Déverouillage des requêtes collectives en fiscal (TEOM en l’espèce), au prix d’une petite liberté face à la formulation des textes…
Le Conseil d’Etat déverrouille partiellement les requêtes collectives en droit fiscal (dans une affaire de TEOM en l’espèce), l’unification jurisprudentielle et la simplification opérationnelle valant bien, selon la Haute Assemblée, une nouvelle fois, que l’on statue à l’encontre même de la formulation des textes. Comme dans diverses affaires de ces dernières années, à commencer par la jurisprudence Czabaj, l’interprétation contra legem fait de moins en moins peur au juge administratif…
L’article R. 197-1 du livre des procédures fiscales (LPF) impose que toute réclamation préalable soit individuelle, sous réserve de quelques exceptions…. mais toute irrecevabilité sur ce point ne peut être soulevée par l’administration fiscale que si celle-ci avait demandé aux contribuables de régulariser leur réclamation (CE, 11 octobre 1978, n° 08078).
Mais ensuite, au stade du recours contentieux lui-même, le juge administratif restait assez fermé aux requêtes collectives (en cas de lien suffisant entre elles, pour schématiser) :
- qui avaient été libéralisées en contentieux administratif général (CE, S., 30 mars 1973, n° 80717, au rec. ; application récente en requête indemnitaire voir CE, 10 décembre 2021, M. et autres, n° 440845, à mentionner aux Tables),
- mais pas encore en fiscal lorsqu’il y a pluralité de requêtes fondues en une seule émanant non pas d’un requérant pour plusieurs demandes, mais de plusieurs requérants (CE, 3 décembre 1956, Sieur V., n° 32763, rec. T. p. 649 ; avec souvent une sanction du principe mais une absence de sanction réelle faute d’appel à régularisation par le juge du fond : CE, 5 juin 1987, n° 44443 ; CE, 2 février 1996, n° 123532…).
C’est chose faite maintenant avec un arrêt du 1er avril du Conseil d’Etat dont le résumé aux futures tables du rec. (résumé de la base Ariane à ce jour) est clair et conduit à unifier la jurisprudence au risque de s’écarter un peu du droit écrit (tendance lourde de ces dernières années, que l’on pense à l’arrêt Czabaj contra legem…) :
« Le premier alinéa de l’article R*. 197-1 du livre des procédures fiscales (LPF), applicable à la procédure de réclamation préalable devant l’administration fiscale, ne fait pas obstacle à la recevabilité d’une requête émanant de plusieurs requérants devant le juge de l’impôt. 2) Une telle requête collective n’est toutefois recevable que si les conclusions qu’elle comporte présentent entre elles un lien suffisant.»
En pratique, pour les requérants comme pour le juge, c’est plus satisfaisant.
Mais une nouvelle fois, au lieu de faire remonter au Gouvernement l’utilité de réformer telle ou telle norme réglementaire, ce que le Conseil d’Etat sait très bien faire quand bon lui semble, le juge administratif, sans même plus faire semblant de dégager un principe général du droit ou autre fiction de raisonnement, désormais, se contente de faire prévaloir des interprétation d’un texte tout simplement contre les formulations mêmes desdits textes. C’est plus simple. Le droit en est moins prévisible. Le juge s’affranchit plus de ce que sont les prérogatives des pouvoirs exécutifs et législatifs. Mais pourquoi s’embêter avec de telles broutilles ?
Autres exemples récents d’interprétations contra legem pour les juridictions du Palais Royal :
- pour un point qui pourrait être discuté, voir CE, 6 juin 2018, M. C…, n° 410463, B.
- pour une violation très nette d’un différé d’entrée en vigueur législatif, voir CE, 9 juin 2021, n° 449279, à mentionner aux tables du recueil Lebon
- pour un cas un peu limite, voir CE, 27 décembre 2019, 420302
- pour un cas tout à fait manifeste, puisqu’un délai clairement posé par la Constitution elle-même a pu être méconnu par les sages de la rue Montpensier : Décision n° 2020-799 DC du 26 mars 2020 – Loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19… au nom de la théorie des circonstances exceptionnelles selon certains commentateurs à ceci près que le conseil ne semble pas s’être abrité derrière cette explication (voir notre article, via le lien ci-avant)
- pour un cas caricatural, voir Décision n° 2018-764 QPC du 15 février 2019
- le mètre étalon en ce domaine (mais l’interprétation contra legem prévalant via un principe général du droit, ce qui à tout le moins sauve les apparences par rapport à d’autres affaires) est bien sûr CE, 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763, à publier au rec…. Sur le fait qu’il en résulte pour les requérants un tête à queue juridique imprévu conduisant la France à être devant la CEDH, voir ici.
- pour un cas où on fait dire très nettement au droit écrit autre chose que ce qu’il dit, voir CE, 24 juillet 2019, 427192
- idem avec CE, ord., 26 juillet 2021, n° 454754, CE, ord., 26 juillet 2021, n° 454792-454818 et CE, ord., 26 juillet 2021, n° 454832
Comme dans diverses affaires de ces dernières années, à commencer par la jurisprudence Czabaj, l’interprétation contra legem fait de moins en moins peur au juge administratif…
Source : Conseil d’État, 1er avril 2022, n° 450320, à mentionner aux tables du recueil Lebon
Voir ici les conclusions de Mme Céline GUIBE, Rapporteure publique
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