Le droit de préemption « ressources en eau » en 20 questions-réponses

La loi engagement et proximité avait prévu un nouveau régime de droit de preemption, corrigé à la marge par la loi 3DS. Après un projet de décret en 2000, qui n’a finalement pas vu le jour, voici que le décret est enfin paru. 

I. Quelle fut la genèse de ce régime ?

L’article 118 de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique avait créé un nouveau « droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine ».

Cet article commençait par modifier l’article L. 210-1 du code de l’urbanisme afin d’exclure du régime des droits de préemption classiques les actions visant à « préserver la qualité de la ressource en eau ». Et pour cause : car cet article crée ensuite dans ce même code de l’urbanisme un nouveau régime, un nouveau « droit de préemption pour la préservation des ressources en eau destinées à la consommation humaine» (art. L. 218-1 et suiv., nouveaux, du Code de l’urbanisme).

Une concertation avait été engagée sur un projet de décret :

Or, non seulement des désaccords persistaient, mais par surcroît le Conseil d’Etat avait estimé que certaines dispositions relevaient du domaine législatif et non réglementaire, ce qui a expliqué certaines modifications de la loi 3DS.

Ce premier projet de décret fut donc ajourné puis vint l’article 191 de la loi 3DS (loi 2022-217 du 21 février 2022 relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale ; NOR : TERB2105196L)…. corrigeant certaines dispositions donc. 

Un nouveau projet de décret après concertation avec nombre d’acteurs, dont la FNCCR, a été mis en chantier :

Or, ce décret a fini par trouver le chemin du JO, à savoir celui du 11 septembre :

Voyons ce régime point par point.

II. Où ce droit de préemption peut-il trouver à s’appliquer  ?

L’institution de ce nouveau droit de préemption porte sur « des surfaces agricoles » et doit porter sur « un territoire délimité en tout ou partie dans l’aire d’alimentation de captages utilisés pour l’alimentation en eau destinée à la consommation humaine ».

III. Dans quel but ?

Ce droit de préemption a pour objectif de préserver la qualité de la ressource en eau dans laquelle est effectué le prélèvement. Toutes les préemptions devront donc strictement porter sur cet objet et ne pas s’étendre à d’autres motifs.

Dans le même sens, l’arrêté « instaurant le droit de préemption » doit préciser « la zone sur laquelle il s’applique. »

IV. Qui en prend l’initiative ? Qui l’instaure ?

Ce droit de préemption est institué par « l’autorité administrative de l’État » par arrêté après avis :

  • des communes, des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme [on pourrait croire que les communes n’ont leur avis à donner que si elles sont compétentes en PLU mais cette interprétation, certes possible, n’est pas la plus prudente…]
  • des chambres d’agriculture
  • et des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural concernés par la délimitation des zones de préemption. 

Mais l’initiative doit en revenir aux communes ou groupements de communes compétents pour contribuer à la préservation de la ressource en eau en application de l’article L. 2224-7 du CGCT.

La loi 3DS a bien (et enfin) précisé que ce régime peut être aussi instauré et mis en oeuvre par un syndicat mixte. 

NB : pour la procédure, voir les points VI et suivants. 

V. Qui est titulaire de ce droit de préemption ?

Ce droit de préemption appartient à la commune ou au groupement de communes exerçant la compétence de contribution à la préservation de la ressource en eau prévue à l’article L. 2224-7 du CGCT.

Il est important pour les régies personnalisées de noter que la loi 3DS a ajouté à ce régime que :

« Lorsque tout ou partie du prélèvement en eau utilisée pour l’alimentation en eau potable est confié à un établissement public local mentionné à l’article L. 2221-10 du code général des collectivités territoriales, le titulaire du droit de préemption peut lui déléguer ce droit. Cette délégation peut porter sur tout ou partie du territoire concerné par le droit de préemption. Les biens ainsi acquis entrent dans le patrimoine de l’établissement public local délégataire.
« Le titulaire du droit de préemption informe l’autorité administrative de l’Etat compétente de la délégation du droit de préemption. » ;

Le décret, pour la délégation de ce droit de préemption aux régies personnalisées, a prévu l’article R. 218-8 du code de l’urbanisme, ainsi rédigé :

« Art. R. 218-8. – La délégation du droit de préemption prévue par l’article L. 218-3 résulte d’une délibération de l’organe délibérant du titulaire du droit de préemption.
« Cette délibération précise, le cas échéant, les conditions auxquelles la délégation est subordonnée.
« Cette délégation peut être retirée par une délibération prise dans les mêmes formes.
« Pour la mise en œuvre du présent chapitre, l’expression “titulaire du droit de préemption” s’entend également, s’il y a lieu, du délégataire de ce droit.

VI. Quel est le préfet compétent ?

C’est le préfet du département où se situent les surfaces agricoles comprises dans le périmètre du territoire sur lequel l’institution du droit de préemption est envisagée.

Si ce périmètre est interdépartemental, le préfet compétent sera celui « où se situe le point de prélèvement est chargé de l’instruction de cette demande », à charge pour celui-ci de prévenir les autres préfets concernés (mais le demandeur aura intérêt à avoir prévenu le préfet ou le sous-préfet compétent pour sa structure, par souci diplomatique).

VII. Comment le dossier de demande d’instauration de ce droit de préemption se compose-t-il ?

La personne publique qui sollicite l’institution de ce droit de préemption pour la préservation de la qualité de la ressource en eau adresse au préfet compétent (voir ci-avant « V. ») un dossier avec :

« 1° Une délibération du conseil municipal de la commune, de l’organe délibérant du groupement de collectivités territoriales ou du syndicat mixte mentionné à l’article L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales compétents sollicitant l’institution de ce droit de préemption ;
« 2° Un plan présentant le périmètre du territoire sur lequel l’institution du droit de préemption est sollicitée ;
« 3° Une étude hydrogéologique relative à l’aire d’alimentation des captages pour la protection desquels l’institution du droit de préemption est sollicitée ;
« 4° Une note présentant le territoire, ses pratiques agricoles et précisant les démarches d’animation, les actions mises en œuvre par le service désigné à l’article L. 2224-7 du code général des collectivités territoriales en charge de la collectivité ainsi que le bilan qui peut en être dressé. Dans l’hypothèse où le service a défini un plan d’action en application des dispositions de l’article R. 2224-5-3 de ce code, la personne publique produit ce plan ainsi que les rapports annuels prévus audit article ;
« 5° Un argumentaire précisant les motifs qui conduisent à solliciter l’instauration du droit de préemption et justifiant le choix du périmètre proposé.

VIII. Et si ce dossier n’est pas complet ?

Alors le préfet doit inviter le demandeur à compléter ou régulariser le dossier dans un délai qu’il fixe (le juge s’assurant au besoin que ce délai est « raisonnable ») et qui ne saurait excéder le délai de six mois qui est globalement imparti au Préfet pour statuer sur cette demande.

A défaut de production des pièces demandées dans le délai imparti, la demande est rejetée.

Le délai de six mois imparti au Préfet pour statuer sur une demande est suspendu à compter de la réception par le demandeur de la demande de communication d’informations complémentaires. Il reprend le jour de la réception par le préfet de la totalité des pièces et informations demandées.

dossiers rapport

IX.  Quelles sont les consultations qui s’imposent alors ?

Ce droit de préemption est institué par le préfet après avis :

  • des communes « situées sur tout ou partie du territoire sur lequel l’institution du droit de préemption est sollicitée», mais aussi des établissements publics de coopération intercommunale compétents en matière de plan local d’urbanisme (« mentionnés au 1° de l’article L. 153-8 du code de l’urbanisme territorialement compétents »). Attention : on pourrait croire que les communes n’ont leur avis à donner que si elles sont compétentes en PLU mais cette interprétation, certes possible, n’est de loin pas la plus prudente…
  • Des « chambres départementales et régionales d’agriculture des départements et régions dont la zone d’action comprend tout ou partie du territoire sur lequel l’institution du droit de préemption est sollicitée » (attention donc à ne pas oublier une chambre consulaire qui ne serait concernée que pour une petite parcelle)
  • « Des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural dont la zone d’action comprend tout ou partie du territoire sur lequel l’institution du droit de préemption est sollicitée » (formulation décrétale).
  • du ou des conseils départementaux de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques concernés par le projet de périmètre
  • des commissions locales de l’eau concernés par le projet de périmètre.
  • des bénéficiaires publics de droits  de préemption « antérieurement instauré en application de l’article L. 218-1 » du code de l’urbanisme
  • des « collectivités » (terme du décret qu’il sera prudent d’élargir aux EPCI et aux syndicats mixtes…) ayant en charge les services assurant les prélèvements d’eau correspondants si le périmètre proposé inclut des terrains situés à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation qui se superposent.

Les avis sont réputés favorables à l’expiration d’un délai de quarante-cinq jours à compter de la réception de la saisine.

X.  Quelle est, ensuite, la procédure d’adoption pour le préfet ?

Le préfet (ou les préfets) dispose(nt) d’un délai de six mois pour statuer sur la demande d’instauration du droit de préemption dans un délai de six mois, et ce à compter de la réception du dossier complet.

Le projet de décision est communiqué par le préfet chargé de l’instruction au demandeur, qui dispose de quinze jours pour présenter ses observations éventuelles par écrit.

Puis cet arrêté, s’il est adopté, doit :

  • désigner le titulaire du droit de préemption,
  • délimiter le périmètre sur lequel il s’applique
  • être motivé

Un refus doit, bien sûr, être également motivé.

XI.  Avec quelles mesures de publicité ?

L’arrêté doit donner lieu à :

  • publication au recueil des actes administratifs du ou des départements concernés.
  • mention dans deux journaux publiés dans le ou les départements concernés (pas obligatoirement des journaux reconnus comme journaux d’annonces légales dans le ou les départements concernés)
  • dépôt et mise à disposition du public dans les mairies concernées avec affichage d’un avis de ce dépôt en mairie pendant un mois (le dépôt porte sur une copie de l’arrêté instituant le droit de préemption et le plan précisant le périmètre du territoire concerné
  • diverses notifications :
    • « Une copie de l’arrêté complétée du plan mentionné à l’alinéa précédent est, en outre, adressée aux autres personnes publiques et organismes mentionnés à l’article R. 218-4, aux chambres départementales des notaires, aux barreaux constitués près les tribunaux judiciaires dans le ressort desquels est délimité le périmètre sur lequel le droit de préemption est institué et au greffe des mêmes tribunaux.»

XII. Et qu’en feront-elles, de ces biens, ces structures compétentes pour la préservation de la ressource en eau ?

Les biens acquis devaient, au lendemain de la loi engagement et proximité, cumulativement :

    • être intégrés dans le domaine privé de la collectivité territoriale ou de l’établissement public qui les a acquis.
    • être « utilisés qu’en vue d’une exploitation agricole » (voir ci-après). Celle-ci doit être compatible avec l’objectif de préservation de la ressource en eau.

Sur ce dernier point, la plupart des collectivités pourront avoir interêt à y conclure un bail agricole environnemental (plus précisément, régime de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime).

Mais le texte était étrangement rédigé. Il ne permettait d’utilisation qu’agricole.

Ce texte était clair en ce qu’il interdisait l’usage non agricole. Certes.

Mais il demeurait obscur en ce que se posait la question de savoir si l’on pourrait, ou non, NE PAS L’UTILISER (au profit par exemple de pratiques de « ré-ensauvagement » ou au minimum de renaturation.

MAIS la loi 3DS a modifié ce texte et désormais le bail rural n’est clairement qu’une possibilité, encore faut-il que ce soit avec clauses environnementales :

« « Les biens acquis peuvent être mis à bail. Les baux nouveaux comportent des clauses environnementales prévues au troisième alinéa de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime, de manière à garantir la préservation de la ressource en eau. Lorsque le bien acquis est déjà grevé d’un bail rural, le titulaire du droit de préemption ou le délégataire est tenu de proposer au preneur la modification du bail afin d’y introduire de telles clauses environnementales. Celles-ci sont introduites, au plus tard, lors du renouvellement du bail. »

En cas de cession du bien, il faudra y insérer des clauses d’obligations réelles environnementales (ORE) :

« Les biens acquis peuvent être cédés de gré à gré à des personnes publiques ou privées, à la condition que l’acquéreur consente à la signature d’un contrat portant obligations réelles environnementales, au sens de l’article L. 132-3 du code de l’environnement. Ce contrat prévoit, au minimum, les mesures garantissant la préservation de la ressource en eau. Il est conclu, pour une durée ne pouvant excéder quatre-vingt-dix-neuf ans, entre l’acquéreur et le titulaire ou le délégataire du droit de préemption et est annexé à l’acte de vente. » ;»

Il est d’ailleurs à noter (art. L. 218-12 du Code de l’urbanisme) que la commune ou le groupement de communes compétent pour contribuer à la préservation de la ressource doit ouvrir, dès institution d’une zone de préemption, un registre sur lequel sont :

    • d’une part, inscrites les acquisitions réalisées par exercice du droit de préemption
    • d’autre part, mentionnée l’utilisation effective des biens ainsi acquis.

XIII. Quels contrats pourra-t-on envisager pour l’exploitation de sur ces parcelles ?

Naturellement, ces biens acquis pourront donner lieu à baux ruraux ou être concédés temporairement à des personnes publiques ou privées, à la condition que ces personnes les utilisent aux fins prescrites par un cahier des charges, qui devra prévoir les mesures nécessaires à la préservation de la ressource en eau et qui devra être annexé à l’acte de vente, de location ou de concession temporaire.

En fait, il s’agira donc le plus souvent, sauf gestion en régie par exemple via des maraîchages bio pour la restauration scolaire comme des communes commencent à le développer, de recourir au régime de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime.

En effet, ce texte permet, dans sa mouture issue d’une loi de 2014, d’introduire des clauses environnementales lors de la conclusion ou du renouvellement des baux ruraux : et même ces clauses environnementales sont-elles désormais obligatoires en pareil cas depuis la loi 3DS.

Cela dit, il ne s’agira pas de faire n’importe quel contrat sur mesure. Les baux du domaine privé de l’État, des collectivités territoriales, de leurs groupements ainsi que des établissements publics, lorsqu’ils portent sur des biens ruraux sont soumis au statut du fermage (article L. 415-11 du code rural et de la pêche maritime).

Attention : dans un arrêt en date du 16 octobre 2013, la Cour de cassation affirme que « la présence de clauses exorbitantes de droit commun dans un bail rural n’a pas pour effet de conférer un caractère administratif à la convention » (Cass.civ.1ère, 16 octobre 2013, pourvoi n° 12-25310). Combiné avec l’article L. 415-11 du code rural et de la pêche maritime, il en ressort nettement que les collectivités ne peuvent tenter de basculer ces contrats dans le régime du droit public classique…

Surtout, s’imposera un régime d’appel à candidature en cas de mise à bail ou de cession du bien (avec donc clauses environnementales ou ORE) :

 Art. R. 218-19. – La mise à bail ou la cession d’un bien acquis par le titulaire du droit de préemption, par application du présent chapitre, fait l’objet d’un appel de candidatures qui est précédé de l’affichage d’un avis à la mairie du lieu de situation de ce bien pendant au moins quinze jours.
« Cet avis décrit la désignation sommaire du bien, précise sa superficie totale, le nom de la commune, celui du lieudit ou la référence cadastrale et la mention de sa classification dans un document d’urbanisme s’il en existe, indique le délai dans lequel les candidatures doivent être présentées ainsi que les coordonnées du service susceptible de délivrer les compléments d’information relatifs à l’appel à candidature.
« En cas de mise à bail, l’avis énonce l’exigence d’un bail conforme aux dispositions de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime et énumère les clauses environnementales relatives aux mesures nécessaires à la préservation de la ressource en eau proposées.
« En cas de cession, l’avis énonce l’exigence d’un contrat portant obligations réelles environnementales, au sens de l’article L. 132-3 du code de l’environnement, et énumère les obligations réelles environnementales envisagées pour assurer la préservation de la ressource en eau. Il mentionne le prix envisagé.

« Art. R. 218-20. – Les biens acquis par application du présent chapitre peuvent être mis à la disposition de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural par les personnes publiques propriétaires, dans le cadre des conventions prévues par l’article L. 142-6 du code rural et de la pêche maritime.
« Ces conventions comprennent des dispositions permettant d’assurer que l’usage agricole du bien sera maintenu ou rétabli, dans le respect de l’objectif de préservation de la ressource en eau. A cette fin, les baux visés au deuxième alinéa de l’article L. 142-6 du code rural et de la pêche maritime sont établis conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l’article L. 218-13.

« Art. R. 218-21. – Le titulaire du droit de préemption transcrit dans le registre prévu par l’article L. 218-12, les cessions, locations et mises à disposition réalisées en application de l’article L. 218-13. »

XIV. Et si une parcelle se trouve à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation en eau potable ?

Lorsqu’une parcelle est située à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation de captages d’eau potable relevant de communes ou de groupements de communes différents, l’ordre de priorité d’exercice de ces droits de préemption est fixé « par l’autorité administrative », selon le code (i.e. l’Etat).

Le décret précise que :

« Art. R. 218-7. – Conformément à l’article L. 218-4, lorsqu’une parcelle est située à l’intérieur de plusieurs aires d’alimentation de captages d’eau potable relevant de personnes publiques différentes, l’arrêté mentionné à l’article R. 218-5 précise l’ordre de priorité d’exercice des différents droits de préemption institués en application de l’article L. 218-1. Cet ordre de priorité est établi en fonction des dates d’instauration des droits de préemption.

Source : maquette du SDEA d’Alsace Moselle (photographie coll. personnelle)

XV. Ce droit de préemption prime-t-il sur les autres ?

Loin s’en faut, puisqu’au contraire la nouvelle loi dispose que les :

«  droits de préemption prévus aux articles L. 211-1, L. 212-2, L. 215-1 et L. 215-2 priment les droits de préemption prévus à l’article L. 218-1. 

XVI. Quelles sont les aliénations soumises à ce nouveau droit de préemption ?

Ce nouveau droit de préemption est moins vaste que celui des SAFER. Il est limité aux « aliénations mentionnées aux premier, deuxième, cinquième, sixième et septième alinéas de l’article L. 143-1 du code rural et de la pêche maritime ».

Ce qui  :

  • inclut les à titre onéreux de biens immobiliers à usage agricole et de biens mobiliers qui leur sont attachés ou de terrains nus à vocation agricole à quelques exceptions près.
  • inclut la plupart des bâtiments d’habitation faisant partie d’une exploitation agricole ou qui ont été utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des cinq dernières années qui ont précédé l’aliénation, pour leur rendre un usage agricole (quitte à conclure ensuite un bail environnemental par exemple)
  • n’inclut pas les bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles qui ont été utilisés pour l’exploitation de cultures marines exigeant la proximité immédiate de l’eau, dans le but de les affecter de nouveau à l’exploitation de telles cultures marines.
  • n’inclut pas l’aliénation à titre onéreux de bâtiments situés dans les zones ou espaces agricoles utilisés pour l’exercice d’une activité agricole au cours des vingt années qui ont précédé l’aliénation, et qui ont perdu cette affectation (la SAFER, elle, peut en revanche préempter pour rendre à ces bâtiments un usage agricole. Cela dit, cette limitation est elle même d’une assez grande complexité).
  • inclut, semble-t-il, les terrains nus les terrains ne supportant que des friches, des ruines ou des installations temporaires, occupations ou équipements qui ne sont pas de nature à compromettre définitivement une vocation agricole.
  • inclut, semble-t-il, les terrains à vocation agricole avec droits à paiement découplés créés au titre de la politique agricole commune (régime complexe avec rétrocessions partielles).
  • semble inclure l’aliénation à titre onéreux de l’usufruit ou de la nue-propriété des biens susmentionnés (dans les limites fixées par l’article L. 143-1 du Code rural et de la pêche maritime)..

Le décret, sur ce point, a opté pour une formulation concise :

« Art. R. 218-10. – Les dispositions des articles R. 213-9 à R. 213-13 s’appliquent, sous réserve des dispositions de la présente sous-section aux aliénations volontaires à titre onéreux, sous quelque forme que ce soit, de biens soumis au droit de préemption, à l’exception de celles qui sont réalisées sous la forme des adjudications soumises aux dispositions des articles R. 218-13 et R. 218-14.

Attention : les exceptions au droit de préemptionposées par les articles L. 143-4 et L. 143-6 du code rural et de la pêche maritime s’appliquent aussi à ce nouveau droit de préemption. 

 

XVII. Ce champ d’action sera-t-il efficace ?

Pas vraiment car de plus en plus, les cessions de biens se font par des cessions de parts de SCI ou autres sociétés… qui ne tombent pas (sauf interprétation extensive du juge) dans le champ de ce droit de préemption.

XVIII. Pourra-t-on envisager une préemption partielle ?

Ce droit de préemption peut s’exercer pour acquérir la fraction d’une unité foncière comprise à l’intérieur de la zone de préemption.

Mais, classiquement, dans ce cas, le propriétaire peut exiger que le titulaire du droit de préemption se porte acquéreur de l’ensemble de l’unité foncière.

Aux termes de l’article R. 218-17, nouveau, du code de l’urbanisme :

« Si le vendeur n’accepte pas une préemption partielle et exige que le titulaire du droit de préemption se porte acquéreur de l’ensemble de l’unité foncière, celui-ci peut soit accepter cette acquisition aux prix et conditions d’aliénation, soit renoncer à préempter. La décision du titulaire du droit de préemption doit être parvenue au notaire dans le délai de trente jours à compter de la date de réception de la décision du vendeur. Le silence du titulaire du droit de préemption à l’expiration de ce délai vaut renonciation et rétractation.»

XIX. Quelles sont les étapes de cette procédure ?

Les articles L. 218-8 à -11, nouveaux, du Code de l’urbanisme prévoient les étapes suivantes :

  • déclaration préalable « adressée par le propriétaire au titulaire du droit de préemption ou au délégataire » avec « obligatoirement l’indication du prix et des conditions de l’aliénation projetée ou, en cas d’adjudication, l’estimation du bien ou sa mise à prix. Lorsque la contrepartie de l’aliénation fait l’objet d’un paiement en nature, la déclaration doit mentionner le prix d’estimation de cette contrepartie », avec copie à la SAFER.
    Faute de déclaration d’intention d’aliéner (DIA), une action en nullité eut être exercée devant le tribunal judiciaire du lieu de situation du bien.
    Le décret ajoute les dispositions suivantes :« Art. R. 218-11. – La déclaration d’intention d’aliéner prévue à l’article L. 218-8 est adressée en quatre exemplaires au titulaire du droit de préemption par pli recommandé avec demande d’avis de réception, déposée contre décharge ou adressée par voie électronique en un seul exemplaire dans les conditions prévues par les articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l’administration. Elle est établie dans les formes prescrites par un arrêté du ministre chargé de l’urbanisme.
  • un silence de deux mois vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption. Le titulaire de ce droit de préemption peut, dans ce délai de deux mois, adresser au propriétaire une demande unique de communication des documents permettant d’apprécier la consistance et l’état de l’immeuble ainsi que, le cas échéant, la situation sociale, financière et patrimoniale de la société civile immobilière, avec copie à la SAFER. Le délai de deux mois est suspendu à compter de la réception de cette demande et reprend à compter de la réception des documents demandés par le titulaire du droit de préemption. Si le délai restant est inférieur à un mois, le titulaire dispose d’un mois pour prendre sa décision. Passés ces délais, son silence vaut renonciation à l’exercice du droit de préemption.
    A ceci, le décret ajoute les dispositions suivantes :« Art. R. 218-12. – Le délai de deux mois prévu au deuxième alinéa de l’article L. 218-8 court à compter de la date de l’avis de réception postal du premier des accusés de réception ou d’enregistrement délivré en application des articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l’administration, ou de la décharge de la déclaration.
    « Le délai est suspendu, en application du quatrième alinéa de l’article L. 218-8, à compter de la réception par le propriétaire de la demande unique formée par le titulaire du droit de préemption en vue d’obtenir, le cas échéant, la communication de l’un ou de plusieurs des documents suivants :
    « 1° Les extraits de l’avant-contrat de vente contenant les éléments significatifs relatifs à la consistance et l’état de l’immeuble ;
    « 2° Les servitudes en cours ;
    « 3° Les éventuelles hypothèques ;
    « 4° Les procès-verbaux de bornage antérieurement réalisés ;
    « 5° Les obligations réelles environnementales mises en œuvre en application de l’article L. 132-3 du code de l’environnement ;
    « 6° Les baux en cours ;
    « 7° Les clauses environnementales mises en œuvre en application de l’article L. 411-27 du code rural et de la pêche maritime ;
    « 8° Le cahier des charges applicable en application de l’article R. 142-1 du code rural et de la pêche maritime, si le bien a été acquis par attribution par une société d’aménagement foncier et d’établissement rural ;
    « 9° Lorsqu’il en a connaissance, les engagements pris par l’exploitant sur la parcelle dans le cadre de l’octroi d’une aide publique susceptibles d’être opposables au futur propriétaire ou au futur exploitant ;
    « 10° La situation, les caractéristiques et la situation administrative des ouvrages de prélèvement, puits ou forage ;
    « 11° L’implantation et les caractéristiques de drains agricoles ;
    « 12° L’existence et la description du système d’irrigation ;
    « 13° Si le propriétaire est une société civile immobilière dont les parts sont cédées :
    « a) Les statuts à jour de la société ;
    « b) Les livres et les documents établis pour le dernier exercice social clos mentionnés à l’article 1855 du code civil ;
    « c) Le rapport de reddition de compte établi pour le dernier exercice social clos mentionné à l’article 1856 du code civil ;
    « d) A défaut des documents mentionnés aux 3° et 4°, un état certifié par le gérant établissant la composition de l’actif ainsi que du passif de la société civile immobilière et précisant le bénéfice du dernier exercice social clos.»
  • Lorsqu’il envisage d’acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai copie de la déclaration d’intention d’aliéner au responsable départemental des services fiscaux. Cette déclaration fait l’objet d’une publication et de diverses notifications. 
    Dans tous les cas, l’intention d’acquérir le bien impose au titulaire de droit de préemption l’information suivante :« Art. R. 218-15. – Lorsqu’il envisage d’acquérir le bien, le titulaire du droit de préemption transmet sans délai une copie de la déclaration prévue à l’article L. 218-8, éventuellement par voie électronique, en indiquant la date de l’avis de réception, de la décharge de cette déclaration, ou du premier des accusés de réception ou d’enregistrement délivré en application des articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l’administration au directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques, en lui précisant si cette transmission vaut demande d’avis.
    « Dès lors que le prix ou l’estimation figurant dans la déclaration d’intention d’aliéner ou que le prix que le titulaire envisage de proposer excède le montant fixé par l’arrêté du ministre chargé du domaine prévu à l’article R. 1211-2 du code général de la propriété des personnes publiques, la transmission vaut demande d’avis.
    « L’avis du directeur départemental ou, le cas échéant, régional des finances publiques doit être formulé dans le délai de trente jours à compter de la réception la demande d’avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l’acquisition.… et plus généralement :« Art. R. 218-16. – Les demandes, offres et décisions du titulaire du droit de préemption et des propriétaires prévues par le présent titre sont notifiées par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, par acte d’huissier, par dépôt contre décharge ou par voie électronique dans les conditions prévues aux articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l’administration.
  • le reste de la procédure suit à d’infimes détails près le droit usuel, notamment en matière de fixation du prix de préemption.

Avec ce régime en cas de « ventes par adjudication lorsque cette procédure est rendue obligatoire de par la loi ou le règlement » :

« Art. R. 218-13. – Les dispositions de la présente sous-section sont applicables à toute vente par adjudication d’un bien soumis au droit de préemption en application de l’article L. 218-1 lorsque cette procédure est rendue obligatoire par une disposition législative ou réglementaire, ou lorsqu’elle est autorisée ou ordonnée par un juge. Elles ne s’appliquent pas à la vente mettant fin à une indivision créée volontairement et ne résultant pas d’une donation-partage.

« Art. R. 218-14. – Les ventes soumises aux dispositions de la présente sous-section doivent être précédées d’une déclaration du greffier de la juridiction ou du notaire chargé de procéder à la vente, faisant connaître la date et les modalités de la vente. Cette déclaration est établie dans les formes prescrites par l’arrêté prévu par l’article R. 218-10.
« Elle est adressée au titulaire du droit de préemption trente jours au moins avant la date fixée pour la vente, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie électronique dans les conditions prévues aux articles L. 112-11 et L. 112-12 du code des relations entre le public et l’administration. La déclaration fait l’objet des communications et transmissions mentionnées à l’article R. 218-15.
« Le titulaire du droit de préemption doit être informé, dans les huit jours, par le greffier de la juridiction ou le notaire chargé de procéder à la vente, des reports et des décisions d’adjudication.
« Le titulaire dispose d’un délai de trente jours à compter de l’adjudication pour informer le greffier ou le notaire de sa décision de se substituer à l’adjudicataire.
« La substitution ne peut intervenir qu’au prix de la dernière enchère ou de la surenchère.
« La décision de se substituer à l’adjudicataire est notifiée au greffier ou au notaire par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou par voie électronique.
« Copie de cette décision est annexée au jugement ou à l’acte d’adjudication et publiée au fichier immobilier en même temps que celui-ci. »

aspirine

XX. Ceci est-il à intégrer dans le « rapport annuel sur le prix et la qualité du service public d’eau potable destiné notamment à l’information des usagers.»

Oui. Ce rapport, prévu par l’article L. 2224-5 du CGCT, doit intégrer un rapport relatif au « plan d’action visant à contribuer au maintien ou à l’amélioration de la qualité de la ressource utilisée pour la production d’eau destinée à la consommation humaine » (art. R. 2224-5-2 et R. 2224-5-3 du CGCT) qui lui-même, donc, devra intégrer l’usage de ce droit de préemption, le cas échéant :

  • « Art. R. 2224-5-4. – Le rapport mentionné au dernier alinéa de l’article R. 2224-5-3 fait, en outre, état de l’utilisation du droit de préemption pour la préservation de la qualité de la ressource en eau destinée à la consommation humaine prévu au chapitre VIII du titre Ier du livre II du code de l’urbanisme dans le périmètre de l’aire d’alimentation concernée. Il comporte, à cet effet, un état recensant pour l’année concernée :
    « 1° Les décisions de préemption intervenues sur ce fondement, complétées de la mention des surfaces préemptées ;
    « 2° Les avis d’appel à candidatures intervenus au titre de l’article R. 218-19 du code de l’urbanisme, complétés de l’énoncé des clauses environnementales et des obligations réelles environnementales proposées pour assurer la préservation de la ressource en eau ;
    « 3° Les décisions de cession, location et mise à disposition des biens acquis, complétées, selon le cas, de l’énoncé des obligations réelles environnementales et des clauses environnementales retenues. » 

Le jeu des poupées russes, en somme (éléments sur la préemption dans un rapport sur la préemption dans un rapport sur le plan d’action sur la ressource qui lui-même est inséré dans le rapport annuel sur le prix et la qualité de l’eau).

Source : coll. personnelle (Islande 2020)