« Zones difficilement protégeables » : loup y es-tu ?

L’homme est-il un loup… pour le loup ? En tous cas, le juge administratif admet de manière souple les cas où force est de faire la peau au grand méchant loup et un jugement de TA vient encore de l’illustrer en définissant, notion d’ailleurs intéressante, ce qu’est une « Zone difficilement protégeable contre les attaques de loup » 

I. Le loup, un prédateur à part dans les esprits comme dans le cadre juridique… 

Le droit administratif progresse très vite sur la question, devenue délicate en l’état de l’évolution des mentalités mais aussi des connaissances scientifiques, des rapports entre hommes et animaux. Voir par exemple :

Mais aucun domaine n’est plus sensible que celui du loup. Et, sur ce point, le juge administratif tâtonne plus qu’il ne progresse. Il avance à pas comptés, à pas de loup.

Avec dans l’application des disposions législatives et règlementaires, au stade des arrêtés préfectoraux, des jurisprudences qu’il est délicat d’analyser comme totalement cohérentes. Voir par exemple :

Reste que, la règlementation, elle, reste assez stable.

Ces règles prévoient des abattages ciblés de loups avec fixation d’un nombre de loups susceptibles d’être abattus par an. Des règles qui ont été validées par le Conseil d’Etat notamment par un arrêts du 18 décembre 2017), puis de nouveau exactement deux ans plus tard, le 18 décembre 2019. Le 18 décembre n’est pas jour de fête chez les loups de l’hexagone… Le nombre vient encore d’en être prorogé au JO il y a quelques jours… 

Voir : Arrêté du 23 octobre 2020 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée chaque année

II. Le juge admet largement qu’on fasse la peau au grand méchant loup, mais avec une jurisprudence ménageant la chèvre et le chou, ou, plutôt, le loup et l’agneau… 

La jurisprudence, s’agissant des animaux sauvages non spécifiquement protégés, conduit  schématiquement à permettre des abattages avec un contrôle devenu assez strict sur l’équilibre nécessaire entre les mesures adoptées et le risque à obvier (solution classique en matière de pouvoir de police mais avec un contrôle plus strict de cette proportion entre outils et besoins à satisfaire). Voir :

Le problème du loup est qu’il forme espèce à la fois protégée et à la fois susceptible de donner lieu à destruction mesurée (par des abattages selon des plafonds annuels), le juge prend en compte ces équilibres. Voir les articles précités, correspondant à des jurisprudences parfois contradictoires :

Voir CE, 18 décembre 2017, ASPAS et autres, n° 393101, 393129, 393130 :

Dans une intéressante affaire, il y a moins d’un an, le Conseil d’Etat avait posé que :

  • poursuivre l’abattage de loups, au-delà du plafond annuel et sans encadrement supplémentaire, est illégal. 
  • qu’est cependant validé l’arrêté définissant les conditions dans lesquelles des tirs de défense peuvent être effectués en cas de dommages importants aux élevages (ce qui est défendu par la majorité des acteurs dans ce dossier ô combien sensible).
  • ainsi que le rôle donné au préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup pour adapter les modalités et l’ampleur des autorisations d’abattre des loups afin de concilier l’objectif de protection de l’espèce avec celui de protection des troupeaux domestiques.
  • la possibilité donnée au préfet d’accorder des autorisations de tirs allant au-delà du plafond cumulé de 12 % est illégale dès lors qu’elle n’est encadrée ni par une limite quantitative ni par des conditions précises.

CE, 18 décembre 2019, n°428811, n°419898 et n°419897 :

> n°428811
> n°419898
> n°419897

Voir notre commentaire, alors  :

Voir par comparaison  l’ordonnance du TA Nîmes, 21 août 2018, n° 1802510  ; TA de Lyon, juge des référés, 19 mars 2018, Assoc. One Voice c/ préfet de l’Ardèche, n° 1801588 ; TA Toulouse, 6 mars 2018, n°1501887, 1502320 (ours)  ; TA Strasbourg, 10 janvier 2018, ASPAS et LPO, n° 1700293 ; TA Nancy, 13 novembre 2018, n°1700584 ; CAA Nantes, 04 janvier 2019, n°18NT00069 (La vache et le prisonnier (en version municipale) 

III. Qu’est-ce qu’une Zone difficilement protégeable contre les attaques de loup ?

Mais ce qu’avait à trancher le TA de Lyon, ces jours-ci, était un peu plus subtil, encore : Qu’est-ce qu’une Zone difficilement protégeable contre les attaques de loup ?Le tribunal a rejeté le recours de trois associations de protection de l’environnement contre l’arrêté du 5 avril 2019 du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes, coordonnateur du plan national d’actions 2018-2019 sur le loup et les activités d’élevage, portant délimitation d’une zone difficilement protégeable dans le Sud-Ouest du Massif central. Le juge a ainsi estimé que :

  • dès lors qu’elle était limitée à des zones répondant à des critères cumulatifs et précis, identifiées par voie réglementaire, sous le contrôle du juge administratif, la possibilité ouverte par l’arrêté du 19 février 2018 de recourir à titre dérogatoire à des tirs de destruction de loups, en l’absence de solution alternative pour protéger les troupeaux contre la prédation, ne méconnaissait pas la directive n° 92/43/CEE du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », et l’article L. 411-2 du code de l’environnement. 
  • l’absence d’attaques de loups dans un département ne faisait pas obstacle à l’intégration de certaines de ses communes dans le périmètre de la zone de protection retenu dès lors qu’elles forment avec les autres collectivités en faisant partie un même ensemble géographique homogène. 
    Et là son nous, y’a un loup à dire qu’on peut tuer des loups là où il n’y en a pas au motif de la difficulté à éviter les attaques de loups par d’autres moyens… Mais bon… 

TA Lyon, 29 octobre 2020, n°1904850 :

L’as tu lu ce jugement mon petit loup

Le loup n’a donc pas fini de faire polémique en France, et comme souvent en pareil cas, le Conseil d’Etat ménage la chèvre et le chou ou, plus précisément, le loup et l’agneau. Mais outre que cela correspond à la logique même des équilibres lors de l’usage de pouvoirs de police administrative, la société elle-même n’a-t’elle pas besoin de telles mesures pondérées, certes faciles à brocarder, qui peinent à faire consensus chez les militants, mais qui tentent d’aider à fonder une position médiane dans une société qui semble aimer à se déchirer sur tous les sujets ? Bref, ce jugement, entre deux eaux, est facile à critiquer. Mais faut-il, vraiment, hurler avec les loups ?