Rapport sur la directive « protection des eaux contre la pollution par les nitrates » : encore des progrès à faire

La commission a présenté au Conseil et au Parlement européen son rapport sur la mise en œuvre de la directive 91/676/CEE concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Elle s’est fondée pour ce faire sur une vaste consultation des rapports des états membres pour la période 2016/2019. En conclusion pour la commission : « les fruits mûrs ont été cueillis », mais nombre d’efforts restent à accomplir.

Le programme de suivi et de surveillance

Dans le prolongement de l’objectif général de « bon état des eaux » fixé à l’échelle de l’Union européenne, l’article 6 et l’article 10 de la directive « nitrates » du 12 décembre 1991 impose aux États-membres, en vue de désigner les zones vulnérables, atteintes par une pollution aux nitrates :

  • la mise en place d’un programme de surveillance de la concentration en nitrates des eaux douces sur une période d’un an, à renouveler tous les quatre ans ;
  • l’examen de l’état d’eutrophisation des eaux douces superficielles, côtières et d’estuaires tous les quatre ans.
  • tous les quatre ans, l’établissement d’un rapport de mise en œuvre incluant notamment un bilan de l’évolution des concentrations en nitrates observées et de l’état d’eutrophisation des eaux.

C’est cette troisième obligation qui a permis d’alimenter le rapport de la Commission européenne par une compilation de l’ensemble des remontées des Etats membres.

Le bilan a pour vocation de contribuer à l’évaluation de l’efficacité des programmes d’actions mis en oeuvre dans les zones vulnérables aux nitrates.

En France, l’article R. 211-76 du code de l’environnement prévoit un programme de surveillance, renouvelé tous les quatre ans visant à surveiller les eaux superficielles et souterraines vis-à-vis de la concentration en nitrates et de l’eutrophisation : « Ce programme est constitué d’une campagne annuelle de mesure de la teneur en nitrates des masses d’eau et de la collecte de toute donnée contribuant à l’identification des eaux » atteintes par les nitrates.

Un rapport qui oscille entre réalisme, catastrophisme et congratulation

Le rapport présente en premier lieu l’évolution des pressions exercées par l’agriculture sur les eaux. La surface agricole de l’Union européenne recouvre environ la moitié du territoire total et la production agricole a connu une nette progression entre 2010 et 2019 avec une augmentation de 14, %. C’est surtout la production de bétail qui cause la pollution des eaux puisque ce domaine est largement dépendant de l’azote et de l’ammoniaque.

Pour les eaux souterraines, les taux relevés par 14,1 % des stations de surveillance dépassaient la limite fixée pour la consommation humaine de 50 mg par litre d’eau.

S’agissant des eaux de surface le constat est pire : « À l’échelle de l’Union, 36 % des rivières, 32 % des lacs, 31 % des eaux côtières, 32 % des eaux de transition et 81 % des eaux marines ont été signalés comme eutrophes. »

Dans sa conclusion, le rapport insiste néanmoins que malgré ces tristes constats, les éléments et données relevés permettent de constater que, sans la directive, les niveaux de nitrates seraient beaucoup plus élevés, et « que les fruits mûrs ont déjà été cueillis ». Il est vrai que la difficulté de ce type d’exercice est qu’à mettre en place un suivi pour connaître l’état réel d’une situation on s’expose alors a la réalité de celle-ci, à l’inverse connaître cette situation désormais ne signifie pas qu’auparavant, faute de donnée fiable, la situation était meilleure ! C’est donc dans ce suivi de cette évaluation qu’on appréciera si les efforts sont suffisants.

Mais malgré les efforts considérables déjà accomplis par les Etats membres, certains d’entre eux affichent une mauvaise qualité de l’eau sur l’ensemble de leur territoire accompagné d’un problème systémique de gestion de la perte de nutriment provenant de l’agriculture. Des zones critiques ont également été identifiées notamment en France, en Italie, au Portugal et en Roumanie.

Concernant l’évaluation des actions mises en place par les Etats membres dans le cadre des programmes d’action, le rapport souligne que la plupart des Etats ont adopté de tels programmes. Les mesures relevées sont très diverses et le rapport insiste sur la nécessité d’échanger entre Etats sur les bonnes pratiques à mettre en œuvre. Les Etats déplorent de leur côté que le changement climatique a rendu plus ardue la prévision de la qualité future des eaux de surface et des eaux souterraines notamment du fait du temps sec, d’une réduction des rendement des cultures et une augmentation de pollution par les nutriments favorisée par de fortes précipitations.

Les limites observées par la commission

Sur les programmes de surveillance mis en œuvre par les Etats, le rapport souligne que le reporting réalisé par les Etats membres est imparfait.

S’il relève positivement que le nombre de station de surveillance des eaux salines a été augmenté, il reste très faible dans certains Etats. La surveillance est donc loin d’être satisfaisante.

Sur l’obligation de désignation des zones polluées, le rapport note que pour les périodes 2012-2015 et 2016-2019, le nombre total de zones vulnérables aux nitrates a augmenté de 14,1 %.

Mais il pointe également le fait que certaines zones présentant une pollution avérée ou potentielle n’étaient pas incluses dans une zone vulnérable aux nitrates. Il y a donc un certain nombre de trous dans la raquette et c’est notamment le cas pour la Bulgarie, Chypre, l’Espagne la Lettonie et le Portugal.

Le rapport conclut que le phénomène d’eutrophisation n’est pas suffisamment pris en considération lors de la détermination et la désignation des zones polluées. Les Etats membres sont invités à y remédier dans les plus brefs délais.

La mise en œuvre de la directive et son évolution

Enfin, la directive impose aux Etats membres de limiter l’utilisation d’azote dans les zones identifiées comme vulnérables à 170 kg d’épandage maximum, et ce sur tout le territoire de l’UE. Des dérogations étant possibles, le rapport insiste sur le fait que celles-ci ne peuvent être accordées par la Commission que si les quantités épandues n’entravent pas la réalisation des objectifs de la directive en ce qui concerne la qualité de l’eau.

Sur la période 2016-2019, pas s moins de dix affaires d’infraction étaient pendantes ou ont été clôturées à l’encontre des Etats membres concernant le non-respect de la directive « nitrates. La France fait partie des mauvais élèves puisqu’elle a failli à son obligation de désignation de zones vulnérables aux nitrates. L’affaire a finalement été clôturée en 2019 après mise en demeure. Mais ce n’est pas la première fois que la France est rappelée à ‘ordre puisqu’elle a déjà été condamné deux fois pour transposition incomplète de la directive « nitrates », une première fois en 2013 et une seconde en 2014.

Malgré l’urgence, aucune date limite n’est requise par les textes si ce n’est l’objectif général de bon état écologique et chimique des eaux d’ici à 2027. La Commission promet toutefois de renforcer ses actions pour améliorer la mise en œuvre et l’application de la directive. Outre l’intérêt grandissant pour le développement des technologies de traitement des effluents et différentes initiatives menées au niveau communautaire sur ce thème comme l’ouverture du marché aux engrais organiques transformés, des sanctions pourraient donc encore tomber en cas de non-respect.

Pour rappel :
les nitrates ont un effet sur la santé lorsqu’ils se transforment en nitrites dans le sang en ce qu’ils forment une « méthémoglobine », forme d’hémoglobine qui ne transporte pas d’oxygène. Chez les adultes, la formation de nitrite est entravée par l’acidité gastrique qui en réduit le développement. Toutefois, chez le nourrisson, dont le système digestif n’est pas encore suffisamment développé, le risque de propagation de la méthémoglobine est plus important.
Mais les nitrates ont également un effet sur l’eau elle-même puisqu’ils sont à l’origine du phénomène d’eutrophisation, c’est-à-dire la création d’algues et de micro-organismes qui se développent et consomment une part importante de l’oxygène qui se situe dans l’eau. L’eutrophisation est à l’origine de phénomènes de pollution importante tels que la propagation de l’algue verte en Bretagne. Et ce sont bien les nitrates produits par l’agriculture intensive en Bretagne qui ont entraîné ce type de phénomène.
Les nutriments, à l’image de l’azote et du phosphore, sont nécessaires pour la croissance et le développement des plantes et sont donc utilisés en grande quantité dans l’agriculture comme fertilisants sous forme de nitrates car ils sont assimilés par la plante sous cette forme. La situation est aujourd’hui catastrophique. « À l’échelle mondiale, le surplus d’azote et de phosphore dans l’environnement dépasse déjà les limites planétaires sûres, représentant une grave menace pour la nature ainsi que pour le climat. » selon la commission.
Malgré le fait que 13 Etats membres n’ont pas répondu à leur obligation de transmission du bilan de concentration des nitrates dans les eaux, l’UE estime, au vu des données dont elle dispose, que l’agriculture est responsable de 22% à 99% de la charge totale d’azote dans l’environnement et donc en moyenne 77%, ce qui en fait incontestablement la source la plus importante de pollution au nitrate.

Yann Landot & Joachim Guillemard