Cours d’eau ou fossé… ? Pesticide ou pas pesticide ? La jurisprudence reste hésitante.

Points d’eau : point de produit phytopharmaceutique… Le TA de Montpellier en fait un point de droit. Comme d’autres TA avant lui, dont celui de Lyon. Et pour les préfets, ces jugements signifient qu’ils n’ont point de marge de manoeuvre… Mais le TA d’Orléans et la CAA de Nantes s’avèrent plus nuancés, non sans être à l’abri de critiques. Puis le TA de Grenoble est allé dans le même sens que les TA de Montpellier et de Lyon. A suivre, au fil de méandres en eaux troubles. 

 

I. Le cadre juridique global pose la question de ce que sont un point d’eau et un cours d’eau

 

Pas de pesticides dans les points d’eau. Tel est le principe posé par l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l’article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

Ce texte précise les conditions générales relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants ainsi que des conditions particulières destinées à limiter les pollutions ponctuelles et à protéger les points d’eau par l’établissement de zones non traitées.

ce qui pose la question de savoir ce qu’est un point d’eau.

Aux termes de l’article 1er de ce texte  :

«  Aux fins du présent arrêté, on entend par : (…) / « Points d’eau » : cours d’eau définis à l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement et éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l’Institut géographique national. Les points d’eau à prendre en compte pour l’application du présent arrêté sont définis par arrêté préfectoral dûment motivé dans un délai de deux mois après la publication du présent arrêté ».

 

NB : voir aussi la directive Phyto 2009/128/CE du 21 octobre 2009 et, notamment, son article 12 (a et b) :

 

II. La position du TA de Montpellier et de celui de Lyon

 

Le TA de Montpellier après d’autres TA, dont celui de Lyon, vient de rendre une décision intéressante en matière de protection des points d’eau et d’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, avec moins de marges de manoeuvre qu’il ne l’est souvent cru par les autorités préfectorales.

Le Tribunal administratif de Montpellier a en effet, hier, annulé la décision par laquelle le préfet de l’Aude a refusé d’abroger son arrêté du 7 juillet 2017 en tant qu’il n’inclut pas dans la définition des points d’eau tous les éléments du réseau hydrographique figurant sur les cartes au 1/25 000 de l’Institut géographique national.
L’association France Nature Environnement Languedoc Roussillon et l’association Ecologie du Carcassonnais, des Corbières et du Littoral Audois ont saisi le tribunal par une requête enregistrée le 30 mai 2018 aux fins d’annuler la décision implicite de rejet opposée par le préfet de l’Aude à leur demande d’abrogation de l’arrêté du 7 juillet 2017 formulée par courrier du 22 janvier 2018.

L’arrêté du 7 juillet 2017 par lequel le préfet de l’Aude a défini les points d’eau à prendre en compte a été pris en application de l’arrêté interministériel du 4 mai 2017 qui précise les conditions générales relatives à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants ainsi que les conditions particulières destinées à limiter les pollutions ponctuelles et à protéger les points d’eau par l’établissement de zones non traitées. Si l’arrêté interministériel confie aux préfets le soin de préciser, par arrêté, les points d’eau à prendre en compte conformément aux critères fixés à son article 1er, il ne prévoit pas la possibilité d’y apporter des restrictions au vu des caractéristiques locales, contrairement à ce que prévoyaient les dispositions antérieures de l’arrêté du 12 septembre 2006, lequel a été abrogé par l’arrêté du 4 mai 2017. Le tribunal estime que le préfet de l’Aude a commis une erreur de droit en n’incluant pas dans la définition édictée à l’article 1er de son arrêté du 7 juillet 2017 l’ensemble des éléments du réseau hydrographique : il a notamment exclu des canaux, ainsi que de nombreux fossés permanents ou intermittents.

IL NE S’AGIT DONC PAS D’UNE QUESTION D’APPRÉCIATION SUBJECTIVE, POUR LE TA, SUR LEQUEL IL EXERCERAIT UN CONTRÔLE DES MOTIFS (ERREUR MANIFESTE D’APPRÉCIATION PAR EXEMPLE)… MAIS BIEN D’UNE ERREUR DE DROIT.

AUTREMENT DIT POUR LE TA DE MONTPELLIER, IL Y A UNE ERREUR DE DROIT À NE PAS REPRENDRE TOUS LES ÉLÉMENTS DU RÉSEAU HYDROGRAPHIQUE, L’IGN FAISANT FOI… 

Compte tenu de l’illégalité entachant son arrêté du 7 juillet 2017, le préfet de l’Aude était dès lors tenu de faire droit à la demande d’abrogation présentée par les associations. Le tribunal annule en conséquence cette décision implicite portant refus d’abrogation et enjoint au préfet, dans le délai de trois mois suivant la date de notification du jugement, de compléter son arrêté en vue d’inclure dans la définition donnée les éléments manquants du réseau hydrographique figurant sur les cartes 1/25 000 de l’Institut géographique national, conformément aux dispositions de l’arrêté interministériel du 4 mai 2017. Une somme de 500 euros est également mise à la charge de l’Etat au titre des frais exposés par l’association France Nature Environnement Languedoc Roussillon.

En revanche, si les associations requérantes demandaient également au tribunal d’annuler le refus implicite du préfet de définir des mesures restreignant ou interdisant l’usage des pesticides dans certaines zones spécifiques, conformément à l’article 12 de la directive 2009/128/CE, ce refus était légalement justifié dès lors que seuls les ministres chargés de l’agriculture, de la santé, de l’environnement et de la consommation sont compétents pour définir, en tant que de besoin, des mesures d’interdiction ou d’encadrement de l’utilisation des produits phytopharmaceutiques, notamment dans les zones protégées mentionnées à l’article L. 211-1 du code de l’environnement.

Voici ce jugement : TA  Montpellier, 5 novembre 2019, n° 1802562 :

 

Voir auparavant TA Lyon, 3 octobre 2019, n°1800136 (et quelques autres jugements très récents semble-t-il) :

NB : pour ce qui est de ce jugement de TA, merci et bravo à mon confrère Emmanuel Wormser et à France Nature Environnement. 

 

Voir aussi par analogie :

 

 

III. La position du TA d’Orléans et de la CAA de Nantes

 

Les faits de cette espèce sont narrés avec verve par le site de l’OCE :

 

M. S. a demandé au tribunal administratif d’Orléans d’annuler la décision de rejet d’un recours gracieux. En jeu était le fait que le préfet du Loiret avait refusé de requalifier en fossé les écoulements de sa propriété,  qualifiés de cours d’eau.

Fossés ? cours d’eau ? Un fossé est-il un cours d’eau même à sec la plupart de l’année ?

Par un jugement n° 1601262 du 3 avril 2018, le tribunal administratif d’Orléans a annulé la décision du préfet, à la suite notamment d’une expertise diligentée par ce propriétaire riverain de ce cours d’eau ou de ce fossé, selon la rive que l’on décide d’emprunter. Voir :

 

La CAA a confirmé ce jugement, avec des considérations un brin différentes dans la forme, peu distinctes sur le fond.

Le juge a-t-il ignoré alors les cartes ? Oh que non. Le juge dit bien qu’il importe de se reporter à la carte de Cassini et de la carte d’état-major.

Or,  ces documents sont clairs : des écoulements d’eaux courantes sont présents sur la propriété de M. S., ce qui est de nature à établir l’existence d’un lit naturel à l’origine.

Or, nous avons vu que le TA de Montpellier ou celui de Lyon avaient posé que si les dispositions citées au point 4 de l’arrêté interministériel confient aux préfets le soin de préciser, par arrêté, les points d’eau à prendre en compte conformément aux critères fixés à son article 1 , elles ne prévoient pas la possibilité d’y apporter des restrictions au vu des caractéristiques locales : bref pas de restriction, pas de soustraction, pour exclure les points d’eau intermittents par exemple.

La CAA de Nantes a donc posé l’inverse en posant que la discontinuité de l’écoulement dans l’année suffisait à entraîner l’exclusion de la notion de point d’eau en l’espèce, et ce sur la base d’un rapport… constatant en un mois donné (septembre en sus qui n’est pas toujours un gros mois en pluviométrie… et donc en résurgence de cours d’eaux souterrains…) une absence d’écoulement, ce qui surprend tout de même un peu. Voir le point principal de cet arrêt :

« Toutefois, il ressort d’un rapport d’expert réalisé en septembre 2015 qu’aucune source ni aucun débit n’a été constaté. L’Etat ne saurait remettre en cause cette expertise en se bornant à soutenir qu’elle a été réalisée lors d’une année de particulière sécheresse, que la présence d’étangs peut masquer l’existence de sources et que l’entier tronçon a été classé en cours d’eau par le conseil supérieur de la pêche en 2006. Si l’expertise de 2006 mentionne la présence d’un écoulement, d’invertébrés aquatiques et d’hydrophytes, ce qui peut attester un débit suffisant la majeure partie de l’année, cette étude est trop ancienne pour contredire utilement l’expertise de 2015. D’ailleurs, il ressort d’une carte publiée en janvier 2019 par la direction départementale des territoires et de la Mer (DDTM) du Loiret que les écoulements de La Harancherie, en aval de la propriété de M. S., ont été classés en fossés. Ainsi, le ministre n’établit pas que la propriété de M. S. serait concernée par un cours d’eau répondant aux conditions cumulatives citées au point précédent. »

Et que disait ledit point précédent ?

Il se contentait de reprendre les termes de l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement :

« Constitue un cours d’eau un écoulement d’eaux courantes dans un lit naturel à l’origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l’année. / L’écoulement peut ne pas être permanent compte tenu des conditions hydrologiques et géologiques locales. »

 

Ces critères sont-ils cumulatifs ? Oui, nettement, et sur ce point il est possible que les positions du TA de Lyon de celui de Montpellier puissent donner lieu à débats, moins dans leur résultat que dans certaines formulations.

Mais ce texte mentionne bien que le cours d’eau peut ne pas être permanent, ce qui revient à la position de ces TA de Lyon et de Montpellier, et qui rend difficile la position de la CAA de Nantes qui sur ce point se contente d’une expertise ponctuelle à l’encontre des autres indices.

On remarquera surtout que comme souvent l’Etat n’a pas produit de contre-expertise…

Voici cet arrêt de la CAA de Nantes :

  • CAA Nantes, 20 septembre 2019, n° 18NT02211
  • 18NT02211

 

IV. Le TA de Grenoble du 19 novembre 2019

 

Le TA de Grenoble, ensuite, le 19 novembre 2019, a rendu une décision FNE n° 1800051 et n° 1800109 (merci et bravo une nouvelle fois à notre confrère Emmanuel Wormser qui nous l’a fort aimablement communiquée) qui ressemble en tous points à la décision lyonnaise précitée.

La voici :

 

Bref, la jurisprudence semble plutôt fixée dans ce sens, mais il suffit d’un point d’eau un peu à sec et d’une expertise dénuée de contre-expertise pour conduire à une décision contraire….