Chasse : la fin du jeu du chat et de la souris ? (décisions Grand Tétras et courlis cendré)

Il n’est parfois de meilleur comique que de répétition. Comme les carabines du même acabit.

En fait, le Conseil d’Etat ne cesse depuis des années d’annuler des décisions ministérielles illégales qui bravent le droit français et européen en autorisant la chasse à tel ou tel volatile de retour de ses migrations internationales (en fait la France a un problème avec ses migrants à plumes… faut croire).

Mais à ce jeu du chat et de la souris, les associations en général perdent faute — souvent —  d’urgence en référé (l’annulation de tel ou tel arrêté intervenant trop tard… ).

Voir plus largement ici nos nombreux articles de blog à ce sujet. 

Alors les associations ont utilisé une voie plus habile, dans le cadre particulier de la chasse au Grand Tétras, protégé dans certaines zones et pas dans d’autres.

L’article R. 424-14 du code de l’environnement dispose que :

« Le ministre chargé de la chasse fixe la nomenclature du gibier d’eau et des oiseaux de passage autres que la caille. Il peut, par arrêté pris après avis du Conseil national de la chasse et de la faune sauvage, suspendre pendant une durée maximale de cinq ans la possibilité de chasser certaines espèces de gibier qui sont en mauvais état de conservation

Elles ont donc demandé au ministre de prendre un tel arrêté pour protéger le Grand Tétras et attaqué la décision implicite de refus. Refus qui a été censuré hier par le Conseil d’Etat.

NB : ce qui prolonge une décision déjà qui était une importante étape en ce sens. Voir : CE, 17 décembre 2020, Association LPO France, n° 433432, rec. T. pp. 649-856. Voir aussi l’arrêt 445616 du Conseil d’Etat rendu le même jour. Sur le principe de cette démarche contentieuse, voir par exemple CE, 27 novembre 2019, Droits d’urgence et autres, n° 433520, rec. T. pp. 547-884. 

Voici l’intéressant résumé de cette décision du juge administratif tel que produit sur la base Ariane, préfigurant donc celui des futures tables du rec.

« Refus opposé à une demande tendant à ce que le ministre chargé de la chasse prenne, sur le fondement de l’article R. 424-14 du code de l’environnement, un arrêté suspendant la chasse du grand tétras sur le territoire métropolitain pour une durée de cinq ans. Si, du fait de l’inscription du grand tétras parmi les espèces énumérées à la partie B de l’annexe II de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 (directive « Oiseaux ») qui peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre des législations nationales et parmi celles mentionnées dans l’arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée, la chasse de cette espèce n’est pas interdite, elle doit être réglementée de telle manière que le nombre d’oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de l’espèce dans son aire de distribution. La gravité de la situation de cette espèce en mauvais état de conservation impose, afin de respecter les obligations qui découlent des objectifs de la directive 2009/147/CE, de s’abstenir de tout prélèvement de grand tétras sur l’ensemble du territoire pendant une durée assez longue. Si, dans le cadre de la gestion adaptative et pour la saison de chasse 2021-2022, la chasse du grand tétras n’a été autorisée dans aucun des six départements concernés par la chasse de cette espèce, du fait d’arrêtés préfectoraux fixant à zéro le quota des prélèvements autorisés, de tels arrêtés, par leur portée et leur durée, n’ont pas le même effet que la mesure de suspension susceptible d’être prise par le ministre chargé de la chasse sur le fondement de l’article R. 424-14 du code de l’environnement. Compte tenu de la situation de l’espèce et dans l’attente d’éventuelles données nouvelles sur l’évolution de son état de conservation, il s’avère que la chasse du grand tétras n’est pas compatible avec le maintien de l’espèce et qu’il est nécessaire de la suspendre sur l’ensemble du territoire métropolitain de la France pendant une durée suffisante pour permettre la reconstitution de l’espèce dans les différents sites de son aire de distribution. Par suite, illégalité du refus du ministre chargé de la chasse de prendre un arrêté de suspension de la chasse du grand tétras.»

Le juge administratif, conscient du contournement fréquent du droit en ce domaine, admet donc cette voie procédurale même quand l’animal n’est pas chassé en ce moment.

Ce n’est certes pas une voie de référé, mais une fois ces voies empruntées, les préfectures auront le plus grand mal à prendre une décision qui serait contraire, non pas seulement à des directives oiseaux et des décisions de la lointaine CJUE… mais plus directement à un arrêté du Ministre (pris donc après censure par le Conseil d’Etat).

C’est long. Mais à terme cela devrait être efficace pour sortir de ce jeu contentieux stérile et fait pour contourner le droit.

Le superbe grand tétras nous aura donc en sus aidé à prendre un peu de hauteur face aux jeux contentieux aussi mortifères que stériles…

Source : Conseil d’État, 1 juin 2022, n° 453232, à mentionner aux tables du recueil Lebon

MAIS ATTENTION car le même jour, le Conseil d’Etat ferme d’autres voies de droit pour d’autres situations.

Une association avait :

  •  directement attaqué le décret n° 2020-1092 du 27 août 2020 relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative ;
  • demandé qu’il soit enjoint à la ministre :
    • à titre principal, de désinscrire la barge à queue noire, le courlis cendré, le grand-tétras et la tourterelle des bois de l’arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée et de les inscrire sur la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire prévue par l’arrêté du 29 octobre 2009
    • et, à titre subsidiaire, de prendre sur le fondement de l’article R. 424-14 du code de l’environnement (celui cité ci-avant) des arrêtés suspendant la chasse de la barge à queue noire, du courlis cendré, du grand-tétras et de la tourterelle des bois.

Et ces recours ont été rejetés.

Voici le résumé de la base Ariane préfigurant celui des tables du rec. :

« Décret relatif à la liste des espèces soumises à gestion adaptative insérant au chapitre V du titre II du livre IV du code de l’environnement, après l’article R. 425-20, un nouvel article D. 425-20-1 fixant la liste des espèces soumises à gestion adaptative et mentionnant le grand-tétras, à compter de la saison cynégétique 2021-2022, la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois. 1 a) Le courlis cendré (Numenius arquata), la barge à queue noire (Limosa limosa), la tourterelle des bois (Streptopelia turtur) et le grand-tétras (Tetrao urogallus) figurent parmi les espèces énumérées en partie B de l’annexe II de la directive 2009/147/CE du 30 novembre 2009 (directive « Oiseaux ») qui peuvent faire l’objet d’actes de chasse dans le cadre des législations nationales et sont mentionnées à l’article 1er de l’arrêté du 26 juin 1987 fixant la liste des espèces de gibier dont la chasse est autorisée sur le territoire européen de la France et dans sa zone maritime. Il en résulte que leur chasse, qui n’est pas interdite, doit être réglementée de manière à ce que le nombre maximal d’oiseaux prélevés ne compromette pas les efforts de conservation de ces espèces dans leur aire de distribution. b) En soumettant au régime de la gestion adaptative le grand-tétras, la barge à queue noire, le courlis cendré et la tourterelle des bois, dont il n’est pas contesté qu’elles sont des espèces pour lesquelles les données scientifiques sont lacunaires, le pouvoir règlementaire, dans le cadre du pouvoir d’appréciation dont il dispose pour déterminer les espèces soumises à ce régime cynégétique, a visé à améliorer le recueil de données les concernant, en vue de renforcer les connaissances scientifiques sur leur état de conservation, leur habitat et leur population et, le cas échéant, d’ajuster leurs prélèvements, et n’a pas méconnu l’article L. 425-16 du code de l’environnement. 2) a) S’il n’est pas contesté qu’en l’état des connaissances scientifiques, ces quatre espèces sont en mauvais état de conservation, décret n’ayant n’a ni pour objet ni pour effet, par lui-même, d’autoriser d’éventuels prélèvements, une telle autorisation ne pouvant résulter, le cas échéant, que des arrêtés mentionnés aux articles L. 425-17 et R. 424-1 du code de l’environnement, lesquels peuvent fixer le niveau des prélèvements autorisés à zéro. b) Il appartient en outre au ministre chargé de la chasse, au vu, le cas échéant, des recommandations du comité d’experts sur la gestion adaptative, de faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article R. 424-14 du code de l’environnement et de suspendre la possibilité de chasser une espèce d’oiseau vivant à l’état sauvage en mauvais état de conservation, lorsque les données scientifiques disponibles sur l’espèce et sa conservation ne permettent pas de s’assurer que la chasse est compatible avec le maintien de la population et respecte une régulation équilibrée de l’espèce du point de vue écologique.»

Donc :

  • le mode d’emploi qui a fonctionné pour le grand Tétras ne devra pas être étendu aux oiseaux en mauvais état de conservation mais pour lesquels les informations que l’on a restent lacunaires
  • les recours en ces domaines devront bien à titre principal être focalisés sur des décisions de refus de prendre un arrêté de l’article R. 424-14…

Source : Conseil d’État, 1er juin 2022, n° 445616, à mentionner aux tables du recueil Lebon