Voici l’avis du conseil scientifique de l’OFB sur le Varenne agricole de l’eau et de l’adaptation au changement climatique

Entre mai et juin dernier, en matière de ressource en eau, de sécheresse, d’agriculture, de conflits d’usages, sont intervenus :

C’est dans ce cadre qu’a été diffusé un avis du Conseil scientifique de l’OFB qui, selon M. Laimé (voir ici sur son site),toujours très informé, aurait fait l’effet d’une petite bombe. De fait, c’est à un changement systémique que l’agriculture s’y trouve invitée dans ses rapports avec la ressource en eau. 

Voici cet avis :


Voici ce texte :

Préambule

  • 􏰀  Le Varenne pose la question de l’adaptation de l’agriculture face aux conséquences du dérèglement climatique, en particulier celle d’une tension accrue sur les ressources en eau, ce qui est à la fois pertinent et important.
  • 􏰀  Le calendrier est cependant trop resserré pour permettre (i) la large mobilisation de tous les usagers de l’eau et des acteurs des territoires, (ii) celle de l’ensemble des structures de recherches nécessaire à l’appropriation des enjeux et des connaissances, ainsi que (iii) la co-construction de solutions.
  • 􏰀  L’eau y est trop mise en avant comme un moyen de sécuriser la production agricole, alors qu’elle est avant tout un bien commun. Sa disponibilité dépend d’un cycle marqué par de multiples interactions et n’est pas caractérisée par une quantité stable et délimitée.
  • 􏰀  Il est indispensable de rechercher avant tout une adaptation de l’agriculture aux conditions pédoclimatiques et non l’inverse. Même si cela n’est pas simple puisque le climat évolue, cela implique que des cultures déjà mal adaptées à des conditions pédoclimatiques locales actuelles qui vont se dégrader, doivent sans doute être abandonnées localement.

1. Replacer la question de l’eau parmi les différents enjeux

Le dérèglement climatique, via l’occurrence de périodes de chaleur, sécheresse ou précipitations plus fréquentes et/ou plus intenses a et va de façon certaine conduire à des épisodes locaux dévastateurs qui affecteront tous les écosystèmes naturels et exploités par l’homme, en particulier l’agriculture. Le changementdes systèmes agricoles ne peut cependant se réduire à la seule adaptation au dérèglement climatique.
Ce changement doit intégrer une réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, l’atténuation étant la forme la plus efficace de l’adaptation. Or l’agriculture y contribue de façon importante1. L’agriculture doit par ailleurs réduire ses impacts sur l’eau et la biodiversité pour lutter contre l’effondrement de la biodiversité et améliorer l’accès à l’eau potable pour tous. Cela passe par une transformation des filières et des territoires, en lien avec de nouveaux besoins de la société vis-à-vis des productions agricoles (locales, sans intrant chimique, moins carnées, moins consommatrices de ressources…) tout en assurant des revenus décents aux agriculteurs.Pour garantir cette intégration, plusieurs grands principes doivent être visés comme (1) une plus grande sobriété des usages de l’eau et des intrants et (2) une meilleure prise en compte de la biodiversité naturelle et domestique. La littérature scientifique a notamment mis clairement en évidence les risques liés à une

1 L’agriculture représente 19 % des émissions de GES en France selon [5]

1

amélioration de l’accès à l’eau pour l’agriculture (par exemple les revues [1], [2]) : faciliter l’accès c’est souvent retarder les changements des systèmes agricoles, c’est aussi amplifier la consommation en eau par la poursuite et le développement de systèmes consommateurs d’eau. Il peut en résulter au final une nouvelle dépendance à l’eau des exploitations agricoles parfois plus forte qu’initialement [3]. L’augmentation de la mobilisation de l’eau entraîne également des impacts sur la qualité des écosystèmes. La commission européenne a d’ailleurs proposé que les investissements dans l’irrigation non compatibles avec la réalisation des objectifs de la DCE relatifs au bon état des eaux seraient explicitement exclus du financement de la PAC [4]

Une vision trop partielle des enjeux peut donc aboutir à des solutions contre-productives. De nombreuses solutions fondées sur la nature permettent de répondre en même temps à ces enjeux.

2. Promouvoir une transformation systémique de l’agriculture

L’un des objectifs essentiels de la transformation des systèmes agricoles est d’obtenir une meilleure résilience face aux différents aléas hydro-climatiques. Cette résilience doit être recherchée à toutes les échelles. Un moyen est de favoriser la diversité biologique au sein des parcelles, des exploitations agricoles et des territoires, en s’appuyant notamment sur la diversité inter et intra-spécifiques, les associations de cultures, et en faisant appel à toutes les ressources génétiques, existantes naturellement.

À l’échelle du territoire, la diversité des exploitations agricoles doit être également recherchée en s’assurant qu’elles soient compatibles avec les conditions pédo-hydro-climatiques locales et en évitant une centralisation vers un nombre réduit d’acteurs et de systèmes de productions. Cette diversification doit s’accompagner d’un partage de la ressource en eau plus cohérent, en s’appuyant sur une meilleure solidarité amont/aval et entre systèmes agricoles (notamment entre irrigants et non irrigants). Une telle diversification permet plus de résilience face aux aléas et augmente la capacité d’adaptation aux contraintes hydro- climatiques en évolution. Rechercher une meilleure résilience passe également par la reconquête d’une bonne qualité physique, chimique et biologique des sols. Améliorer la qualité des sols est en effet un levier puissant de la bonne gestion des flux d’eau tant lors des sécheresses que des épisodes de précipitations intenses, pour l’agriculture mais également pour la biodiversité. Une bonne qualité des sols contribue également à plusieurs servicesécosystémiques au cœur des différents enjeux de la transition agricole (production, amélioration de la qualité de l’eau, stockage de carbone, préservation de des sols de l’érosion…).

Outre la résilience, la transformation des systèmes agricoles doit également viser l’augmentation de leur capacité d’adaptation afin de gagner en agilité face aux évolutions que vont connaître le climat et la biodiversité au cours des prochaines dizaines d’années. Cela passe par la diversification des systèmes comme indiqué précédemment, mais aussi par la baisse au recours à des investissements aux durées d’amortissement trop élevées afin d’éviter les risques de verrouillages sociotechniques. Il est également nécessaire de développer des leviers juridiques et fonciers permettant des changements d’usages et debénéficiaires des infrastructures agricoles (comme les retenues) déjà en place ou à venir.

Enfin, pour faciliter cette transformation, il est indispensable d’encourager et soutenir encore davantage l’engagement des acteurs. Cela passe par une conditionnalité des aides réellement suivie et contrôlée permettant de s’assurer des changements de pratiques sur le long terme, mais également par la mise en place de dispositifs assurantiels nouveaux. Ces dispositifs doivent permettre d’assurer à la fois les risques hydro- climatiques à venir mais également ceux induits par les transformations elles-mêmes, dans lesquelles les agriculteurs s’engagent. Un juste équilibre entre ces deux types de risques doit être trouvé pour que les dispositifs d’assurance ne soient pas contre-productifs et ne deviennent pas un frein aux changements. Ces

nouveaux dispositifs doivent être à la fois davantage systémiques (et pas uniquement financiers) et localement adaptés, en se basant sur des approches intégrées, de la concertation entre acteurs, de l’expérimentation sociale et des modalités d’action collective originales (solidarité amont/aval…).

3. Développer la connaissance

La transformation de l’agriculture nécessite de développer la connaissance autour de trois enjeux opérationnels :

– améliorer et mettre à disposition les connaissances sur la situation actuelle qui demeurent encore trop lacunaires pour être opérationnelles et poser des diagnostics clairs. Il s’agit notamment de connaître suffisamment finement les chroniques des prélèvements d’eau, le nombre et les caractéristiques des retenues, les modalités de consommation selon les pratiques… ;

2

  • –  développer les outils d’aide à la décision, en se basant notamment sur la modélisation, pour permettre aux acteurs d’orienter leurs actions. Ces modèles doivent permettre de se projeter dans différents scénarios intégrant l’ensemble des déterminants de la transformation, des paramètres hydro-climatiques jusqu’aux dimensions économiques ;
  • –  susciter, documenter et diffuser largement les expérimentations dans les territoires et les exploitations agricoles afin d’accélérer l’innovation en soutenant des dispositifs multi-acteurs de co-création d’innovations (living lab, conception distribuée, innovation couplée [6]), prenant en compte l’ensemble des facteurs, des activités agricoles aux besoins des territoires, des contraintes agro-industrielles à la qualité des milieux.
Références[1]  C. Perry, P. Steduto, and F. Karajeh, “Does improved irrigation technology save water? A review of the evidence,” 2017.[2]  W. Yu, S. Uhlenbrook, R. von Gnechten, and J. van der Bliek, “CAN WATER PRODUCTIVITY IMPROVEMENTS SAVE US FROM GLOBAL WATER SCARCITY ?,” White Pap. 1 .FAO, 2021.[3]  G. Di Baldassarre et al., “Water shortages worsened by reservoir effects,” Nat. Sustain., vol. 1, no. 11, pp. 617–622, 2018.
[4]  Cour des comptes Européenne, “La PAC et l’utilisation durable de l’eau dans l’agriculture:des fonds davantage susceptibles d’encourager à consommer plusqu’à consommer mieux,” 2021.[5]  Haut Conseil pour le climat, “RENFORCER L’ATTÉNUATION, ENGAGER L’ ADAPTATION,” 2021.[6]  Meynard, J.M., Jeuffroy, M.H., Le Bail, M., Lefèvre, A., Magrini, M.B., Michon, C., 2017. Designingcoupled innovations for the sustainability transition of agrifood systems. Agric. Syst. 157, 330–339.  

NB : sur l’OFB, voir notre vidéo :