La fiscalité verte peut-elle, constitutionnellement, favoriser le « un peu vert » au détriment du « très vert » ?

Carburants et différentielle : le Conseil constitutionnel, sans surprise, continue de valider la « fiscalité verte ». 

Ceci dit, il continue d’accorder à ce stade de grandes marges de manoeuvre pour le législateur, au point de laisser celui-ci assez libre de ses outils, quitte à en réalité un peu défavoriser des biocarburants pourtant plus avancés, en termes environnementaux, que d’autres également aidés.

I. La décision de 2019

Dans le cas, qui pouvait être débattu sur le fond, de la prise en compte de l’huile de palme dans les biocarburants, le Conseil constitutionnel, en 2019, avait clairement admis qu’il y avait différence de situation justifiant une différence de traitement en l’espèce.

Le législateur avait en l’espèce exclu pour le calcul des taxes toute possibilité de démontrer que l’huile de palme pourrait être produite dans des conditions permettant d’éviter le risque de hausse indirecte des émissions de gaz à effet de serre. 

Ce raisonnement avait, alors, été validé par le Conseil constitutionnel En l’état des connaissances et des conditions mondiales d’exploitation de l’huile de palme, le législateur, selon les sages de la rue Montpensier, avait « retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi ».

Source : Décision n° 2019-808 QPC du 11 octobre 2019, Société Total raffinage France. Voir notre article alors : Oui le législateur a pu, sans méconnaître la Constitution, exclure l’huile de palme d’un régime fiscal favorable prévu pour les biocarburants 

II. La décision de ce jour 

Dans une affaire de ce jour, on a rejoué le même débat, mais avec cette fois pour les requérants un argumentaire environnemental qui n’était pas sans subtilité, puisqu’ils posaient que dans leur cas, au contraire de celui des huiles de palme en 2019, que c’était le mieux environnemental qui était moins bien traité ! 

En cause : le paragraphe III de l’article 266 quindecies du code des douanes, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2013, fixant le taux du prélèvement supplémentaire de la TGAP et les conditions dans lesquelles ce taux est diminué à proportion d’une part d’énergie renouvelable issue des biocarburants incorporée aux carburants.

Ce régime prévoit que les distributeurs de gazole « qui incorporent des biocarburants dits traditionnels, produits à partir de plantes oléagineuses, bénéficient d’un avantage fiscal supérieur à ceux qui incorporent des biocarburants dits avancés, produits à partir de certaines matières animales ou végétales, alors même que ces derniers biocarburants auraient un effet bénéfique sur l’environnement supérieur aux premiers. »

Il en résulterait une différence de traitement sans rapport avec l’objet de loi, qui serait, selon elle, uniquement de réduire les émissions de gaz à effet de serre. Ces dispositions méconnaîtraient ainsi les principes d’égalité devant la loi et devant l’impôt.

Face à cet argumentaire, le Conseil constitutionnel a noté que le législateur :

« a estimé nécessaire, au regard de leurs effets respectifs sur l’environnement, d’inciter au développement progressif des biocarburants avancés et de stabiliser désormais celui des biocarburants traditionnels. D’autre part, il a considéré que la maturité technologique et industrielle de leurs filières de production respectives ainsi que leurs capacités d’approvisionnement en matières premières étaient différentes

Première brèche donc dans l’argumentation des requérants : le Conseil constitutionnel estime que le législateur a entendu certes « lutter contre les émissions de gaz à effet de serre en encourageant les distributeurs de gazole à incorporer des biocarburants avancés », mais aussi qu’il a entendu maintenir « un soutien à la production de biocarburants traditionnels »

En réalité, arrivé à un certain niveau de complexité technique, le juge a toujours voulu laisser un peu la bride au décideur public sur le cou, d’une part, et ne pas lui imposer des fragmentations fiscales ou tarifaires, d’autre part… 

Dès lors, une fois ceci posé, la requête devenait vouée à l’échec. Citons la suite de la décision du Conseil constitutionnel :

« 10. Il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi n’étaient pas, en l’état des connaissances et des techniques, manifestement inappropriées.

« 11. En fixant, par le texte alors en vigueur, à 0,7 % la part maximale de biocarburants avancés pouvant donner lieu à une diminution du taux du prélèvement supplémentaire et à 7 % celle des biocarburants traditionnels, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi. »

Sources : Décision n° 2021-946 QPC du 19 novembre 2021Société Pétroles de la côte basque [Part des biocarburants prise en compte dans la filière gazole pour le calcul de la taxe générale sur les activités polluantes] [Conformité]