Dans quel ordre de priorité, par rapport aux autres droits de préemption, classer le « droit de préemption ressources en eau » ?

Nous avons assez souvent traité du nouveau régime de droit de préemption (DP) « ressources en eau » :

 

Ces jours-ci, nous avons assisté à des débats sur les ordres de priorité entre les divers droits de préemption.

 

Voici à ce sujet quelques réflexions opérationnelles.

A l’article  L. 218-4 du code de l’urbanisme dans sa dernière version (à jour de la loi 3DS n°2022-217 du 21 février 2022 – art. 191), il est précisé que :

« Les droits de préemption prévus aux articles L. 211-1, L. 212-2, L. 215-1 et L. 215-2 priment les droits de préemption prévus à l’article L. 218-1. »

Le droit de préemption de l’article L. 218-1 est celui dont nous parlons. Celui des aires d’alimentation de captage, le droit de préemption « ressources en eau ».

C’est donc expressément, de par la loi, que ce droit de préemption « ressources en eau » se trouve placé  en dessous, dans l’ordre  de priorité, au :

  • DPU (L. 211-1)
  • droit de préemption dans les ZAD (L. 212-2)
  • droit de préemption des espaces naturels sensibles (L. 215-1)
  • droit de préemption du conservatoire du littoral (L. 215-2)

 

 

Etape suivante du raisonnement :

Le « droit de préemption au bénéfice de l’exploitant preneur en place » (formulation de l’article L. 412-1 du code rural et de la pêche maritime [CRPM]) :

« peut être exercé s’il n’a été fait usage des droits de préemption établis par les textes en vigueur, notamment au profit de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics
(article L. 412-4 du CRPM).

DONC ce droit de préemption n’existe que si aucune personne publique ne préempte, y compris le droit de préemption de l’article L. 218-1 du C. urb.

L’article L. 412-5 du CRPM détaille ceux des exploitants qui sont bénéficiaires de ce régime (et qui exploitent depuis au moins trois ans, pour schématiser un régime plus complexe que cela).

Mais cet article ne déroge pas son devancier, i.e. à l’article L. 412-4, lequel impose une priorité des droits de préemption publics sur celui-ci.

Ceci n’est pas à confondre avec le droit de préemption des SAFER, lequel est régi par l’article L 143-6 du CRPM, lequel dispose que :

« Le droit de préemption de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural ne peut primer les droits de préemption établis par les textes en vigueur au profit de l’Etat, des collectivités publiques, des établissements publics et des cohéritiers bénéficiaires de l’attribution préférentielle prévue à l’article 832-1 du code civil. Ce droit de préemption ne peut s’exercer contre le preneur en place, son conjoint ou son descendant régulièrement subrogé dans les conditions prévues à l’article L. 412-5 que si ce preneur exploite le bien concerné depuis moins de trois ans. Pour l’application du présent alinéa, la condition de durée d’exploitation exigée du preneur peut avoir été remplie par son conjoint ou par un ascendant de lui-même ou de son conjoint.»

La confusion vient de ce que le droit de préemption des SAFER est matériellement plus étendu, en termes de biens susceptibles d’être préempter,  que celui propre aux ressources en eau. Mais cette question ne doit pas être confondue avec celle des ordres de priorité.

 

Conclusion provisoire avant que nous n’abordions le raisonnement inverse :

  1. les autres droits de préemption (DP) publics priment sur le droit de préemption « ressources en eau » propre aux aires d’alimentation de captage
  2. puis vient ce droit de préemption propre aux aires d’alimentation de captage (art. L. 218-4 du Code de l’urbanisme)
  3. puis en dessous viennent des droits de préemption du preneur en place exploitant depuis au moins de trois ans et remplissant les conditions prévues par l’article susmentionné du CRPM
  4. puis en dessous vient le droit de préemption des SAFER

 

Et donc si l’on suit ce raisonnement :

  • l’exploitant preneur en place n’a jamais priorité (art. L. 412-4 CRPM) sur les droits de préemption public
  • et notre nouveau DP est certes en bas de l’échelle des DP publics… mais c’est un DP public quand même
    IDEM aussi pour les DP des Safer de l’article L 143-6 du CRPM qui sont en dessous des DP publics.

 

 

EXAMINONS MAINTENANT LE RAISONNEMENT INVERSE qui est en général celui de l’Etat et des SAFER, mais avec des variations selon les services :

Toute l’argumentation en sens inverse repose sur l’article L. 218-6 du Code de l’urbanisme lequel dispose que :

« Les articles L. 143-4 et L. 143-6 du code rural et de la pêche maritime sont applicables au droit de préemption prévu à l’article L. 218-1 du présent code. »

Ecartons comme inopérant le renvoi fait à l’article L. 143-4 du CRPM, lequel se contente de rappeler des types de biens auxquels le droit de préemption ne s’applique pas. Je viens de relire une nouvelle fois cet article sans y voir un changement dans l’ordre de priorité.

CERTES le DP ressources en eau ne s’applique pas aux cessions faites au profit de certains salariés agricoles ou associés d’exploitation dans certains cas très encadrés, MAIS C’EST UN AUTRE SUJET : il n’est pas possible de préempter si l’acquéreur est est une de ces personnes… mais le DP ressources en eau s’impose sur le DP de l’exploitant (qui est autre chose que l’acquisition par l’exploitant de la terre qu’il exploite).

Quand au renvoi vers l’article L. 143-6 du CRPM il opère :

• dans le premier alinéa de l’article un rappel de la priorité des DP publics sur celui de la Safer (fort bien pour les acteurs de l’eau au contraire)

• dans le second alinéa il est posé que :

« Ce droit de préemption [celui des SAFER donc] ne peut s’exercer contre le preneur en place, son conjoint ou son descendant régulièrement subrogé dans les conditions prévues à l’article L. 412-5 que si ce preneur exploite le bien concerné depuis moins de trois ans. Pour l’application du présent alinéa, la condition de durée d’exploitation exigée du preneur peut avoir été remplie par son conjoint ou par un ascendant de lui-même ou de son conjoint.»

Ceux qui estiment que le DP de l’exploitant l’emporte sur celui des services des eaux se fondent sur ce renvoi.

 

 

EXPLICATION des raisons pour lesquelles selon moi le plus probable (en attendant que le juge ne tranche) est que le DP « ressources en eau » l’emporte sur celui des exploitants (et a fortiori sur celui des SAFER)  :

 

Est-ce que ce second alinéa de l’article L. 143-6 du CRPM rappelle que les SAFER ne l’emportent pas sur le DP des exploitants de 3 ans ou plus ? OUI

Est-ce que le renvoi de l’article L. 218-6 du code de l’urbanisme, à cet article L. 143-6 du CRPM, viserait à poser que comme pour les SAFER, le DP « ressources en eau » ne l’emporterait pas sur celui des l’exploitant de 3 ans ou plus ? C’est très incertain. Ce n’est pas impossible mais c’est très incertain.

Car comment, sinon, expliquer la formulation générale, dénuée d’exception, de l’article L. 412-4 du code rural et de la pêche maritime dispose quant à lui que le « droit de préemption au bénéfice de l’exploitant preneur en place » (formulation de l’article L. 412-4 du CRPM) :

« peut être exercé s’il n’a été fait usage des droits de préemption établis par les textes en vigueur, notamment au profit de l’Etat, des collectivités publiques et des établissements publics

Certes, nous avons là une règle générale, et nous pouvons poser que le renvoi de l’article L. 218-6 du Code de l’urbanisme y déroge. Et retrouver là les mécanismes classiques, en droit, selon lesquels la règle spéciale nouvelle déroge à la règle générale plus ancienne.

SAUF que

  1. la dérogation de l’article L. 218-6 du Code de l’urbanisme est opérée par un renvoi incertain, et qu’il est donc hasardeux d’y voir une claire dérogation à la règle fixée nettement par l’article L. 412-4 du CRPM. On peut y voir au contraire un renvoi surtout opéré par le législateur pour rappeler la priorité des DP publics faite au premier alinéa de cet article, ce qui en change alors toute la lecture.
  2. l’article L. 143-6 du CRPM ne traite que du DP des SAFER  (« Ce droit de préemption ») et l’article L. 218-6 précise seulement que « Les articles L. 143-4 et L. 143-6 du code rural et de la pêche maritime sont applicables »,et non que les modalités de ces articles s’appliquent. Et en ce cas le renvoi à cet article a du sens… pour son premier alinéa, justement.

 

aspirine

 


 

CONCLUSION :

  • de part et d’autres existent des interprétation assez cohérentes et solides
  • il est à tout le moins hasardeux de s’en tenir à la seule interprétation actuelle majoritaire dans le monde des SAFER et des services de l’Etat
  • mais pour tous les acteurs concernés, la prudence doit prévaloir (et pourra parfois conduire à préférer les acquisitions amiables, voire carrément à l’opposé les expropriations quand celles-ci sont possibles).
  • et une précision parlementaire serait la bienvenue.

 

Source : coll. personnelle (Islande 2020)