Libération du passage au long des sentiers douaniers [suite et fin]

Après un long chemin contentieux, voici une confirmation de la libération des sentiers douaniers, avec des arrêts de la CAA de Nantes mettant en oeuvre un mode d’emploi défini l’an passé par le Conseil d’Etat. Revenons à ce sujet étape par étape.

I. Une question de servitude de passage

Ce que l’on appelait traditionnellement les sentiers (ou chemins) douaniers correspondent aujourd’hui aux services de passage des piétons (art. L. 160-6 du code de l’urbanisme, repris aux art. L. 121-31 et L. 121-32).

Le cadre actuel résulte d’une loi du 31 décembre 1976, depuis codifiée au code de l’urbanisme, ayant instauré, ou plutôt confirmé et rénové juridiquement, une servitude de passage des piétons sur les propriétés privées, en limite du rivage maritime, sur une bande de 3 mètres.

En présence d’obstacles naturels, de clôtures ou d’habitations édifiées avant 1976, le tracé de cette servitude peut être modifié par arrêté préfectoral, après enquête publique. Ce tracé doit cependant passer au plus près du rivage. A titre exceptionnel, cette servitude peut être suspendue.

II. Mode d’emploi posé par le Conseil d’Etat en 2020

Le Conseil d’Etat a, à l’été 2020, eu l’occasion de se prononcer sur les procédures de modification ou de suspension en ce domaine, qu’il s’agisse :

  • de la consistance du dossier d’enquête publique.Sur ce premier point, le Conseil d’Etat note qu’il résulte du a) de l’article L. 160-6 et des articles R. 160-11 et R. 160-14 du code de l’urbanisme que le dossier qu’il appartient au chef du service maritime, en application de l’article R. 160-14, de constituer pour être soumis à enquête publique, doit permettre à la population de connaître les motifs des projets de modification du tracé ou des caractéristiques de la servitude de passage longitudinale.A cette fin, il doit notamment, selon la Haute Assemblée, indiquer la nature et la localisation des obstacles qui justifient la modification du tracé. 
  • des conditions de la légalité de la suspension de la servitude pour la conservation d’un site ou la stabilité des sols (e de l’art. R. 160-12), selon que le tracé normal (art. R. 160-8) ou modifié permet, ou non, d’atteindre sur ce point les objectifs de la loi.L’article L. 160-6 du code de l’urbanisme vise donc à instituer un droit de passage le long du littoral au profit des piétons. Dès lors, ainsi qu’il résulte d’ailleurs des termes mêmes du b) de cet article, la suspension de la servitude de passage sur certaines portions du littoral ne saurait être qu’exceptionnelle, pose le Conseil d’Etat.Dans l’hypothèse où le maintien de la servitude de passage est de nature à compromettre soit la conservation d’un site à protéger pour des raisons d’ordre écologique ou archéologique, soit la stabilité des sols, prévue par le e) de l’article R. 160-12 du code de l’urbanisme, l’administration ne peut légalement décider de suspendre, jusqu’à nouvel ordre, la servitude, que si elle justifie que ni la définition de la servitude dans les conditions prévues par l’article R. 160-8 du code, ni une modification de son tracé dans les conditions et limites prévues par la loi, ne peuvent, même après la réalisation des travaux qu’implique la mise en état du site pour assurer le libre passage et la sécurité des piétons mentionnés à l’article R. 160-25 du code, garantir la conservation d’un site à protéger pour des raisons d’ordre écologique ou archéologique, ou, dans l’intérêt tant de la sécurité publique que de la préservation des équilibres naturels et écologiques, la stabilité des sols.

Sources : ces enseignements résultent de divers arrêts rendus par le Conseil d’Etat le lundi 29 juin 2020 (n° 433662 et 433665 ; mais voir aussi n° 433697 et n°434118) :

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    Crédits photographiques : Brignogan-Plage, collection personnelle, juin 2020.

III. Mise en oeuvre, finale, hier, par la CAA de Nantes

Par des arrêts du 12 octobre 2021, la Cour administrative d’appel de Nantes a mis fin à ces longs cheminements contentieux.

Elle a notamment rejeté les 3 requêtes de riverains qui demandaient l’annulation totale de l’arrêté du 4 février 2015 par lequel le préfet d’Ille-et-Vilaine avait approuvé le tracé de la servitude de passage des piétons le long du littoral de la commune de Saint-Briac-sur-Mer.

Par arrêté du 4 février 2015, le préfet d’Ille-et-Vilaine a approuvé le tracé de la servitude de passage des piétons le long du littoral de la commune de Saint-Briac-sur-Mer, qui a pour but à la fois de donner un cadre juridique au chemin déjà réalisé à la suite de procédures antérieures et de finaliser la servitude de passage sur toute la commune de Saint-Briac-sur-Mer, notamment pour les secteurs qui ne sont pas ouverts à ce jour.

Cet arrêté n’ayant été que très partiellement annulé par deux jugements du tribunal administratif de Rennes du 15 décembre 2015, des riverains opposés au tracé ont porté l’affaire en appel afin d’obtenir l’annulation de la totalité de l’arrêté. Par trois arrêts du 18 juin 2019, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé la servitude littorale pour quelques parcelles supplémentaires par rapport aux parcelles retenues par le tribunal administratif.

Toutefois, ces trois arrêts ont eux-mêmes été annulés pour l’essentiel par le Conseil d’Etat, à la suite de pourvois en cassation (voir ci-avant « II »).

Saisie à nouveau de ces litiges par renvoi du Conseil d’Etat, la CAA a appliqué ce mode d’emploi fixé par la Haute Assemblée. La Cour a donc écarté l’ensemble des moyens soulevés par les riverains et rejeté les trois requêtes.

Elle a notamment jugé que le dossier d’enquête comportait les indications nécessaires quant aux obstacles qui justifiaient, notamment lorsque le rivage était trop escarpé, une modification du tracé. Elle a aussi estimé, à la vue des divers rapports et expertises produits, qu’il ne ressortait pas des pièces du dossier que la suspension de la servitude de passage serait la seule solution possible sur certaines portions, dès lors qu’il ne résultait pas de la procédure que la continuité du tracé littoral ne pourrait pas être assurée sur ces propriétés à la suite de travaux de confortement. Elle a enfin écarté l’argumentation tenant à la méconnaissance du droit de propriété, développée par l’un des propriétaires qui avait, sans autorisation préalable, creusé une piscine sur le tracé de la servitude.

CAA Nantes, 12 octobre 2021,

Arrêt 20NT01812

Arrêt 20NT01814

Arrêt 20NT01817

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  Crédits photographiques : Brignogan-Plage, collection personnelle, juin 2020.