Ressources en eau : le juge européen impose de prendre en compte tous les captages, même illégaux

Dans l’affaire C-559/19, Commission/Espagne, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) impose, en matière de ressources en eau (souterraines en l’espèce) de prendre en compte tous les captages, même illégaux. Le juge européen exerce aussi à cette occasion, mais c’est moins surprenant, un contrôle des « mesures appropriées pour éviter les perturbations des types d’habitats protégés situés dans ce parc naturel occasionnées » par les captages. 

NB : ce qui suit reprend en large partie (à quelques ajustements et ajouts près le communiqué de la Cour).

L’espace naturel de Doñana situé en Andalousie, au sud-ouest de l’Espagne, comprend notamment le parc national de Doñana et le parc naturel de Doñana. En 2006, trois zones protégées d’importance communautaire au titre de la directive « habitats » (92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, modifiée) ont été désignées dans ce dernier parc : Doñana (déjà zone de conservation des oiseaux depuis 1987), Doñana Norte y Oeste et Dehesa del Estero y Montes de Moguer.

Au cours de l’année 2009, la Commission et le Parlement ont reçu plusieurs plaintes et pétitions dénonçant la détérioration des habitats de l’espace naturel protégé de Doñana. En effet, c’est aussi dans cet espace que se trouvent, en dehors de ces zones protégées, les zones de culture européennes les plus importantes pour les fruits rouges, en particulier les fraises, pour l’irrigation desquelles des quantités importantes d’eaux souterraines sont puisées. Ce captage dépasse, dans certaines zones, le renouvellement des eaux souterraines, ce qui entraîne, depuis de nombreuses années, une baisse de leur niveau.

La Commission estimait que cette situation était constitutive d’un manquement au droit de l’Union, à savoir l’interdiction de détérioration prévue par la directive-cadre sur l’eau (2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 octobre 2000, modifiée) ainsi que, en ce qui concerne divers habitats dans les zones protégées qui s’assèchent du fait de la baisse du niveau des eaux souterraines, l’interdiction de détérioration prévue par la directive « habitats ». Elle a donc saisi la Cour d’un recours en manquement à l’encontre de l’Espagne.

Dans son arrêt de ce jour, la Cour accueille partiellement le recours de la Commission. Elle constate que l’Espagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive- cadre sur l’eau, et ce à deux égards.

En premier lieu, l’Espagne n’a pas pris en compte le captage d’eau illégal et le captage d’eau destiné à l’approvisionnement urbain lors de l’estimation du captage des eaux souterraines de la région de Doñana dans le cadre de la caractérisation plus détaillée du plan hydrologique du Guadalquivir 2015-2021.

En effet, selon la Cour, le plan hydrologique du Guadalquivir 2015-2021 ne contient pas toutes les informations nécessaires pour déterminer l’incidence de l’activité humaine sur les masses d’eau souterraines de la région de Doñana, au sens de la directive-cadre sur l’eau.

Le juge impose donc une vision pragmatique (une alternative eût été de ne prendre en compte que les captages légaux et de compter sur l’Etat membre pour mettre fin aux captages illégaux, mais cela n’aurait pas été rationnel : un captage illégal serait sans doute à terme remplacé par un captage légal d’ampleur comparable ou à peu près…).

En second lieu, l’Espagne n’a prévu, dans le programme de mesures établi dans le cadre de ce plan hydrologique, aucune mesure pour prévenir une perturbation des types d’habitats protégés situés dans la zone protégée Doñana par le captage des eaux souterraines pour les besoins de la zone touristique de Matalascañas (Espagne).

La Cour constate que la Commission a suffisamment démontré la probabilité que le captage excessif d’eau pour l’approvisionnement urbain de la zone touristique de Matalascañas ait occasionné des perturbations significatives dans les habitats protégés de la zone protégée Doñana, située à proximité de ce noyau touristique. Cette perturbation des habitats protégés aurait donc dû être prise en compte dans le programme de mesures élaboré par l’Espagne dans le cadre du plan hydrologique du Guadalquivir 2015-2021, aux fins de mettre un terme à la détérioration déjà constatée des types d’habitats protégés comme les mares temporaires méditerranéennes. Or, le programme de mesures invoqué par l’Espagne ne contient pas de mesures visant à mettre un terme à la détérioration déjà constatée des types d’habitats protégés dans la zone protégée située à proximité de Matalascañas.

En revanche, la Cour considère que la Commission n’a pas établi que l’Espagne a manqué à son obligation de prévenir la détérioration de l’état des masses d’eau souterraines de l’espace naturel protégé de Doñana, au sens de la directive-cadre sur l’eau. En particulier, la Commission n’a pas établi que les masses d’eau souterraines de l’espace naturel protégé de Doñana qui sont déjà dans un mauvais état, se sont détériorées davantage supposant un accroissement supplémentaire du déficit déjà existant et donc une surexploitation accrue par rapport à une situation antérieure.

Par ailleurs, la Cour constate aussi un manquement aux obligations découlant de la directive « habitats », eu égard au fait que l’Espagne n’a pas pris les mesures appropriées pour éviter les perturbations significatives des types d’habitats protégés, situés dans les trois zones protégées « Doñana », « Doñana Norte y Oeste » et « Dehesa del Estero y Montes de Moguer », occasionnées par le captage des eaux souterraines de l’espace naturel protégé de Doñana depuis le 19 juillet 2006.

La Cour relève qu’il ressort de plusieurs données scientifiques que la surexploitation de l’aquifère de Doñana a conduit à une baisse du niveau des eaux souterraines occasionnant une perturbation constante des zones protégées de l’espace naturel protégé de Doñana. Ces données témoignent en particulier de l’incidence des captages d’eau destinés à l’approvisionnement urbain de la zone touristique de Matalascañas sur les écosystèmes de la zone protégée Doñana, notamment sur les types d’habitats prioritaires constitués par les mares temporaires méditerranéennes. Elles confirment, d’une part, que les détériorations de ces habitats persistent et que l’état de ceshabitats continuera à se détériorer en raison de la baisse du niveau des eaux souterraines dudit aquifère et, d’autre part, que l’Espagne n’a pas pris les mesures nécessaires aux fins de mettre un terme à de telles détériorations.

Source : CJUE, 24 juin 2021, n° C-559/19