Chasse des oiseaux à la glu : faute de coller à une nouvelle décision de la CJUE, le droit français devrait y laisser des plumes

Après avoir, en 2018, validé une chasse d’oiseaux à la glu… une chasse qui pourtant semble bien difficile désormais à défendre en droit européen… le Conseil d’Etat a enfin en 2019 la question de cette comptabilité au juge européen (par contraste avec des rebellions antérieures du Palais Royal en ces domaines). 

Or, ce jour, la CJUE vient (sur les conclusions contraires de l’avocate générale… Kokott), de rendre un arrêt qui devrait logiquement conduire à une censure du droit français, en tant qu’il ne colle pas au droit européen tant que la glu colle aux plumes de l’animal. 

Revenons en détails sur cette affaire :

  • I. une chasse qui n’entraîne pas une large adhésion
  • II. En 2018, le CE décide de ne pas coller à la jurisprudence européenne
  • III. le renvoi de 2019 vers la CJUE : le CE s’y colle, enfin, via un raisonnement qui, lui, ne colle pas
  • IV. L’envolée de Mme J. Kokott
  • V. Arrêt de la CJUE, ce jour : le droit français devrait y laisser des plumes sauf si celles-ci restent libres de toute colle

I. une chasse qui n’entraîne pas une large adhésion

Dans une grande partie de la région Sud (PACA) se pratique une chasse aux oiseaux à la glu. L’oiseau est collé à l’arbre, en attendant l’arrivée du chasseur.

Plus précisément, la chasse aux gluaux ou à la glu consiste à enduire de glu des baguettes afin de capturer vivants, pour servir d’appelants, les oiseaux de certaines espèces qui s’y posent. Le chasseur reste à proximité pour nettoyer et relâcher les autres oiseaux capturés.

Pour de plus amples détails et pour accéder à des opinions différentes à ce sujet :

II. En 2018, le CE décide de ne pas coller à la jurisprudence européenne

Le juge français, lui, n’a, dans un premier temps, guère collé sur ce point à la jurisprudence européenne.

Dans quelles conditions une telle chasse pouvait-elle être compatible avec le droit européen ? Le Conseil d’Etat le rappelle au début de son arrêt de 2018 :

« l’article 8 de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite directive  » oiseaux « , impose aux Etats membres d’interdire  » le recours à tous moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort massive ou non sélective ou pouvant entraîner localement la disparition d’une espèce, et en particulier à ceux énumérés à l’annexe IV, point a) « . Cette annexe vise notamment en son a) les gluaux, qui constituent un mode de chasse traditionnel consistant à capturer les oiseaux grâce à des pièges enduits de glu. L’article 9 de la directive autorise toutefois les Etats membres à déroger à ces dispositions  » s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante  » pour un certain nombre de motifs, et notamment  » pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités. « . L’article 9 prévoit également, en son paragraphe 2, que les dérogations doivent mentionner les espèces concernées, les moyens, installations ou méthodes de capture ou de mise à mort autorisés, les conditions de risque et les circonstances de temps et de lieu dans lesquelles ces dérogations peuvent être prises, l’autorité habilitée à déclarer que les conditions exigées sont réunies, à décider quels moyens, installations ou méthodes peuvent être mis en oeuvre, dans quelles limites et par quelles personnes, enfin les contrôles qui seront opérés. »

Autant dire que la porte est étroite pour qu’une telle chasse soit légale. La directive « Oiseaux » du 30 novembre 2009  interdit donc le recours à des méthodes de capture massive ou non sélective et cite notamment la technique des gluaux. Une dérogation peut toutefois être accordée, « s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante », pour capturer certains oiseaux en petites quantités, « dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective ».

Pourtant le CE laissa, en 2018, les vannes ouvertes sur ce point… alors même que sa décision semble bien plus favorable à ce mode de chasse que ce qui ressort de l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés européennes du 9 décembre 2004, Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne (C-79/03). Citons l’arrêt de la CJUE :

« Or, il est constant que la chasse aux grives au moyen de gluaux telle qu’organisée sur le territoire de la Communauté de Valence ne permet pas d’éviter la capture d’oiseaux autres que des grives. À cet égard, il ressort du troisième rapport de la société espagnole d’ornithologie sur la capture au «parany» des grives dans la Communauté de Valence (ci-après le «rapport SEO/BirdLife»), déposé en septembre 2001 dans le cadre d’un contentieux pendant devant le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Valenciana et versé par la Commission au dossier de la présente affaire, que, parmi les oiseaux capturés selon ladite méthode, le rapport entre grives et oiseaux d’autres espèces se situe dans une fourchette allant de 1,24 à 4. Par ailleurs, aucun élément de preuve contraire ne figure au dossier de la Cour. »

Voir l’arrêt intégral de 2004 (dans une version hélas peu lisible) :

Il est difficile de comprendre comment, par quel miracle cynégétique, avec les mêmes textes et dans les mêmes conditions techniques si l’on en croit les études produites par les uns et les autres, le Conseil d’Etat était arrivé à une telle conclusion : CE, 28 décembre 2018, n° 419063 :

III. le renvoi de 2019 vers la CJUE : le CE s’y colle, enfin, via un raisonnement qui, lui, ne colle pas

Par une décision du 29 novembre 2019, le Conseil d’État a enfin accepté de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour qu’elle précise si la directive « Oiseaux » permet d’autoriser la capture à la glu de certaines espèces d’oiseaux sauvages, au nom du fait que la CJUE avait évolué en ce domaine (ce qui n’était pas si récent en fait…).

Est-ce sage ?

OUI car la CJUE a clairement fait évoluer sa jurisprudence à l’occasion de son récent arrêt C-557/15 du 21 juin 2018.

Est-ce bien tard ?

OUI car :

  • ledit arrêt C-557/15 de la CJUE du 21 juin 2018 était tout de même déjà rendu lorsqu’intervint l’arrêt CE, 28 décembre 2018, n° 419063 !
  • dans son nouvel arrêt du 29 novembre 2019, notamment les points 15 à 23, le Conseil d’Etat fait « comme si » la seule jurisprudence antérieure était l’arrêt C-252/85 du 27 avril 1988 de la Cour de justice de l’Union européenne. Or, c’est faux : voir CJUE, 9 décembre 2004, Commission des Communautés européennes contre Royaume d’Espagne (C-79/03). 

Bref l’évolution jurisprudentielle, mineure, de 2018 peut permettre au CE de se présenter comme un bon élève dans le monde de la justice européenne, mais cela n’est en réalité qu’un paravent pour habiller a posteriori un revirement un peu honteux d’une position qui, déjà, en 2018, n’était pas tenable en droit européen .

Voir CE, 20 novembre 2019, n° 425519, 425525, 425531, 425533, 425545, 425732, 425733, 425734, 425735, 425736

IV. L’envolée de Mme J. Kokott

A la surprise générale, l’avocate générale de la CJUE Juliane Kokott fut d’avis que la chasse aux gluaux peut être considérée comme correspondant à une exploitation judicieuse des espèces d’oiseaux concernées si les autorités compétentes françaises parviennent raisonnablement à la conclusion que le maintien d’un mode de chasse traditionnel à des fins récréationnelles, répandu au niveau régional, a une importance culturelle.

Indépendamment de cela, la chasse aux gluaux ne pourrait être admise que si les autres conditions d’une dérogation à l’interdiction de principe sont remplies. Pour remplir ces conditions, la chasse doit se limiter au prélèvement de petites quantités des espèces d’oiseaux concernées, une surveillance et un contrôle strict sont nécessaires et le critère de sélectivité doit être respecté.

La Cour a déjà jugé que, en l’état actuel des connaissances scientifiques, seul un prélèvement de moins de 1 % du taux annuel total de mortalité de la population concernée (valeur moyenne) pour les espèces ne pouvant être chassées et de 1 % pour les espèces pouvant être l’objet d’actes de chasse est autorisé (voir arrêts du 15 décembre 2005, Commission/Finlande, C-344/03 ; du 21 juin 2018, Commission/Malte, C-557/15 et communiqué de presse n° 90/18, ainsi que du 23 avril 2020, Commission/Finlande (Chasse printanière à l’eider à duvet mâle, C-217/19).

En ce qui concerne le critère de sélectivité, l’avocate générale Kokott avait estimé qu’une méthode de chasse peut être reconnue comme suffisamment sélective au sens de la dérogation en cause si, sur la base de connaissances scientifiques, de haute qualité et à jour, ainsi que de contrôles effectifs suffisants, il est acquis que la capture involontaire d’espèces d’oiseaux différentes et les conséquences d’une telle capture sont acceptables par rapport à l’importance culturelle du mode de capture.

Voir : 

Chasse d’oiseaux à la glu : Mme Kokott s’y colle ; le droit français pourrait ne pas y laisser de plumes

V. Arrêt de la CJUE, ce jour : le droit français devrait y laisser des plumes sauf si celles-ci restent libres de toute colle

Par un arrêt rendu ce jour, dans l’affaire C-900/19 One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)/Ministre de la Transition écologique et solidaire, la CJUE vient de rendre une décision plus dure avec la France et plus douce avec ses populations aviaires. 

Il en résulte qu’un État membre ne peut pas autoriser une méthode de capture d’oiseaux entraînant des prises accessoires dès lors qu’elles sont susceptibles de causer aux espèces concernées des dommages autres que négligeables

Le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux, comme celle de la chasse à la glu, ne suffit pas, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante ne peut lui être substituée… pose la CJUE. 

En premier lieu, la Cour juge que l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux » doit être interprété en ce sens que le caractère traditionnel d’une méthode de capture d’oiseaux ne suffit pas, en soi, à établir qu’une autre solution satisfaisante, au sens de cette disposition, ne peut être substituée à cette méthode.

En effet, dans son arrêt, elle rappelle, tout d’abord, que, dans la mise en œuvre des dispositions dérogatoires, les États membres sont tenus de garantir que toute intervention touchant aux espèces protégées ne soit autorisée que sur la base de décisions comportant une motivation précise et adéquate se référant aux motifs, aux conditions et aux exigences prévues à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive « oiseaux ». À cet égard, il est précisé qu’une réglementation nationale faisant usage d’un régime dérogatoire ne remplit pas les conditions relatives à l’obligation de motivation lorsqu’elle contient la seule indication qu’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, sans que cette indication soit étayée par une motivation circonstanciée, fondée sur les meilleures connaissances scientifiques pertinentes.

Ensuite, la Cour souligne que, si les méthodes traditionnelles de chasse sont susceptibles de constituer une « exploitation judicieuse » autorisée par la directive « oiseaux », toutefois, le maintien d’activités traditionnelles ne saurait constituer une dérogation autonome au régime de protection établi par cette directive, selon la Cour qui sur ce point nous semble se détacher des conclusions de son avocate générale.

Enfin, la Cour rappelle que, dans le cadre de la vérification par l’autorité compétente de l’absence d’autres solutions satisfaisantes, une comparaison des différentes solutions répondant aux conditions du régime dérogatoire doit être effectuée pour déterminer celle qui apparaît la plus satisfaisante. À cette fin, dès lors que, dans la formulation et la mise en œuvre de la politique de l’Union dans certains domaines, l’Union et les États membres doivent, au titre de l’article 13 TFUE, tenir pleinement compte des exigences du bien-être des animaux, c’est à l’aune des optionsraisonnables et des meilleures techniques disponibles qu’il convient d’apprécier le caractère suffisant des solutions alternatives. Or, la Cour relève que de telles solutions semblent exister. En effet, elle a déjà jugé que l’élevage et la reproduction en captivité des espèces protégées, lorsqu’ils s’avèrent possibles, sont susceptibles de constituer une autre solution satisfaisante et que le transport d’oiseaux licitement capturés ou détenus constitue également une exploitation judicieuse. À cet égard, la circonstance que l’élevage et la reproduction en captivité des espèces concernées ne sont pas encore faisables à grande échelle en raison de la réglementation nationale n’est pas en elle-même de nature à remettre en cause la pertinence de ces solutions.

En deuxième lieu, la Cour juge que l’article 9, paragraphe 1, sous c), de la directive « oiseaux » doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui autorise, par dérogation à l’article 8 de cette directive, une méthode de capture entraînant des prises accessoires, dès lors que celles-ci, même de faible volume et pour une durée limitée, sont susceptibles de causer aux espèces capturées non ciblées des dommages autres que négligeables.

En effet, la Cour rappelle que les États membres peuvent déroger à l’interdiction de certaines méthodes de chasse à la condition, notamment, que ces méthodes permettent la capture de certains oiseaux de manière sélective. À cet égard, elle précise que, pour apprécier la sélectivité d’une méthode, il convient de tenir compte non seulement des modalités de cette méthode et de l’ampleur des prises qu’elle implique pour les oiseaux non ciblés, mais également de ses éventuelles conséquences sur les espèces capturées en terme de dommages causés aux oiseaux capturés.

Ainsi, dans le cadre d’une méthode de capture non létale entraînant des prises accessoires, la condition de sélectivité ne peut être satisfaite que si celles-ci sont d’une ampleur limitée, c’est-à- dire qu’elles ne concernent qu’un nombre très réduit de spécimens capturés accidentellement, pour une période limitée, et qu’elles puissent être relâchées sans dommage autre que négligeable. Or, la Cour constate qu’il est très vraisemblable, sous réserve des constatations faites, en dernier lieu par le Conseil d’État que, en dépit d’un nettoyage, les oiseaux capturés subissent un dommage irrémédiable, les gluaux étant, par nature, susceptiblesd’endommager le plumage de tous les oiseaux capturés.

Voir cet arrêt :

CJUE, 17 mars 2021, C-900/19 One Voice et Ligue pour la protection des oiseaux (LPO)/Ministre de la Transition écologique et solidaire