Le CE a-t-il fait la peau au grand méchant loup ?

Le droit administratif progresse très vite sur la question, devenue délicate en l’état de l’évolution des mentalités mais aussi des connaissances scientifiques, des rapports entre hommes et animaux. Voir par exemple :

 

Mais aucun domaine n’est plus sensible que celui du loup. Et, sur ce point, le juge administratif tâtonne plus qu’il ne progresse. Il avance à pas comptés, à pas de loup.

Avec dans l’application des disposions législatives et règlementaires, au stade des arrêtés préfectoraux, des jurisprudences qu’il est délicat d’analyser comme totalement cohérentes. Voir par exemple :

 

Reste que, la règlementation, elle, reste assez stable.

Ces règles prévoient des abattages ciblés de loups avec fixation d’un nombre de loups susceptibles d’être abattus par an. Des règles qui ont été validées par le Conseil d’Etat notamment par un arrêts du 18 décembre 2017), puis de nouveau exactement deux ans plus tard, le 18 décembre 2019. Le 18 décembre n’est pas jour de fête chez les loups de l’hexagone…

 

La jurisprudence, s’agissant des animaux sauvages non spécifiquement protégés, conduit  schématiquement à permettre des abattages avec un contrôle devenu assez strict sur l’équilibre nécessaire entre les mesures adoptées et le risque à obvier (solution classique en matière de pouvoir de police mais avec un contrôle plus strict de cette proportion entre outils et besoins à satisfaire). Voir :

 

Le problème du loup est qu’il forme espèce à la fois protégée et à la fois susceptible de donner lieu à destruction mesurée (par des abattages selon des plafonds annuels), le juge prend en compte ces équilibres. Voir les articles précités, correspondant à des jurisprudences parfois contradictoires :

 

Voir CE, 18 décembre 2017, ASPAS et autres, n° 393101, 393129, 393130 :

CE 20171218 y a un loup

 

Cette affaire s’est donc rejouée exactement deux ans après. Un rituel en somme.

Venons en donc à l’affaire jugée hier.

À l’issue d’une concertation menée en 2017, le plan national d’actions 2018-2023 sur le loup et les activités d’élevage a été adopté dans l’objectif de garantir la conservation de l’espèce tout en prévoyant les mesures nécessaires à la protection des troupeaux. Ce plan a conduit à la modification du cadre juridique concernant l’abattage de loups, dont trois arrêtés et un décret ont été attaqués devant le Conseil d’État par des associations environnementales.

Le Conseil d’État juge, tout d’abord, que le nombre maximum de loups pouvant être tués est justifié au regard des connaissances scientifiques sur l’évolution naturelle de l’espèce en France. Ce nombre correspond à 10 % de la population de loups, le préfet coordonnateur pouvant autoriser des tirs de défense pour 2 % supplémentaires lorsque le plafond est atteint avant la fin de l’année. D’après une expertise collective réalisée par le Muséum national d’histoire naturelle et l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ces quotas d’abattage ne menacent pas la conservation de l’espèce, dont la population totale, le nombre de meutes et les zones de présence continuent d’augmenter.

Poursuivre l’abattage de loups, au-delà du plafond annuel et sans encadrement supplémentaire, est donc illégal selon le Conseil d’Etat qui, fidèle à ses habitudes, brandit un principe bien haut pour très vite ne pas en imposer une application stricte en l’espèce. 

Car le Conseil d’État valide, d’autre part, l’arrêté définissant les conditions dans lesquelles des tirs de défense peuvent être effectués en cas de dommages importants aux élevages (ce qui est défendu par la majorité des acteurs dans ce dossier ô combien sensible).

Enfin, le Conseil d’État valide le rôle donné au préfet coordonnateur du plan national d’actions sur le loup pour adapter les modalités et l’ampleur des autorisations d’abattre des loups afin de concilier l’objectif de protection de l’espèce avec celui de protection des troupeaux domestiques.

Le Conseil d’État juge en revanche que la possibilité donnée au préfet d’accorder des autorisations de tirs allant au-delà du plafond cumulé de 12 % est illégale dès lors qu’elle n’est encadrée ni par une limite quantitative ni par des conditions précises.

Voici donc ces décisions lues hier :

CE, 18 décembre 2018, n°428811, n°419898 et n°419897 :

> n°428811
> n°419898
> n°419897

 

Cette jurisprudence est-elle souhaitable ? En tous cas elle est cohérente, avec des jurisprudences constantes illustrant ce type de recherche d’équilibre.

Voir par comparaison  l’ordonnance du TA Nîmes, 21 août 2018, n° 1802510 :

 

De même  le juge a-t-il validé un arrêté de destruction d’animaux sauvages (daims) en cas de danger pour la sécurité de la circulation sur voie publique, voir :

 

Quand l’espèce protégée est moins prédatrice, même si ce point est discuté, la protection l’emporte encore plus. Voir pour une décision de Justice condamnant l’Etat pour une insuffisante protection de l’ours :

  • Voir TA Toulouse, 6 mars 2018, n°1501887, 1502320 :

    1501887 ours

 

 

Cette proportion pouvant conduire à censurer certains modes de chasse ou d’abattage comme pour le renard (TA Strasbourg, 10 janvier 2018, ASPAS et LPO, n° 1700293 ; TA Nancy, 13 novembre 2018, n°1700584).

Toujours un souci de proportionnalité s’impose lorsque le maire doit procéder à la capture, voire à l’abattage, d’un animal certes moins sauvage, mais possiblement dangereux (en l’espèce… une vache ). Le juge a admis les mesures de capture, mais il a très encadré les dispositions d’éventuel abattage (CAA Nantes, 04 janvier 2019, n°18NT00069) :

 

Le loup n’a donc pas fini de faire polémique en France, et comme souvent en pareil cas, le Conseil d’Etat ménage la chèvre et le chou ou, plus précisément, le loup et l’agneau. Mais outre que cela correspond à la logique même des équilibres lors de l’usage de pouvoirs de police administrative, la société elle-même n’a-t’elle pas besoin de telles mesures pondérées, certes faciles à brocarder, qui peinent à faire consensus chez les militants, mais qui tentent d’aider à fonder une position médiane dans une société qui semble aimer à se déchirer sur tous les sujets ? Bref, cet arrêt, entre deux eaux, est facile à critiquer. Mais faut-il, vraiment, hurler avec les loups ?