Arrêtés anti-pesticides : les décisions de Justice se suivent et ne se ressemblent pas [suite et pas fin… avec une décision à contre courant ce jour]

Arrêtés anti-pesticides : les décisions de Justice se suivent et ne se ressemblent pas (mais, sans grande surprise, les censures l’emportent de loin). Ce jour, 30 décembre, par une décision à la rédaction « très charpentée », le TA de Cergy-Pontoise a refusé de censurer un déféré (confirmant une décision déjà de ce même tribunal, mais en sens inverse d’une autre ordonnance… de de même tribunal !). Mais l’immense majorité des juges ont accepté les déférés préfectoraux (Rennes, Grenoble, Melun, Versailles, Nantes…), avec des différences de formulation, cela dit, qui sont notables quant aux cas où un maire pourrait s’immiscer dans ce qui relève du pouvoir de police spéciale de l’Etat (lequel est en carence cela dit). 

Voici donc un point du droit en ce domaine, que nous avons tenté de continuer de mettre à jour au fil des décisions… 

 

 

 

I. VIDEO

 

Toujours plus nombreux sont les maires qui prennent des arrêtés anti-pesticides.

Certes celui du maire de Langouët a-t-il été suspendu par le TA de Rennes (Ord. 27 août 2019, n° 1904033)… puis annulé. Et pour l’instant, toutes les décisions ont été en ce sens SAUF UNE (voir TA Cergy-Pontoise, ord., 8 novembre 2019, n°1912597 et n° 1912600 [2 esp.] : 1912597 A et 1912600 A)

Mais, en dépit de la majorité des décisions de Justice ainsi rendues à ce stade au premier degré, ces maires qui dégainent leurs arrêtés s’appuient sur des bases juridiques moins fragiles qu’il n’apparaît de prime abord, d’une part en raison des cas où le juge a pu admettre l’intervention du pouvoir de police générale du maire, et d’autre part en raison de la carence de l’Etat en ce domaine aux termes d’un arrêt du Conseil d’Etat de juin dernier.

Nous avons voulu présenter une vidéo à ce sujet avec :

1/ une présentation juridique générale par Me Eric Landot

2/ une présentation d’un cas particulier à la faveur d’un entretien vidéo qu’Emmanuel CATTIAU,  Directeur Général des Services de Savigny-le-temple, a bien voulu nous donner. Nous le remercions pour son intervention tout à fait passionnante.
http://www.savigny-le-temple.fr

 

N.B.: pour la censure de l’arrêté pris par cette commune en dépit des arguments forts que celle-ci pouvait faire valoir, voir :

 

3/ des conseils juridiques très opérationnels par Me Yann LANDOT qui permettent de passer d’embrayer vers la vie réelle et la tentative de sécurisation de tels arrêtés. Avec l’espoir que de tels arrêtés, bien calibrés, pourront convaincre des juges administratifs au delà des premières apparences.

yann.landot@landot-avocats.net

 

Voici cette vidéo de 13 mn 46 faite avant la nouvelle des deux ordonnances du TA de Cergy-Pontoise et des ordonnances du TA de Melun, toutes rendues le 8 novembre 2019, mais nos analyses juridiques allaient dans le sens de ces possibles interprétations contradictoires justement :

 

 

 

II. L’état du droit à ce jour

 

II.A. Premiers revers pour les maires

 

La suspension de l’arrêté anti-pesticides du maire de Langouët par le TA de Rennes (Ord. 27 août 2019, n° 1904033) a en premier lieu douché les espoirs des maires qui souhaitent une protection de la population contre les pesticides, le glyphosate en premier lieu.

Voir :

 

A noter : dans la foulée du TA de Rennes, le TA de Besançon a annulé, lui aussi, des arrêtés anti-pesticides en estimant que nous sommes dans un domaine (comme les compteurs Linky ; voir ici) il n’y a pas de place pour l’usage du pouvoir de police générale du maire à côté du pouvoir de police spéciale de l’Etat (voir ci-dessous qu’en revanche dans de nombreux autres domaines le juge a admis un tel concours de pouvoirs de police, ce n’est donc pas si simple)…

Au contraire du TA de Rennes, le TA de Besançon a pris en compte le cadre juridique propre aux pesticides (CE, 26 juin 2019, n° 415426, 415431) mais en rejetant l’idée d’une carence de l’Etat au motif que le délai de six mois fixé par ledit arrêt pour que l’Etat agisse n’est pas expiré, ce qui se discute.

Voir TA Besançon, ord. 16 septembre 2019, n°1901464 et n°1901465

 

II.B. Arguments juridiques évoqués par les maires sur le fait que leur pouvoir de police générale peut trouver à s’appliquer, soit en raison de circonstances locales particulières, soit en raison de la carence de l’Etat (jugée par le CE lui-même), soit en raison d’une urgence particulière

Mais ce n’est pas si simple. En effet, à la condition de faire montre d’une grande prudence juridique, les nombreux maires qui en dépit de cette première décision dégainent leurs arrêtés s’appuient :

  • sur le fait que le juge admet que le maire, au titre de ses pouvoirs de police générale, intervienne parfois en cas de situation particulière même dans les domaines où l’Etat dispose d’un pouvoir de police spéciale (CE, S., 18 décembre 1959, Lutétia, n°36385 36428, publié au rec.) avec des combinaisons au final entre pouvoir de police générale du maire et pouvoirs de police spéciale qui restent bâtis par le juge régime par régime (pour deux exemples récents voir CE, 5 juin 2019, n° 417305 et CE, 27 juillet 2015, 367484). Pour un exemple récent, voir :
  • sur un cadre juridique spécifique aux pesticides qui laisse ( peut-être ?) un peu de marge de manoeuvre aux maires. En effet, le Conseil d’État, dans une décision du 26 juin 2019, a annulé l’arrêté du 4 mai 2017 qui réglemente les épandages et a enjoint à l’Etat de prendre des mesures de protection des riverains supplémentaires d’ici la fin de l’année (CE, 26 juin 2019, n° 415426, 415431). Ce point est tout à fait déterminant. Tant le TA de Rennes que celui de Besançon ont écarté cet argument au motif que le délai d’injonction de six mois n’était pas expiré… mais cet argument peut se retourner (c’est justement en période de carence du pouvoir de police spéciale que le pouvoir de police générale serait fondé à intervenir !?).
  • sur un pouvoir de police des maires tiré de l’article L. 1311-2 du code de la santé publique (mais les TA de Rennes et de Besançon estiment que le maire ne peut à ce titre que compléter le pouvoir de police de l’Etat, ce qui se discute… surtout en période de carence de l’Etat où justement le moins qu’on puisse dire est qu’il y a beaucoup à compléter).

 

II.C. Arguments environnementaux du point de vue des maires qui ont pris de tels arrêtés

 

Ce qui nous ramène à l’importance des preuves de trouble propre à la commune, au calibrage en termes de distance, etc.

Tout ceci doit en sus être combiné avec les études en ce domaine…

Sources sur cette dangerosité : depuis 2015, le glyphosate est classé comme « cancérigène probable » par le Centre International de Recherche sur le Cancer (CIRC), agence spécialisée relevant de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Le rapport n°42 (2012 – 2013) de la mission parlementaire commune d’information sur les pesticides et leur impact sur la santé du 10 octobre 2012 relève les dangers et risques résultant du recours aux pesticides. L’INSERM a produit une étude inquiétante sur les pesticides, la grossesse et la petite enfance, puis une autre sur l’exposition aux pesticides et au chlorécone et le risque de survenue d’un cancer de la prostate  (2018 et 2019). etc. 

… et être calibré en prenant en compte le fait que l’Etat de son côté lancé une consultation sur un projet de décret avec des distances entre usage de pesticides et habitations qui oscillerait selon les cas entre 3, 5 ou 10 m !

Voir :

 

Comment tirer au mieux parti de ce cadre pour tenter de sécuriser en droit ces arrêtés, ce qui à la base n’est pas une tâche facile ? Car en ce domaine, il est clair que le droit ne va pas du tout dans le sens des maires de prime abord.

 

Evidemment, comme toujours en matière de pouvoirs de police, il faut surtout tenter de limiter la portée de l’arrêté selon une grille séculaire. Le juge administratif contrôle en effet le dosage des pouvoirs de police en termes :

• de durée (CE Sect., 25 janvier 1980, n°14 260 à 14265, Rec. p. 44) ;
• d’amplitude géographique (CE, 14 août 2012, n° 361700) ;
• de contenu même desdites mesures (voir par exemple CE, Ass., 22 juin 1951, n° 00590 et 02551 ; CE, 10 décembre 1998, n° 107309, Rec. p. 918 ; CE, ord., 11 juin 2012, n° 360024…).

Pour quelques exemples par analogie avec d’autres domaines voir TA Besançon, ord., 28 août 2018, n° 1801454. CE, 4 novembre 2015, n° 375178. CAA de Nantes 31 mai 2016, n°14NT01724, puis n°15NT03551 du 7 juin 2017. Voir aussi le même raisonnement, par analogie, pour les arrêtés dits de couvre feu (CE, ord., 9 juillet 2001, n° 235638 ; voir aussi CE, ord., 29 juillet 1997, n° 189250 puis CE, 10 août 2001, n° 237008 et n° 237047 [2 esp.] ; CAA Marseille, 13 septembre 2004, n° 01MA02568 ; CE, 30 juillet 2001, n° 236657).

 

Mais comment faire concrètement ? Voir la vidéo ci-avant…

 

II.D. La toute petite brèche ouverte par les TA de Versailles et de Melun

 

C’est là qu’intervient une décision importante du TA de Versailles, toujours en référé suspension. Certes le juge en question a-t-il suspendu cet arrêté. Mais ce juge des référés a admis (en raison de l’arrêt du CE du 26 juin 2019, susmentionné) qu’il :

« existe, actuellement, une carence de la police spéciale de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques en ce qui concerne la protection des riverains des zones traitées qui justifie l’intervention en urgence du maire, sur le fondement de ses pouvoirs de police générale, en cas de danger grave ou imminent.»

Ce point est déterminant. Ensuite, et de manière moins favorable aux communes, ce TA pose que :

« 13. Toutefois, en l’état de l’instruction, la seule production des résultats bruts des analyses d’urines d’une quarantaine d’habitants ne suffit pas à établir l’existence d’un danger à très court terme. Par ailleurs, la carence de l’Etat apparaissant provisoire, aucune circonstance locale particulière ne justifie non plus que le maire du Perray-en-Yvelines se substitue aux autorité étatiques.

« 14. Par ailleurs, en application de l’article L. 1311-2 du code de la santé publique, le maire ne peut que compléter un décret pris en matière de santé publique sur le fondement de l’article L. 1311-1 du même code. »

Voir TA Versailles, 20 septembre 2019, Préfet des Yvelines, n°1906708, C+

190920-ORDO RÉFÉRÉ VERSAILLES – LE PERRAY

 

Les formulations de ce TA ressemblent un peu sans les recouper à celles adoptées plus récemment par le TA de Melun (ord., 8 novembre 2019, n°1908665) :

 

Citons un extrait de cette ordonnance rendue collégialement, selon laquelle le maire :

« […] ne pourrait, à titre exceptionnel, faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales que pour adopter des mesures ponctuelles destinées à prévenir un danger ou à y mettre fin, et à la double condition de l’existence d’un péril imminent et d’une carence de la police spéciale.»

Autant dire que l’entrebâillement de la porte ouverte aux pouvoirs de police du maire reste, pour ce TA, une ouverture très, très limitée.

 

II.E. Les positions plus strictement orthodoxes des TA de Grenoble, de Toulouse, de Rennes et de Nantes

 

Le TA de Grenoble a suspendu l’arrêté du maire de Saoû (26) réglementant l’utilisation de produits phytopharmaceutiques sur le territoire de sa commune…. en posant que seules les autorités d’état sont compétentes pour prendre une telle décision, ce qui , sauf en cas de péril imminent, cette condition n’étant pas remplie en l’espèce selon ce juge. Cela ouvre une autre porte, en cas de péril imminent… qui aidera rarement les maires mais bon…

TA Grenoble, 1er octobre 2019, n°1906106 :

1906106

 

Dans le même sens, mais au fond cette fois et non plus en référé, vint un jugement du TA de Rennes. Le jugement repose sur un point de principe très clair et plus rigide encore que ce qui était écrit par les TA de Versailles, voire de Grenoble :

« ni les dispositions du [CGCT] ayant donné au maire, responsable de l’ordre public sur le territoire de sa commune, le pouvoir de prendre les mesures de police générale […], ni les articles L. 1311-1 et L. 1311-2 du [CSP] lui permettant d’intervenir pour préserver l’hygiène et la santé humaine, ni l’article 5 de la Charte de l’environnement, ni enfin le principe de libre administration des collectivités territoriales ne sauraient en aucun cas permettre au maire d’une commune de s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale par l’édiction d’une réglementation locale. »

En aucun cas, donc même pas en cas d’urgence ou de carence… ce qui est discutable pour le cas de la carence (mais correspond au point de vue majoritaire) et s’avère plus discutable encore en cas d’urgence (quitte à dire qu’en l’espèce il n’y a pas urgence, ce qui peut s’entendre même si nous pensons que ce n’est pas le cas… mais ce serait discutable. Mais dire que le maire ne peut en AUCUN CAS agir, c’est un peu énorme quand même). A comparer avec les TA de Versailles ou de Melun (voir ci-avant II.D…) qui, eux , envisagent une telle possibilité dans des cas, certes, fort limités.

 

Voir ce jugement :

  • TA Rennes, 25 octobre 2019, n° 1904029.

 

Voir, aussi, en référé, plutôt dans le même sens, le TA de Toulouse :

  • TA Toulouse, ord. 31 octobre 2019, n°1905869 :

 

Voir aussi deux décisions concernant les communes de Nantes et de Rézé, dans le même sens, rendues par le TA de Nantes (deux ordonnances du 29 novembre 2019) :

> Lire la décision 1912046

> Lire la décision 1912047

 

 

III. En sens inverse, mais dans un cadre urbain qui porte donc plus sur les usages domestiques (ou collectifs mais non publics comme les copropriétés…), l’absence de suspension décidée par le TA de Cergy-Pontoise ouvre un petit espoir pour les maires concernés

 

Par un arrêté du 20 mai 2019, le maire de Sceaux a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques sur le territoire de sa commune. Par ailleurs, le 13 juin 2019, l’utilisation de pesticides a été interdite par le maire de Gennevilliers pour l’entretien de certains espaces de son territoire.

Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre ces décisions.

Par deux ordonnances du 8 novembre 2019, celui-ci a toutefois rejeté les déférés-suspension du préfet au motif qu’aucun des moyens soulevés n’était de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité des arrêtés en cause.

La police administrative des produits phytopharmaceutiques relève de la compétence du ministre de l’agriculture. Le maire d’une commune ne peut en principe pas s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale par l’édiction d’une réglementation locale, sauf notamment en cas de danger grave ou imminent.

Le juge des référés du TA de Cergy-Pontoise a cependant constaté que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l’autorité administrative n’a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique. BREF les arguments évoqués ci-avant en points II.B. et II.C., à rebours des décisions évoquées ci-avant en points II.A. et II.E.

En l’espèce, les maires de Sceaux et Gennevilliers ont interdit l’utilisation de ces produits dans les espaces fréquentés par le public, en raison notamment de l’importance des populations vulnérables sur leur territoire. Le juge des référés a estimé qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que ces maires ont considéré que les habitants de leurs communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause.

 

VOIR CES DÉCISIONS :

  • TA Cergy-Pontoise, ord., 8 novembre 2019, n°1912597 et n° 1912600 [2 esp.] :

 

IV. Sauf qu’un juge des référés du même TA de Cergy-Pontoise a, quant à lui, quelques jours après la première ordonnance de ce TA, statué dans le même sens que les autres TA

 

Par un arrêté du 3 septembre 2019, le maire de Courbevoie a interdit l’utilisation du glyphosate et d’autres substances chimiques contenant des perturbateurs endocriniens sur le territoire de sa commune.

Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre cette décision.

Par une ordonnance du 14 novembre 2019, le juge des référés a fait droit à la demande du préfet au motif que le moyen tiré de l’incompétence du maire de Courbevoie était propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté contesté.

La police administrative des produits phytopharmaceutiques relève de la compétence du ministre de l’agriculture. Le maire d’une commune ne peut en principe pas s’immiscer dans l’exercice de cette police spéciale par l’édiction d’une réglementation locale, sauf notamment en cas de danger grave et imminent.

Dans les circonstances de l’espèce, le juge a estimé que la commune de Courbevoie n’établissait pas que le glyphosate était effectivement utilisé sur son territoire. En outre, l’existence d’un danger à court terme sur son territoire n’était pas davantage établie. Ainsi, aucune circonstance locale ne justifiait que la commune s’immisce dans l’exercice de la police spéciale relevant de la compétence du ministre de l’agriculture.

Le juge en charge des référés n’était, ce jour là, pas le même que celui des décisions du 8 novembre 2019…

Voir TA Cergy-Pontoise, ord. 14 novembre 2019, n° 1913251 :

 

V. La position du TA de Rouen à l’unisson, ou presque donc, des autres TA

 

Le préfet de la Seine-Maritime demandait au tribunal de suspendre cet arrêté, au motif que la maire n’était pas compétente pour prononcer une mesure d’interdiction relevant des pouvoirs de police administrative spéciale du ministre de l’agriculture. Dans ses écritures contentieuses, la commune invoquait l’utilisation de pesticides pour l’entretien des voies d’une gare de triage dont l’emprise représente environ un quart de son territoire et qui est située à proximité d’une zone densément peuplée.

L’arrêté, qui s’en tient à des considérations générales tenant à la publication d’études scientifiques relatives à la toxicité des pesticides, ne mentionne pas de circonstances locales particulières. Ces dernières ne pourraient d’ailleurs pas être prises en compte en l’absence d’éléments au dossier permettant d’établir une situation de péril imminent, seule à même de justifier une immixtion du maire dans l’exercice d’un pouvoir de police spéciale confié au ministre. Si la commune invoquait une décision du Conseil d’Etat ayant annulé un arrêté ministériel en ce qu’il ne prévoyait pas de dispositions destinées à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques, il ressort toutefois de cette décision que le Conseil d’Etat a enjoint aux ministres compétents de prendre les mesures réglementaires qui s’imposent dans un délai de six mois. Or, ce délai n’était pas expiré à la date de l’arrêté attaqué (ce qui fonde donc l’absence de carence du point de vue de ce TA comme d’autres alors que selon nous c’est justement ce qui signe cette carence : le CE n’a pas annulé un acte avec effet différé : il a donné un délai à l’Etat pour combler cette carence. Nuance…)

Pour l’ensemble de ces raisons, le juge des référés a suspendu l’arrêté en attendant qu’il soit statué au fond sur sa légalité.

TA Rouen, ord., 13 novembre 2019, 1903763 :

 

VI. Puis, ce jour, le TA de Cergy-Pontoise a refusé, par une ordonnance de ce jour, à la rédaction très motivée, un déféré préfectoral

 

Le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a ce jour rejeté le déféré-suspension du préfet des Hauts-de-Seine relatifs à l’arrêté du maire de Chaville interdisant l’utilisation du glyphosate et de certains produits phytopharmaceutiques

Par un arrêté pris le 20 novembre 2019, le maire de Chaville a interdit l’utilisation du glyphosate et de certains produits phytopharmaceutiques l’ensemble du territoire de leur commune.

Le préfet des Hauts-de-Seine a demandé au juge des référés du tribunal administratif de suspendre l’exécution de cette décision.

Par une ordonnance du 27 décembre 2019, le juge a estimé, dans le même sens que pour les ordonnances du 19 décembre relatifs aux arrêtés similaires pris par les maires de Malakoff, Bagneux et Nanterre, qu’eu égard à la situation locale, c’est à bon droit que le maire a considéré que les habitants de sa communes étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’ils interdisent l’utilisation des produits en cause. Mais en sens inverse d’une autre ordonnance de ce même juge… Voir le point 9 à la rédaction très charpentée :

« 9. Il ne saurait être sérieusement contesté que les produits phytopharmaceutiques visés par l’arrêté en litige, qui font l’objet d’interdictions partielles mentionnées à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime précité, constituent un danger grave pour les populations exposées, notamment celles mentionnées au I de ce même article et définies à l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 ou celles présentes à proximité des espaces et lieux mentionnés à l’article L. 253-7-1 du même code. L’existence d’un risque grave est d’ailleurs révélée par la décision du 9 décembre 2019 de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail de procéder au retrait des autorisations de trente-six produits à base de glyphosate. La commune de Chaville, qui compte près de 20 000 habitants, soutient sans être utilement contestée qu’elle subit une pollution considérable du fait des infrastructures majeures de transport présentes sur son territoire. Elle est engagée depuis de nombreuses années dans la protection de l’environnement et participe notamment au programme « zéro pesticide ». La commune se prévaut, en outre, de l’importance des populations vulnérables sur son territoire et notamment celles accueillies dans ses treize crèches, huit écoles, deux collèges. Lors du débat oral, la commune insiste tout particulièrement et de manière très circonstanciée, sans être nullement contredite, sur la spécificité du territoire de la commune de Chaville qui est traversé par plus de cinq km de voies ferrées. Elle souligne notamment l’emplacement de sa maison de retraite qui accueille plus de cent résidents, qui est à proximité des voies ferrées dont l’entretien implique l’utilisation d’herbicides contenant du glyphosate. Elle ajoute que les équipements scolaires publics et privés accueillant plus de 3 900 enfants sont très souvent situés en bordure des voies ferrées. Il est également constant que, par une décision nos 415426-415431 du 26 juin 2019, le Conseil d’État statuant au contentieux a annulé l’arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, notamment en tant qu’il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques, après avoir considéré que ces riverains devaient être regardés comme des « habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme », au sens de l’article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 et rappelé qu’il appartient à l’autorité administrative de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé publique. Dans ces conditions, eu égard à la présomption suffisamment établie de dangerosité et de persistance dans le temps des effets néfastes pour la santé publique et l’environnement des produits que l’arrêté attaqué interdit sur le territoire de la commune de Chaville, et en l’absence de mesures réglementaires suffisantes prises par les ministres titulaires de la police spéciale, le maire de cette commune a pu à bon droit considérer que les habitants de celle-ci étaient exposés à un danger grave, justifiant qu’il prescrive les mesures contestées, en vertu des articles L. 2212-1, L. 2212-2,5° et L. 2212-4 précités du code général des collectivités territoriales, et ce alors même que l’organisation d’une police spéciale relative aux produits concernés a pour objet de garantir une cohérence des décisions prises au niveau national, dans un contexte où les connaissances et expertises scientifiques sont désormais largement diffusées et accessibles. »

Voici cette décision : TA Cergy-Pontoise, 30 décembre 2019, n°1915046 :

 

VII. Pendant ce temps… le vent tourne un peu, mais lentement (cela dit les acteurs de terrain ont aussi besoin de temps)

 

SAUF que le vent tourne à l’évidence depuis quelques semaines :

 

D’autres actions ont été engagées ces temps-ci, mais encore faut-il ne pas les planter :

 

En toile de fond, il y a certes une évolution de l’opinion, une préparation à la sortie du glyphosate, un contraste entre les pratiques agricoles et le « zéro-phyto » qui s’impose aux collectivités… mais il y a aussi la prise de conscience que le juge européen impose désormais la prise en compte des effets cocktails par le juge européen dans l’analyse des effets des pesticides. Plus précisément, s’impose la prise en compte des effets cumulés des composants des produits phytopharmaceutiques (Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt de grande chambre rendu le 1er octobre 2019 ; affaire n° C-616/17).

Donc, oui, le vent tourne… Mais cela va mettre du temps et, de fait, la profession agricole a besoin elle aussi de temps pour s’adapter (non pas à des distances d’épandage, cela n’est rien quoiqu’il en soit dit, mais pour s’adapter à la sortie du glyphosate et autres pesticides).