucune autre mesure adaptée n’était prise, le ministre a méconnu les obligations découlant du principe de précaution.

10. Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens des requêtes, que l’ADRM est fondée à demander l’annulation du refus d’abroger les dispositions des arrêtés du 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 relatives à la taille minimale de capture du maigre.

Sur les conclusions à fin d’injonction

11. La présente décision implique que le ministre chargé des pêches maritimes examine à nouveau la demande de l’ADRM de fixer la taille minimale de capture du maigre de manière conforme aux motifs énoncés ci-dessus, compte tenu le cas échéant des résultats d’études complémentaires et d’éventuelles autres mesures de protection qui seraient décidées. Il y a lieu, en application de l’article L. 911-2 du code de justice administrative, d’enjoindre à ce ministre de procéder à ce réexamen dans un délai d’un an à compter de la notification de la présente décision.

12. En revanche, dès lors que la présente décision se borne à annuler le refus d’abroger des dispositions relatives à la taille minimale de capture du maigre, les autres conclusions à fin d’injonction présentées par l’ADRM, tendant à ce que soit instituée une limitation des captures de maigre, ne peuvent qu’être rejetées.

D E C I D E :
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Article 1er : Les décisions implicites du ministre de l’agriculture et de l’alimentation refusant d’abroger les dispositions des arrêtés des 26 octobre 2012 et du 28 janvier 2013 relatives à la taille minimale de capture du maigre commun sont annulées.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l’agriculture et de l’alimentation de procéder, conformément aux motifs de la présente décision, au réexamen de la demande de l’ADRM tendant à la fixation de tailles minimales de capture plus élevées pour le maigre commun dans le délai d’un an à compter de la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes de l’ADRM est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’Association de défense des ressources marines (ADRM) et au ministre de l’agriculture et de l’alimentation.
Copie en sera adressée au Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) et à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (IFREMER).